An MSF health promoter in Madudu waits for his colleagues to return from sharing information about Ebola. © MSF/Sam Taylor
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Ouganda : un épidémiologiste de MSF répond à 3 questions sur l’Ebola

Il y a maintenant 12 jours que le dernier cas confirmé d’Ebola, un enfant mort-né d’une mère ayant survécu à la maladie, a été signalé en Ouganda. Depuis le 20 septembre, date à laquelle l’épidémie d’Ebola de souche Soudan a été déclarée, MSF mène une intervention pour lutter contre le virus.

Nous avons notamment construit des centres et des unités de traitement Ebola et soutenu le ministère ougandais de la Santé avec la gestion des cas dans ces établissements. Nous avons également mené des activités de sensibilisation communautaire telles que la promotion de la santé et les mesures de contrôle et prévention des infections dans les établissements où des malades se sont présentés pour obtenir des soins avant leur diagnostic.

Denis Ardiet travaille pour Epicentre, la division d’épidémiologie de MSF. Il coordonne actuellement une équipe de sept épidémiologistes qui participent à la riposte contre Ebola en Ouganda. Son travail implique une analyse rigoureuse de la situation épidémiologique et des différents scénarios possibles afin d’améliorer la réponse de MSF et du ministère ougandais de la Santé.

 

Ce que les épidémiologistes font pour aider à endiguer les épidémies d’Ebola

Lors d’une épidémie, les épidémiologistes documentent chaque cas et chacun des contacts associés pour faire un suivi de temps et de lieu, et veiller ainsi à ce que la compréhension globale de la propagation du virus soit aussi complète que possible.

Leur travail consiste à collecter des données et à produire des cartes et des courbes épidémiologiques, ce qui contribue à informer les équipes d’intervention de MSF au quotidien.

Des enquêtes approfondies des antécédents de chaque personne ayant contracté le virus Ebola doivent être effectuées pour les relier aux cas précédents et anticiper l’endroit où la maladie pourrait se propager, en fonction des mouvements et des contacts antérieurs.

De plus, les épidémiologistes s’efforcent de comprendre le contexte et de recueillir des données qualitatives sur les perceptions communautaires des mesures préventives et des politiques d’intervention en cas d’éclosion.

Enfin, MSF soutient le ministère ougandais de la Santé en partageant sa compréhension et l’interprétation de cette information dans une perspective globale.

 

Quelle est la tendance actuelle de l’épidémie en Ouganda?

 

En ce qui a trait aux tendances, nous avons vu deux pics importants dans l’épidémie. Le premier s’est produit en septembre dans le district de Mubende, premier épicentre de cette épidémie, puis un second pic a suivi dans le district voisin de Kassanda. Bien que les cas dans ces deux districts représentent à eux seuls 80 de tous les cas détectés jusqu’à présent dans cette épidémie, neuf districts ont au total été touchés dans le pays. Il s’agit de la plus grande propagation géographique d’Ebola que l’Ouganda ait jamais connue.

Après une forte augmentation des cas en octobre (86 cas en quatre semaines), l’épidémie a ralenti ces dernières semaines en termes de nombre de nouveaux cas confirmés (14 cas en quatre semaines en novembre). Cependant, le fait que plusieurs cas recensés n’étaient liés à aucune chaîne de transmission connue nous préoccupent. Cela signifie en effet que l’infection à Ebola a été acquise d’une source qui était inconnue au moment de l’identification, et que ces cas n’avaient pas été anticipés comme ils auraient dû l’être avec la recherche des contacts et le suivi. L’épidémie s’est donc propagée à deux nouveaux districts, soit Masaka et Jinja.

Le suivi des contacts est extrêmement important pour contrôler une épidémie. Lorsque nous identifions à temps toutes les personnes qui ont été en contact avec un cas confirmé, nous pouvons surveiller leur état de santé et, si des symptômes liés à Ebola apparaissent, les aider à trouver rapidement des soins dans le bon établissement. Pourtant, selon les données du ministère de la Santé, seulement 64 % environ des contacts ont été suivis au départ, ce qui indique des lacunes dans cette partie cruciale de l’intervention. Bien que la tendance épidémiologique globale soit maintenant positive, la situation demeure préoccupante et la vigilance s’impose quant à ce qui pourrait encore se produire.

 

Quels sont les futurs scénarios possibles? Quels efforts seront nécessaires?

 

La situation pourrait évoluer de différentes façons. Tout est encore possible…

Le premier scénario : une tendance continue à la baisse et aucun nouveau cas à l’approche de la fin de l’épidémie.

