Tchad : les voix des femmes des camps dâAboutengue et de Metche
Des femmes prĂȘtes Ă tout pour sauver leur famille dans un contexte de guerre brutale au Soudan
Depuis le dĂ©but de la guerre au Soudan en 2023, plus de 550â000 Soudanais et Soudanaises ont fui vers lâest du Tchad. Ces personnes ont fui de violentes attaques ethniques, des violences brutales et des meurtres. La plupart de celles qui ont fui vers le Tchad Ă©taient des femmes et des enfants, car les hommes ont Ă©tĂ© tuĂ©s, sont dĂ©tenus ou ont disparu au Soudan. Les femmes soudanaises, qui Ă©taient les seules Ă subvenir aux besoins de la famille, assument dĂ©sormais lâentiĂšre responsabilitĂ© de la prise en charge de celle-ci.
Vivant dans des conditions Ă©pouvantables dans des camps situĂ©s dans des zones dĂ©sertiques isolĂ©es, comme Metche et Aboutengue, ces familles dĂ©pendent entiĂšrement de lâassistance humanitaire. Depuis des mois, la rĂ©ponse humanitaire dans lâest du Tchad sâavĂšre totalement inadĂ©quate. Les personnes rĂ©fugiĂ©es peinent Ă avoir accĂšs aux services de base essentiels, tels que la nourriture et lâeau. Elles vivent dans des conditions inacceptables et indignes, ce qui les expose davantage Ă des risques en matiĂšre de santĂ© et de protection.
Ă Metche et Aboutengue, les Ă©quipes de MĂ©decins Sans FrontiĂšres (MSF) fournissent des soins maternels et pĂ©diatriques, traitent les enfants contre la malnutrition et prodiguent des soins primaires. De plus, les Ă©quipes chargĂ©es de lâeau et de lâassainissement distribuent la majeure partie de lâeau dans les camps. MalgrĂ© les efforts de MSF, la rĂ©ponse humanitaire est insuffisante et lâorganisme nâa cessĂ© de rĂ©clamer une intensification immĂ©diate pour rĂ©pondre aux immenses besoins. Ce recueil de tĂ©moignages rappelle avec force le courage et la dĂ©termination inĂ©branlable de ces femmes qui ont protĂ©gĂ© leurs familles en fuyant les violences ethniques au Darfour. Elles ont fui lors des attaques brutales Ă El Geneina Ă la mi-juin 2023. Elles ont entrepris le dangereux voyage vers le Tchad voisin, arrivant au camp de personnes rĂ©fugiĂ©es dâAboutengue et Metche vers le mois de juillet 2023.
« Je pense que si je nâavais pas menti en disant que jâĂ©tais une Masalit, nous serions morts ce jour-lĂ . »

« Ce jour-lĂ [le 16 juin], jâĂ©tais Ă la maison avec nos deux enfants et mon mari Ă©tait Ă lâextĂ©rieur. De nombreux hommes armĂ©s ont attaquĂ© et pillĂ© la rĂ©gion. Ils ont pris notre voiture et sont entrĂ©s dans notre maison. Ils mâont menacĂ©e en pointant une arme sur ma nuque et mâont demandé : âDe quelle tribu ĂȘtes-vous?â Nous sommes de la tribu des Masalits, mais pour sauver nos vies, jâai niĂ© la vĂ©ritĂ© et rĂ©pondu : âJe suis de Borgo, je ne suis pas une Masalitâ. Ils mâont forcĂ©e Ă parler la langue de Borgo pour sâassurer que je disais la vĂ©ritĂ©. Heureusement, jâai rĂ©ussi Ă prononcer quelques mots et ils mâont laissĂ©e partir. Certains de mes voisins sont de la tribu Borgo et, au fil des ans, jâai appris quelques mots dâeux, juste au cas oĂč. Je pense que si je nâavais pas menti en disant que jâĂ©tais une Masalit, nous serions morts ce jour-lĂ . »
« Jâavais entendu dire par des voisins que lors dâattaques prĂ©cĂ©dentes, les hommes armĂ©s avaient ordonnĂ© Ă des garçons de sortir de la maison et les avaient tuĂ©s, uniquement en raison de leur sexe. Certains avaient mĂȘme vĂ©rifiĂ© les pantalons des petits garçons. Nous avons donc pris lâhabitude dâhabiller nos garçons en filles. Ayoub avait environ un an Ă lâĂ©poque, mais je lâai quand mĂȘme habillĂ© en fille, pour quâil ne soit pas blessé ».
