Cristian Reynders, is currently MSF’s Field Coordinator for Northwest Syria. NB: This picture was not taken in Northwest Syria but in Greece, during one of Cristian’s previous missions © Alex Yallop/MSF
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Nord-ouest de la Syrie : La COVID-19 ajoute une couche supplémentaire de complexité

Écrit par Cristian Reynders, coordonnateur de terrain de Médecins Sans Frontières (MSF) dans le nord-ouest de la Syrie. 

 

« Il n’y a pas si longtemps, la COVID-19 ne faisait pas encore la une des journaux du monde. Le téléjournal présentait encore des reportages sur divers sujets aucunement liés à une pandémie. On parlait beaucoup de la situation humanitaire dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie.

La guerre en Syrie vient d’entrer dans sa dixième année, et Idlib est actuellement la région la plus touchée par le conflit. Les tirs d’artillerie et les bombardements quotidiens ont obligé près d’un million de personnes à fuir leur domicile en l’espace de quelques mois seulement. Depuis le début de l’année, les combats ont mis hors service plus de 80 hôpitaux. Il n’y a pas si longtemps, Idlib était affligée par une crise humanitaire. C’est toujours le cas aujourd’hui. La pandémie de COVID-19 a ajouté une nouvelle couche de complexité à une situation qui était déjà catastrophique.

La semaine dernière, la Syrie a confirmé son premier cas de COVID-19. Depuis lors, le nombre de cas a légèrement augmenté, mais jusqu’à présent, aucun cas positif n’a été identifié à Idlib. Cependant, nos équipes ne veulent pas attendre que cela se produise avant de s’y préparer, car nous savons à quel point la propagation d’une maladie dans un tel endroit pourrait être préoccupante.

 

L’impact de la COVID-19 sur les systèmes de santé mondiaux

 

Dans des pays développés comme l’Italie, l’Espagne et les États-Unis, nous voyons des hôpitaux publics sur le point de s’effondrer en raison de la propagation de la COVID-19. Comment, alors, le système de santé d’Idlib ferait-il face à une telle situation? Les soins de santé dans le nord-ouest de la Syrie ont été gravement touchés par le conflit et étaient déjà sollicités à la limite de rupture avant que la propagation du nouveau coronavirus n’atteigne le stade de pandémie.

Même si la COVID-19 ne s’est pas encore propagée dans le nord-ouest de la Syrie, les gens sont déjà confrontés à une série de questions sans réponse et à des choix impossibles. En effet, la plupart des recommandations pour se protéger contre le virus et ralentir sa propagation sont tout simplement irréalisables à Idlib.

Comment pouvez-vous demander aux gens de rester à la maison pour éviter l’infection? Où est leur maison? Nous parlons de près d’un million de personnes déplacées – au moins un tiers de la population totale d’Idlib – la plupart vivant dans des tentes à l’intérieur de camps. Ils n’ont plus de maison.

Lorsqu’une personne présente des symptômes de COVID-19, on lui demande de s’isoler. Où peut-on ce faire à Idlib? De nombreuses familles doivent partager des tentes avec d’autres familles.

Les gens sont également invités à adopter de bonnes mesures d’hygiène et à se laver fréquemment les mains. Mais comment pouvez-vous pratiquer une bonne hygiène lorsque vous vivez entouré de boue?

Si vous développez des symptômes graves, vous devez vous rendre à l’hôpital. Mais lorsque seulement une poignée d’hôpitaux sont encore ouverts et que ces hôpitaux sont déjà surchargés et non équipés pour faire face à une urgence de santé publique, où pouvez-vous aller réalistement?

Tout en se préparant à une propagation potentielle de la COVID-19 dans le nord-ouest de la Syrie, les médecins sont également confrontés à des choix impossibles. Ils doivent constamment établir des priorités : choisir entre recevoir de la formation et se préparer à l’éventualité où la pandémie atteindrait Idlib, et faire face à un flux sans fin de patients venant se faire soigner. Le personnel médical à Idlib fait de son mieux avec le peu de moyens à sa disposition. Je ne cesserai jamais d’être impressionné par leur capacité à tenir bon face à tant de difficultés, leur résilience et leur volonté de continuer à travailler dans ces conditions atroces. 

