Syrie, 2020. © MSF
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Pas un endroit pour un enfant : Un médecin canadien nous parle de son travail dans le camp d’Al Hol, en Syrie

Le Dr Reza Eshaghian raconte son expérience en tant que chef d'équipe médicale à Al Hol

Dr Reza Eshaghian
MSF

Le camp d’Al Hol n’était pas le premier camp de déplacés dans lequel je travaillais avec Médecins Sans Frontières (MSF), mais c’est certainement celui qui m’a le plus perturbé. Aucun des indicateurs de santé traditionnels ne mesure le degré de souffrance de la population dans ce camp. Ici à Al Hol, la souffrance est à la fois profondément psychologique et physique, parfois imposée intentionnellement aux personnes qui y vivent.

J’ai travaillé avec MSF en tant que chef d’équipe médicale à Al Hol entre novembre 2020 et février 2021. Je viens de rentrer chez moi à Vancouver il y a treize jours et je termine ma quarantaine. Pendant ma quarantaine, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’ai vu à Al Hol, et j’aimerais partager mon expérience avec vous.

Quand je suis arrivé pour la première fois au camp, j’ai pu constater qu’il s’agissait d’un camp fermé accueillant principalement des enfants. On dit que le camp compte 62 000 habitants, dont plus de 40 000 enfants.

Les travailleurs humanitaires sont fouillés par les forces de sécurité avant d’entrer et de sortir du camp. Il fallait souvent plus d’une heure pour franchir la barrière, dans un sens comme dans l’autre. L’Annexe est une partie distincte du camp. C’est là que sont détenus des ressortissants de pays tiers qui ne sont ni syriens ni irakiens. Les restrictions d’accès aux services et de liberté de circulation sont beaucoup plus strictes dans l’Annexe que dans le camp principal. Au début de mon séjour là-bas, avant que les autorités locales ne terminent l’installation de la clôture autour de l’Annexe, des enfants nous surveillaient de l’intérieur. Seul un petit fossé séparait l’Annexe du camp principal. Les enfants devraient jouer et grimper, mais ces enfants-là nous observaient, sachant qu’il ne fallait pas traverser le fossé. Je me demande quelles expériences les avaient conduits à obéir si strictement à la signification du fossé.

MSF fournit de l’eau, des services d’assainissement et des soins médicaux dans le camp. Nos activités d’assainissement et d’approvisionnement en eau comprennent la surveillance des infrastructures, la chloration, la surveillance et la distribution de l’eau, ainsi que le nettoyage des latrines et des réservoirs d’eau. Parmi nos activités médicales il y a le traitement de la malnutrition en milieu hospitalier et en  ambulatoire, les soins à domicile pour les maladies chroniques, les soins des plaies, l’éducation sanitaire, une clinique du diabète, ainsi que des soins de santé primaires complets dans l’Annexe. En cas de besoin, lorsque les autres acteurs de la santé ne sont pas présents, nous traitons les patients en urgence médicale dans notre centre de nutrition hospitalier.

Nous collaborons avec d’autres ONG du domaine de la santé qui fournissent d’autres formes de soins médicaux d’urgence par le biais d’un système d’orientation dans le camp. C’est un défi d’orienter un patient vers un hôpital à Hassakeh, la ville la plus proche située à une heure de route, pour des soins spécialisés ou plus intensifs que ce que l’on peut prodiguer dans le camp. Les cas orientés à Hassakeh sont gérés par une autre ONG et ne sont autorisés que s’il s’agit d’urgences critiques, et en autant qu’un garde militaire soit dans le véhicule avec le patient et qu’un autre membre de la famille soit disposé à rester dans une salle de détention du camp en tant que garant. Pendant mon séjour à Al Hol, aucun patient n’était autorisé à être accompagné d’un membre de sa famille, pas même des enfants, peu importe l’âge.

Un matin au travail, j’ai aperçu un panache de fumée au-dessus du camp, non loin de notre centre de santé. J’ai demandé à un collègue ce qui se passait.

« C’est un incendie. » Il a regardé son téléphone pour obtenir plus d’informations. « Il y a trois enfants dans la tente… c’était un défi majeur de les sortir. »

J’ai regardé la fumée, en état de choc. Le dangereux mélange de tentes inflammables et de radiateurs à combustible fait que les enfants meurent beaucoup trop souvent brûlés vifs.

Le camp est un endroit dangereux où vivre. Depuis le début de 2021, une cinquantaine de personnes ont été tuées intentionnellement dans le camp. Pendant que j’y travaillais, j’ai été frappé par le stress psychologique des gens qui essaient de survivre au jour le jour, en craignant pour leur vie et celle de leurs enfants, un état qui n’est qu’aggravé par le désespoir qui entoure l’incertitude de leur avenir.

L’accès aux soins de santé est très limité par les autorités locales. On peut seulement accéder aux soins dans l’Annexe entre 9 h et 14 h. Il y a quelques cliniques mobiles, et notre clinique permanente est installée juste à l’extérieur de l’Annexe. Pour accéder à la clinique de MSF, les femmes et les enfants doivent passer par un poste de contrôle armé. Souvent, nous voyions ces femmes se faire agresser verbalement et physiquement sur le chemin de la clinique, un obstacle majeur à l’accès aux soins de santé. Les patients qui devaient être orientés afin d’obtenir des soins plus poussés ont souvent dû attendre ou se sont fait refuser le transfert en raison d’un système d’orientation lourd et limité.

MSF a obtenu l’autorisation de la part des autorités locales d’entrer dans l’Annexe pour y mener des activités d’assainissement et d’approvisionnement en eau. Ce fut un choc de voir l’Annexe de mes propres yeux. On rapporte que l’Annexe compte environ neuf mille personnes, et on peut immédiatement constater que les deux tiers de ce nombre sont des enfants. Il y a des enfants partout, qui s’ennuient et qui n’ont nulle part où jouer et être stimulés. De nombreux enfants ont été vus à grimper sur des camions-citernes qui passaient. De vastes étendues d’eau stagnante, des femmes qui ont du mal à pousser leurs chariots dans la boue après avoir ramassé des articles au marché. Des tentes qui s’enfoncent dans la boue – il est évident que l’eau y entre quand il pleut. Des tas d’ordures partout.

Ce n’est certainement pas un endroit à montrer à un enfant, et encore moins un endroit où l’élever.