« Avant de quitter notre maison, ils ont pris tout ce quâils pouvaient voler. Puis ils mâont dit de partir en disant : âTu nâes pas en sĂ©curitĂ© ici parce quâune autre Ă©quipe dâhommes armĂ©s arrive, et ils sont plus frustrĂ©s. Vous devez partir maintenant.â Je nâavais pas beaucoup de temps, alors jâai pris mes enfants et les quelques affaires que je pouvais emporter, comme des vĂȘtements pour enfants. Mais au cours de notre voyage vers la frontiĂšre, les hommes armĂ©s les ont Ă©galement volĂ©s â ils ne nous permettent pas de passer la frontiĂšre avec quoi que ce soit. »
« Lorsque jâai quittĂ© la maison, jâai vu beaucoup de personnes mortes sur la route. Certains corps Ă©taient en dĂ©composition. CâĂ©tait horrible Ă voir. Certains de mes voisins avaient Ă©tĂ© tuĂ©s. Jâai fui avec les autres personnes survivantes. En chemin, jâai rĂ©ussi Ă retrouver mon mari et nous nous sommes joints Ă la foule de personnes qui fuyaient ensemble. Nous avons Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s deux fois en chemin. Des gens ont Ă©tĂ© tuĂ©s. La premiĂšre fois, des hommes armĂ©s ont commencĂ© Ă tirer sur la foule. Mon mari a reçu une balle dans le pied droit â il pouvait Ă peine marcher. La deuxiĂšme fois, des hommes armĂ©s nous ont Ă nouveau attaquĂ©s. Ils mâont donnĂ© des coups de pied et ont frappĂ© mon mari avec un bĂąton. AprĂšs cela, il pouvait Ă peine bouger et jâai essayĂ© de le porter autant que possible avec mon bĂ©bĂ© Ayoub dans les bras. Une femme a gentiment proposĂ© de sâoccuper de ma fille Aya pendant que je mâefforçais de porter mon mari et mon fils. »
« Lors de la derniĂšre Ă©tape de notre voyage, jâai essayĂ© de retrouver ma fille en criant son nom dans la foule. Enfin, nous lâavons trouvĂ©e, toujours avec la femme qui sâĂ©tait occupĂ©e dâelle. Je me suis sentie soulagĂ©e. Au village, jâai Ă©galement rencontrĂ© lâarmĂ©e qui mâa dit de laisser mon mari sur place et dâaller Ă AdrĂ© pour demander de lâaide Ă lâhĂŽpital. Il nous a fallu quatre jours pour arriver Ă AdrĂ©. Ă lâhĂŽpital, nous avons Ă©tĂ© pris en charge par les Ă©quipes mĂ©dicales [soutenues par MSF] et avons Ă©tĂ© opĂ©rĂ©s et soignĂ©s. Câest lĂ que nous avons appris que le bras et la jambe gauches de mon mari Ă©taient paralysĂ©s Ă vie, Ă cause des coups reçus. »
« Nos enfants sont traumatisĂ©s par tout ce quâils ont vu en chemin. Lorsquâils entendent des coups de feu ou des bruits forts, mĂȘme des voix fortes, ils se cachent et se bouchent les oreilles en pleurant. LâaĂźnĂ© ne cesse de poser des questions sur ce qui sâest passĂ©, sur les raisons pour lesquelles nous nâĂ©tions pas en sĂ©curitĂ© et sur ce qui va se passer maintenant. »
« à El Geneina, avant la guerre, notre vie Ă©tait belle. JâĂ©tais sage-femme Ă lâhĂŽpital et mon mari Ă©tait un homme dâaffaires qui vendait des voitures. Une fois que le Soudan sera sĂ»r, nous rentrerons parce que la vie ici est si difficile, nous souffrons sans accĂšs aux Ă©lĂ©ments de base : la nourriture, lâeau, lâĂ©cole, le travail. Nous nâavons pas de lits, pas de matelas, nous manquons de beaucoup de choses. La seule nourriture que nous recevons provient des organisations humanitaires. Parfois, des personnes de la communautĂ© nous soutiennent et nous donnent un peu de nourriture. Mais il nây a rien que nous puissions faire ici, il nây a pas de travail, pas de terres, il nây a aucun moyen pour nous de nous sauver. Je suis la seule Ă mâoccuper de ma famille. Mon mari ne peut pas se dĂ©placer Ă cause de sa paralysie, alors je dois tout faire : porter lâeau, trouver de la nourriture, etc. »
Son mari a fondu en larmes en écoutant les paroles de sa femme.
