Alice, travailleuse sociale chez MSF à l’hôpital de Salamabila, rencontre Fabienne*, qui a été violée par des hommes armés. Alice tente d’apaiser son traumatisme et s’assure que Fabienne continue à suivre son traitement contre les infections transmissibles sexuellement. République démocratique du Congo, 2025. © Justine Sagot/MSF
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République démocratique du Congo : face à l’ampleur des violences sexuelles, d’autres organisations doivent prendre la relève dans le Maniema

À Salamabila, l’avenir des soins pour des milliers de personnes survivantes de violences sexuelles est incertain alors que MSF met fin à ses activités.

À Salamabila, dans la province du Maniema, en République Démocratique du Congo (RDC), au moins sept personnes en moyenne subissent un viol chaque jour. Ce sont les données que Médecins Sans Frontières (MSF) a récoltées depuis le début de l’intervention en 2018. Dans cette province du centre-est du pays, les viols sont un fléau persistant. Les groupes armés sont toujours présents et demeurent les auteurs des trois quarts des agressions.  

Depuis 2019, MSF a offert des soins et du soutien à 16 436 personnes ayant survécu à des violences sexuelles dans la région. Entre 2019 et 2024, 11 fois plus de femmes ont eu recours aux soins.  

Ce chiffre alarmant reflète l’ampleur d’une crise silencieuse trop souvent négligée et oubliée par les autorités nationales et internationales. Alors que MSF se retire du projet à la fin du mois d’octobre, nous appelons les bailleurs de fonds et les autres organisations à intervenir et à veiller à ce que les progrès réalisés en matière de prise en charge des personnes survivantes et d’éducation sur les violences sexuelles se poursuivent. 

Les violences sexuelles restent une urgence de santé publique dans tout l’est de la RDC, y compris dans la province du Maniema. Le conflit entre les groupes armés dans la région, ainsi que les violences commises par des groupes extérieurs au conflit, continuent d’entraîner un nombre élevé d’agressions sexuelles.

« C’est notre plus grande victoire ici, elles sont devenues indispensables. Se rendre chez ces agentes est beaucoup plus discret que d’aller jusqu’à l’hôpital en s’exposant aux questions des gens et en risquant d’éveiller les soupçons d’un mari qui peut à tout moment les expulser du foyer. »

– Elodie Françoise, responsable médicale chez MSF

Dans une aile discrète de l’hôpital de Salamabila, entre les murs d’une petite pièce sombre où un épais rideau la protège des regards, Fabienne* raconte son histoire à Alice, travailleuse sociale chez MSF : « Ils étaient cinq, ils m’ont d’abord frappée très fort dans le ventre. Ils m’ont arraché mes vêtements et ils ont abusé de moi. Quand ils sont partis, ils ont même pris mes sous-vêtements ou j’avais caché un peu d’argent. »  

Alors qu’elle rentrait du marché, les membres d’un groupe armé l’ont violée. Un mois après son agression, le traumatisme est vif et Fabienne tente de contenir ses larmes avec son tablier. « Quand je repense à tout ça, ça me fait très mal, ici, dans le cœur », confie-t-elle. 

Chacune des survivantes de violences sexuelles auxquelles MSF a prêté assistance à Salamabila depuis 2019 ont reçu un traitement d’urgence contre les infections transmissibles sexuellement et pour prévenir la grossesse. Les femmes qui le souhaitaient ont également reçu un soutien psychologique.

Alice, travailleuse sociale chez MSF, accompagne une femme qui a été violée il y a quelques jours et doit lui offrir un traitement d’urgence pour les infections sexuellement transmissibles. République démocratique du Congo, 2025. © Justine Sagot/MSF

Des survivantes deviennent les piliers de la prise en charge communautaire

Face à ce fléau, MSF a mis en œuvre depuis 2019 une approche communautaire innovante pour répondre aux besoins des personnes ayant survécu à des violences sexuelles. Cette approche décentralisée est fondée sur l’action des agentes de santé reproductive (ASR), des femmes issues de la communauté, souvent elles-mêmes survivantes de viols. Elles sont formées pour offrir une prise en charge médicale et psychosociale rapide, confidentielle et gratuite au sein des communautés.  

Ces ASR accueillent les femmes sous leur propre toit, leur apportent un soutien et leur offrent des traitements. En six ans, ce sont elles qui ont offert des soins et du soutien aux deux tiers des personnes ayant survécu aux violences sexuelles, illustrant l’efficacité et la pertinence de ce modèle décentralisé.

« C’est notre plus grande victoire ici, elles sont devenues indispensables », dit Elodie Françoise, responsable médicale chez MSF. « Se rendre chez ces agentes est beaucoup plus discret que d’aller jusqu’à l’hôpital en s’exposant aux questions des gens et en risquant d’éveiller les soupçons d’un mari qui peut à tout moment les expulser du foyer », explique-t-elle.

