© Mohamad Cheblak/MSF
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Lettre ouverte aux chefs des partis fédéraux du Canada

Alors que la population canadienne se prépare à voter aux élections fédérales de cette année, je vous écris en tant que représentant de Médecins Sans Frontières (MSF) pour vous rappeler que, dès son entrée en fonction, le prochain gouvernement du Canada devra répondre immédiatement à un grand nombre de crises mondiales, que ce soient des épidémies, des catastrophes naturelles, des conflits armés ou les répercussions humanitaires des changements climatiques. Étant l’une des plus importantes organisations médicales et humanitaires indépendantes d’urgence au Canada – et dans le monde – MSF continuera d’insister pour que le Canada respecte ses obligations humanitaires internationales et demandera instamment au prochain gouvernement de perpétuer une longue tradition de leadership fondé sur l’éthique pour répondre aux crises mondiales.

La pandémie de COVID-19 a montré que le Canada ne peut se reposer sur ses lauriers en ce qui concerne la santé publique à l’échelle mondiale. Il doit veiller à ce que les patients et les systèmes de santé du monde entier puissent obtenir les médicaments et les vaccins dont ils ont besoin. Depuis le début de la pandémie, les gouvernements – dont celui du Canada – ont investi des milliards de dollars dans la recherche et le développement des vaccins contre la COVID-19 qui sont utilisés aujourd’hui. Pourtant, la lutte internationale contre la COVID-19 se heurte à l’heure actuelle à des inégalités profondes et inexcusables, avec les populations des pays à faible revenu toujours largement privées des stocks limités de vaccins qui sont disponibles dans le monde. Les gouvernements avaient pourtant la possibilité d’exiger un accès équitable, abordable et à l’échelle mondiale aux vaccins contre la COVID-19 de la part des sociétés pharmaceutiques qui en contrôlent désormais l’accès, mais ils ne l’ont pas fait.

Cette mauvaise décision politique en matière de santé publique ne se limite malheureusement pas à la COVID-19. Depuis des dizaines d’années, le personnel médical de MSF voit des personnes se faire refuser des traitements contre des maladies mortelles en raison des prix inabordables fixés par les sociétés pharmaceutiques en quête de profits, et ce, alors même que ces médicaments ont été mis au point grâce à des fonds publics, y compris des médicaments découverts au Canada comme l’insuline.

Le Canada doit exiger de l’industrie pharmaceutique un accès plus équitable, rapide et abordable aux nouveaux médicaments et vaccins à l’échelle mondiale, mais doit aussi assumer davantage ses responsabilités pour en faire une réalité. À court terme, le Canada doit continuer à faire profiter de son vaste excédent de vaccins contre la COVID-19 les personnes qui ne sont toujours pas protégées contre le virus ailleurs dans le monde. Le prochain gouvernement fédéral du Canada doit prendre des mesures pour faire augmenter les stocks mondiaux de vaccins contre la COVID-19, notamment en apportant son appui à une proposition faite devant l’Organisation mondiale du commerce visant à lever temporairement les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, produits thérapeutiques et instruments de diagnostic contre la COVID-19 jusqu’à ce que la pandémie prenne fin.

À plus long terme, le Canada doit tirer des leçons des erreurs commises dans ses politiques d’innovation pendant la pandémie. Il doit mettre fin au cycle dans lequel des fonds publics sont investis pour l’élaboration de médicaments qui sont ensuite vendus à des prix inabordables aux patients qui en ont besoin, ou pour l’élaboration de vaccins qui sont par la suite abandonnés ou ne verront jamais le jour. Tandis qu’au sortir de la pandémie de COVID-19, le Canada cherche à faire renaître son industrie de la biofabrication, il doit absolument veiller à ce que tous les fonds investis concordent avec les priorités de santé publique au niveau mondial et soient assortis de conditions pour que les patients du monde entier – y compris au Canada – puissent se procurer en temps opportun des médicaments et des vaccins abordables que la population canadienne a contribué à financer. Les équipes de MSF ont encouragé l’utilisation du vaccin rVSV-ZEBOV contre Ebola découvert au Canada et suivent de près l’élaboration d’autres vaccins découverts au Canada contre d’autres menaces de santé publique, telles que la fièvre de Lassa, la maladie de Marburg et autres. Pour veiller à ce que la R et D et l’innovation médicales au Canada aient des retombées positives pour les patients, nous avons besoin de politiques privilégiant leur accès. La population canadienne est en droit de demander que la R et D médicale financée par l’État soit utilisée pour les besoins de la santé publique, et non pour des profits privés.

C’est pourquoi l’an dernier, MSF a lancé une pétition exigeant que le gouvernement canadien prenne des mesures simples afin d’ajouter dans ses accords de financement de la R et D médicale des conditions liées à la facilité d’accès et à la tarification abordable des produits pharmaceutiques. Ceci permettra à l’échelle mondiale de garantir un accès équitable et abordable aux médicaments, vaccins et autres technologies de santé mis au point avec des fonds publics canadiens. Cette pétition signée par 91 206 personnes a été remise à la ministre de la Santé du Canada en octobre 2020.

Aujourd’hui, près d’un an plus tard, il est temps que ces paroles se traduisent en actes. Chaque jour qui passe sans que le gouvernement du Canada ne daigne faire ce simple changement dans ses politiques de financement de la R et D est un jour de plus pendant lequel le Canada continue de privilégier les profits des sociétés pharmaceutiques au détriment de sa responsabilité envers la population canadienne et la santé des gens à travers le monde.

Depuis les dernières élections fédérales de 2019, la pandémie de COVID-19 a démontré à quel point le Canada et le monde entier dépendaient de la R et D médicale pour stimuler les innovations dont nous avons besoin pour répondre aux crises de santé publique et sauver des vies. La pandémie a également révélé à quel point les entreprises à but lucratif de ce secteur sont prêtes à faire passer leurs propres intérêts financiers avant les besoins de santé publique et la vie des gens dans le monde.

J’aimerais profiter de cette occasion pour rappeler à tous les partis concourant aux élections fédérales du Canada que le prochain gouvernement de ce pays a le pouvoir de changer radicalement cet état de fait, en prenant des mesures immédiates en faveur d’un système pharmaceutique mondial plus équitable et en exigeant un retour sur investissement pour les fonds publics octroyés à la R et D médicale.

Je vous prie de recevoir mes sincères salutations.

Joseph Belliveau 

Directeur général 

Médecins Sans Frontières Canada