« Ici, dans le camp, nous nâavons rien. Parfois, mes enfants doivent mĂȘme mendier de la nourriture. »

« TĂŽt le matin, des hommes armĂ©s ont attaquĂ© notre maison », raconte Gamera. « Ils ont appelĂ© mes trois fils dans une piĂšce et nous [les femmes] ont fait quitter la maison. Je les ai suppliĂ©s de ne pas tuer mes fils, je leur ai dit quâils Ă©taient innocents, car ils les accusaient dâĂȘtre des espions. Mais câest alors que jâai entendu les coups de feu. Lorsque je suis revenue Ă la maison, jâai vu les corps allongĂ©s sur le sol. Lâun de mes fils avait reçu une balle dans la poitrine, lâautre dans la tĂȘte et le troisiĂšme dans le cou. Les hommes armĂ©s mâont ensuite menacĂ©e en me mettant un couteau sous la gorge et ont volĂ© notre argent et nos tĂ©lĂ©phones. Ils ont mĂȘme examinĂ© mon corps pour voir si je ne cachais rien. En partant, ils ont mis le feu Ă la maison. »
« Nous avons fui Ă pied dâEl Geneina jusquâĂ la frontiĂšre avec le Tchad. Nous avons vu de nombreuxApres quelques cadavres en chemin. Il y avait beaucoup de monde et nous nous sommes perdus dans le flot des gens. Ce nâest quâaprĂšs avoir franchi la frontiĂšre que nous nous sommes retrouvĂ©s », poursuit Gamera. « Nous nâavons pas pu trouver dâeau potable. CâĂ©tait la saison des pluies, et nous avions trouvĂ© de lâeau de pluie en chemin, et nous dormions sous les arbres la nuit Ă cause des averses. Nous avions quelques vĂȘtements avec nous, mais les hommes armĂ©s ne nous ont pas permis de traverser la frontiĂšre avec ceux-ci. ArrivĂ©s Ă AdrĂ©, nous avons trouvĂ© refuge dans une Ă©cole. Une organisation nous a donnĂ© de la nourriture et a vaccinĂ© les enfants. »
Jeta poursuit : « Mon pĂšre [le mari de Gamera] a Ă©tĂ© tuĂ© il y a deux ans lors dâune prĂ©cĂ©dente attaque violente, et mon mari a disparu Ă peu prĂšs Ă la mĂȘme Ă©poque â je ne sais pas sâil est mort ou vivant. Mes deux garçons, Abdel Aman et Mohamad, sont donc les seuls hommes qui restent dans la famille. Jâai fait ce que jâai pu pour les protĂ©ger pendant notre fuite. Je les ai habillĂ©s avec des vĂȘtements de filles pour quâils ne soient pas tuĂ©s. Mais mon aĂźnĂ© a Ă©tĂ© dĂ©couvert et battu jusquâĂ ce quâil tombe dans le coma. JâĂ©tais trĂšs inquiĂšte, mais quand nous avons rĂ©ussi Ă atteindre AdrĂ©, il a Ă©tĂ© soignĂ© Ă lâhĂŽpital [soutenu par les Ă©quipes de MSF] et il va mieux maintenant. »Â
« AprĂšs quelques semaines Ă AdrĂ©, je suis moi-mĂȘme tombĂ©e malade et jâai passĂ© une vingtaine de jours Ă lâhĂŽpital [soutenues par les Ă©quipes de MSF]. Ce nâest quâaprĂšs cela que nous avons Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s au camp dâAboutengue. Jâai pu mâenregistrer officiellement comme personne rĂ©fugiĂ©e et jâai obtenu un abri pour moi et mes cinq enfants. Ma mĂšre [Gamera] nâa pas Ă©tĂ© enregistrĂ©e directement et nâa donc rien â elle reste avec nous. Mais nous nâavons pas assez, nous dĂ©pendons Ă 100 % de ce que les organisations humanitaires nous donnent. Parfois, mes enfants doivent mendier de la nourriture dans le camp. Ils ne vont pas Ă lâĂ©cole, ils ne font rien ici », raconte Jeta avec Ă©motion. Ă leur arrivĂ©e au camp dâAboutengue en juillet, la fille cadette de Jeta, Sana, souffrait de malnutrition aiguĂ« sĂ©vĂšre. Elle a Ă©tĂ© traitĂ©e avec succĂšs dans le cadre du programme dâalimentation thĂ©rapeutique de lâhĂŽpital dâurgence [mis en place par les Ă©quipes de MSF].
« Notre vie au Soudan Ă©tait agrĂ©able. Nous avions notre maison, suffisamment de nourriture et de confort. Nous travaillions. JâĂ©tais nounou et femme de mĂ©nage. MĂȘme si nous pouvions retourner au Soudan, tout est dĂ©truit maintenant â que ferions-nous? Que va-t-il nous arriver maintenant? Nous ne nous sentons en sĂ©curitĂ© nulle part. Oui, câest mieux ici que les massacres au Soudan, mais il y a parfois de la criminalitĂ© dans le camp. Nous nâavons aucune protection, si ce nâest entre nous. Câest pire pour mes enfants, ils ont toujours peur, pleurent et paniquent chaque fois quâils entendent un bruit fort », conclut Jeta.