Le deuxième scénario : de nouveaux cas qui apparaissent occasionnellement ici et là, peut-être dans différents districts.

Et le troisième scénario : une augmentation des nouveaux cas qui laisse entrevoir un autre pic de transmission.

Tous ces scénarios exigeront des réponses opérationnelles correspondantes de la part des équipes de MSF et du ministère de la Santé avec lesquelles nous travaillons en étroite collaboration. Nous reposons largement sur leurs données, d’autant plus que nous n’effectuons pas nos propres tests de laboratoire ni nos propres enquêtes sur les cas. Ensemble, nous travaillons à instaurer des mesures de surveillance médicale qui sont essentielles pour l’intervention.

La meilleure façon pour MSF de soutenir les autorités sanitaires ougandaises dépend des besoins de la situation actuelle. Nous devons évaluer ce qui est le plus logique, et une approche d’équipe d’intervention rapide à plus petite échelle pourrait être adoptée. On pourrait opter pour une approche davantage communautaire, plus près de l’endroit où vivent les personnes infectées, plutôt que de mettre en place d’importants centres de traitement dans les districts.

Il est également essentiel de s’assurer que les soins non Ebola se poursuivent dans les zones touchées et que la prise en charge curative et préventive des cas de paludisme soit en place, étant donné que les premiers symptômes d’Ebola et du paludisme sont similaires. Nous aidons le ministère de la Santé à renforcer la capacité de détection et d’isolement des cas dans les établissements de santé existants pour qu’il soit en mesure de réagir rapidement à toute nouvelle alerte ou à tout nouveau cas, et de réduire rapidement les risques de propagation. Du côté communautaire, le ministère de la Santé soutient la surveillance de la santé pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de transmission continue. Tous ces efforts doivent être maintenus avec vigilance jusqu’à ce que l’on déclare l’épidémie officiellement terminée, après 42 jours sans nouveaux cas, soit deux fois la période d’incubation d’Ebola de 21 jours.

Il est toujours difficile de prévoir la fin d’une épidémie puisqu’on fait face à l’inconnu. Nous ne détenons jamais toutes les pièces du casse-tête épidémiologique, et nous ne pouvons que nous assurer de recueillir autant d’informations pertinentes que possible. Nous connaissons la situation épidémiologique et pouvons voir que la courbe épidémique redescend, ce qui est bien. Mais derrière cette courbe, il peut y avoir des événements et des informations que nous ne connaissons pas, et c’est la partie difficile à éclaircir. Quoi qu’il en soit, nous devons constamment nous préparer à réagir pour répondre à toute alerte ou tout nouveau cas.

 

Une diminution rapide des cas est-elle inhabituelle dans les épidémies d’Ebola?

 

Ce n’est pas vraiment inhabituel puisque cela a été observé lors d’autres épidémies, mais cela reste surprenant compte tenu de tous les éléments inconnus en jeu dans l’épidémie ougandaise. Une telle diminution peut refléter le fait que la transmission s’est arrêtée grâce à une combinaison de plusieurs facteurs, y compris la réponse à l’épidémie et les actions communautaires. Cette épidémie me rappelle un peu celles de Conakry, en Guinée, en 2015, ou de Beni, en République démocratique du Congo, en 2020. Les autorités sanitaires et leurs partenaires, y compris MSF, peinaient aussi à suivre tous les contacts à l’époque et malgré des tendances à la baisse, les derniers cas ont surgi sporadiquement pendant quelques mois.

Il est important de souligner que dans plusieurs districts, le faible taux initial de suivi des cas en Ouganda s’est en fait amélioré au cours des dernières semaines. Bien que ce soit un bon signe, il semble toujours que la réponse se concentre sur l’adhésion de la communauté au suivi, que ce soit par la quarantaine obligatoire ou l’isolement à domicile. Il semble par ailleurs que les appels quotidiens peuvent effrayer les gens, surtout lorsque des messages de santé empathiques et complets qui expliquent la raison d’être de ces mesures ne sont pas d’emblée partagés. Les activités de promotion de la santé et de sensibilisation communautaire jouent un rôle essentiel pour combler ce manque de confiance et s’assurer que les gens ont suffisamment d’informations sur Ebola pour se protéger, protéger leurs communautés et mieux comprendre les mesures qui doivent être appliquées.

Dans toute épidémie, y compris dans celle de COVID-19, la perspective de devoir être séparé de sa famille et de ses amis, isolé et envoyé dans une unité de traitement Ebola entraîne habituellement beaucoup d’inquiétude. La promotion de la santé et l’engagement communautaire contribuent à atténuer les rumeurs et les craintes tout en soutenant la prévention de la transmission communautaire.