« Peu à peu, nous avons vu des maris changer, inciter leur femme à se faire soigner et même les accompagner, c’était inimaginable avant. »

–  Kalume Kalumwendo, superviseur de la promotion de la santé

À Salamabila, Baati est l’une de ces ASR. Elle a encore reçu huit survivantes de victimes sexuelles sous son toit la semaine dernière. « Pour moi, c’est parfois douloureux d’entendre leur récit, car j’ai l’impression de vivre leur traumatisme avec elles », explique-t-elle. « J’ai beaucoup d’empathie. Et je considère aussi mon travail comme très important. Je puise dans mon histoire personnelle pour qu’elles s’identifient à moi et me fassent confiance. Moi-même, sans les médicaments que j’ai reçus, je serais peut-être morte aujourd’hui. »

Dans une salle calme de l’hôpital Salamabila, une survivante de viol attend Alice, une assistante sociale de MSF, qui va l’examiner et lui fournir le traitement d’urgence contre les infections transmissibles sexuellement. République démocratique du Congo, 2025. © Justine Sagot/MSF

Un travail auprès des hommes pour limiter la double peine de la stigmatisation

Lorsque Fabienne est rentrée chez elle, son mari, sous le coup de la panique, a informé tout le village de l’agression. Il l’a expulsée de la maison puis a demandé à la voisine chez qui sa femme s’était réfugiée de la chasser à son tour. « À ce moment-là, je ne dormais plus la nuit, j’avais peur de me retrouver sans rien, mon mari m’avait déjà pris tous nos biens et je risquais de me retrouver à la rue », confie-t-elle.  

Une double peine liée aux préjugés et à la stigmatisation entourant les agressions sexuelles. Pour tenter de changer les mentalités, MSF a créé « l’école des maris ». Dans cette structure destinée à « tous les hommes de la maison », les équipes de promotion de la santé ont sensibilisé au moins 1 520 hommes à un message crucial : un viol n’est ni une infidélité ni une honte, c’est une violence subie.  

Ce travail de longue haleine a porté ses fruits. « Peu à peu, nous avons vu des maris changer, inciter leur femme à se faire soigner et même les accompagner, c’était inimaginable avant », explique Kalume Kalumwendo, superviseur de la promotion de la santé. 

Nos équipes ont également distribué des centaines de trousses de première nécessité aux femmes expulsées de leur foyer par leurs maris.

Elodie, responsable médicale de MSF à Salamabila, prépare le don pour un centre de santé de 240 trousses médicales destinées aux personnes survivantes de violences sexuelles. Il s’agit du dernier don de MSF avant son départ le 31 octobre. République démocratique du Congo, 2025. © Justine Sagot/MSF

Pénurie de médicaments : l’inquiétude grandit

La fin des activités médicales de MSF à Salamabila après sept ans d’intervention, à la fin d’octobre, est un retrait planifié qui s’est légèrement accéléré. Ce désengagement, initialement prévu pour 2026, a été anticipé pour permettre à MSF de concentrer ses ressources sur les urgences médico-humanitaires. Dans l’est de la RDC, les besoins sont croissants, le financement est en forte baisse et la crise est persistante.  

La province du Maniema est l’une des plus enclavées du pays. L’insécurité, l’éloignement des structures de santé et le coût élevé des transports limitent fortement l’accès aux soins. Depuis l’aggravation du conflit armé et la fermeture de l’aéroport de Bukavu, l’acheminement des médicaments et du personnel vers Salamabila est devenu plus long, complexe et onéreux, bien qu’encore possible par voie aérienne.

« Je crains que les [groupes armés] qui commettent ces viols n’intimident à nouveau les [survivantes] et que la loi du silence ne revienne. Alors je lance un appel au ministère de la Santé et à tous les partenaires qui peuvent nous venir en aide pour prendre le relais des activités de MSF. C’est essentiel pour toutes ces femmes. »

– Charles Bamavu, médecin-chef de la zone de Salamabila

Dans les cinq centres de santé soutenus par MSF et chez plusieurs membres du personnel de la santé, l’inquiétude est immense. Les médicaments fournis par MSF vont s’épuiser une fois les dons utilisés. Emmanuel, infirmier dans le centre de santé du village de Sous-Marin, fait un constat amer : « Quand je vois une survivante de viol arriver, j’ai les larmes qui montent, car je sais que je n’aurai plus de médicaments qui puissent la protéger, je me sens impuissant. »  

Une peine, mais aussi une inquiétude que partage aussi Jean Claude Alfani Selemani, médecin au centre de santé de Kayembe : « S’il n’y a plus de médicaments, les survivantes ne viendront presque plus, la fréquentation va chuter, je suis très inquiet. »

Appel au ministère de la Santé et aux institutions internationales pour prendre la relève

Face à ce constat et aux lacunes persistantes du système de santé dans le Maniema, MSF et les autorités sanitaires de Salamabila ont lancé un appel aux autorités, bailleurs de fonds et partenaires humanitaires pour mobiliser toutes les ressources nécessaires pour assurer la continuité des soins.  

Charles Bamavu, médecin-chef de la zone, redoute un retour à la case départ. « Je crains que les [groupes armés] qui commettent ces viols n’intimident à nouveau les [survivantes] et que la loi du silence ne revienne. Alors je lance un appel au ministère de la Santé et à tous les partenaires qui peuvent nous venir en aide pour prendre le relais des activités de MSF. C’est essentiel pour toutes ces femmes. » 

L’efficacité de l’approche communautaire portée par les femmes de la communauté formées comme ASR a été démontrée. D’ailleurs le modèle mis en place à Salamabila est reproductible et essentiel d’un point de vue humanitaire. Malgré les avancées réalisées, une réponse adéquate et stable est loin d’être en place. Les violences sexuelles sont un problème de santé publique et nécessitent une prise en charge holistique, incluant des soins médicaux, un soutien psychologique, un accompagnement socio-économique et des services de protection et juridiques. 

* Nom modifié pour protéger la vie privée.