 

La prévention vue à travers une lentille humanitaire

 

Les organisations humanitaires doivent également faire des choix impossibles dans ces circonstances. Quelles mesures devons-nous prendre pour empêcher une éventuelle propagation du virus? Devrions-nous arrêter notre travail dans les camps pour empêcher les gens de se rassembler devant nos cliniques mobiles ou lors de nos distributions d’articles essentiels? Protégeons-nous les gens si nous arrêtons nos activités, ou est-ce que nous les privons de services essentiels et donc risquons de nuire à leur santé? Ce type de dilemme survient constamment dans notre domaine.

MSF a donc décidé de maintenir ses activités. En effet, nous savons que l’aide que nous fournissons, même si elle ne couvre pas tous les besoins, est vitale pour des dizaines de milliers de personnes à Idlib. Et c’est parce que plus de 35 % des patients que nous voyons dans nos cliniques mobiles souffrent déjà d’infections respiratoires, et qu’une propagation éventuelle du virus pourrait rapidement entraîner des complications. Les gens ont besoin de notre aide, et nous ne voulons pas cesser de la leur fournir. Par contre, nous adaptons nos activités et essayons d’agir de manière responsable face à une possible propagation de la COVID-19.

Dans les camps, nous avons commencé à mettre en œuvre des mesures de distanciation sociale lors de la prestation de nos services réguliers. Lorsque nous gérons des cliniques mobiles, nous n’autorisons désormais que de petits groupes de personnes à se rassembler autour de nos camions en attendant les consultations. Lors des distributions d’articles essentiels, nous demandons aux gens de garder une certaine distance entre eux. De cette façon, nous aidons toujours les personnes déplacées, mais nous réduisons également les risques qu’elles contractent le virus lorsqu’elles viennent chercher de l’aide. Bien sûr, nous voulons également protéger nos propres équipes et les avons munies d’équipements de protection, afin qu’elles puissent continuer à dispenser des soins dans les camps.

En outre, nous sommes en train de nous préparer au niveau hospitalier. Les installations médicales qui restent ouvertes dans la province d’Idlib jouent un rôle vital pour la population, et nous devons nous concentrer à les soutenir pour qu’elles se préparent. Nous avons mis en place des comités d’hygiène dans trois hôpitaux déjà soutenus par MSF. Nous avons également mis en place de nouveaux systèmes de triage dans ces établissements afin de mieux identifier et isoler les patients que l’on soupçonne atteints de COVID-19. Et nous donnons des formations sur la gestion des flux de patients en coordination avec les autorités sanitaires locales et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Nous mettons en place tout ce que nous pouvons, mais d’un point de vue pragmatique, cela ne sera probablement pas suffisant si la COVID-19 devait commencer à se propager demain dans la province d’Idlib. Ce qui se passe aujourd’hui dans le nord-ouest de la Syrie est une crise humanitaire. Si une urgence de santé publique devait débarquer au milieu de tout cela, la situation pourrait rapidement devenir catastrophique. 

À moins d’une mobilisation internationale immédiate. À moins que les médecins et les organisations humanitaires aient les moyens de s’attaquer correctement à cette catastrophe potentielle avant qu’elle ne se produise. À moins que les hôpitaux reçoivent les fournitures et l’équipement dont ils ont besoin pour faire face à cette « crise qui s’ajoute à une autre crise ».

Mais la réponse à cette situation ne peut être uniquement médicale. Les soins de santé sont bien sûr essentiels, mais ce n’est pas le seul besoin à Idlib. Les gens ont encore besoin de nourriture, les gens ont encore besoin d’un abri, les gens ont encore besoin d’installations sanitaires. Face à une pandémie, toutes ces choses sont essentielles.

La COVID-19 touche tout le monde sur la planète. Que les gens soient en Syrie ou en Italie, ils sont tous connectés. Ce virus affecte chacun d’entre nous, peu importe leur nationalité ou la couleur de leur peau. Et tout comme ce virus n’a pas de frontières, j’espère que la solidarité n’aura pas non plus de frontières. »