« Le jour oĂč nous avons fui, je nâai jamais pensĂ© que nous arriverions en vie : jâai vu tant de gens morts dans la rue. »

« La guerre sâest intensifiĂ©e lâannĂ©e derniĂšre, mais il y avait dĂ©jĂ des violences dans notre rĂ©gion avant. Ces derniĂšres annĂ©es, ma maison a Ă©tĂ© incendiĂ©e quatre fois. Mon mari a Ă©tĂ© tuĂ© en 2022, et lâun de mes fils a Ă©tĂ© tuĂ© en mai 2023. Il nâavait que 10 ans. Il a Ă©tĂ© abattu dans la rue et a succombĂ© Ă ses blessures Ă lâhĂŽpital trois jours plus tard. Alors, quand jâai entendu parler de nouvelles attaques dans notre quartier [en juin 2023], jâai quittĂ© ma maison avec mes deux derniers enfants et je nây suis jamais retournĂ©e », raconte Nafissa.
« Jâai habillĂ© mon fils de 11 ans avec les vĂȘtements de sa sĆur et nous sommes partis ensemble Ă pied. Je nâavais pris que deux couvertures, quelques vĂȘtements et un bidon dâeau. Mais les hommes armĂ©s mâont tout pris en chemin, en disant : âPersonne nâemporte rien au Tchadâ. Dans les rues, nous avons vu beaucoup de cadavres. Nous suivions la foule de gens, il y avait beaucoup de monde. Ă un moment donnĂ©, nous marchions vers Ardamatta pour nous y rĂ©fugier [lĂ oĂč se trouvait lâarmĂ©e]. Nous avons entendu des coups de feu, des hommes armĂ©s ont commencĂ© Ă tirer sur la foule, les gens couraient partout. Câest Ă ce moment-lĂ que jâai perdu ma fille. Elle avait tellement peur quâelle a couru avec les autres », raconte Nafissa, peinĂ©e.
« Le lendemain, je marchais sur la route avec mon fils lorsque des hommes armĂ©s nous ont arrĂȘtĂ©s. Ils ont essayĂ© de le blesser avec un couteau, mais jâai enroulĂ© un tissu autour de ma main et jâai rĂ©ussi Ă dĂ©vier la lame et Ă le protĂ©ger. Ils ont ensuite donnĂ© un nouveau coup de couteau et mâont coupĂ© la jambe », dĂ©crit Nafissa, en faisant un geste. « Ils ont ensuite vu un homme Ă une certaine distance de nous, et ils sont allĂ©s le tuer. Câest Ă ce moment-lĂ que jâai rĂ©ussi Ă mâenfuir avec mon fils. Câest comme ça, ils tuent dâabord les hommes, ensuite les femmes. Donc, dâune certaine maniĂšre, cet homme mâa sauvĂ© la vie avec la sienne. »
« Je nâarrivais pas Ă y croire lorsque nous avons atteint la frontiĂšre Ă AdrĂ©. Le jour oĂč nous nous sommes enfuis, je nâai jamais pensĂ© que nous arriverions en vie : jâai vu tant de gens morts dans la rue. Dans chaque groupe de personnes voyageant ensemble, certaines se feront tirer dessus et dâautres parviendront Ă atteindre AdrĂ©. Mais Ă un moment ou Ă un autre, nous avons tous pensĂ© que nous allions mourir en chemin », explique Nafissa. « à la frontiĂšre, jâai retrouvĂ© ma fille, elle Ă©tait Ă©puisĂ©e et effrayĂ©e, mais jâĂ©tais tellement soulagĂ©e quâelle soit en vie. »
« ArrivĂ©e Ă AdrĂ©, je pouvais Ă peine faire un pas de plus. Jâavais plusieurs blessures aux pieds Ă cause de la marche. Mes enfants et moi avons trouvĂ© refuge dans une Ă©cole. On nous a officiellement enregistrĂ©s en tant que personnes rĂ©fugiĂ©es auprĂšs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s. Quelques semaines plus tard, nous avons Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s dans le camp pour personnes rĂ©fugiĂ©es dâAboutengue. Comme nous nâavions pas dâabri officiel, dâautres personnes rĂ©fugiĂ©es mâont aidĂ©e Ă en fabriquer un avec des bouts de bois et des nattes. Il nây a pas de travail pour moi ici, je suis donc entiĂšrement dĂ©pendante de lâassistance humanitaire. Au Soudan, jâĂ©tais commerçante sur les marchĂ©s, je vendais des choses comme des tamir [beignets]. »
Lorsque nous discutons avec Nafissa, elle est assise dans les restes de son abri incendiĂ©. « Câest la cinquiĂšme fois que ma maison brĂ»le depuis le dĂ©but des violences au Darfour », explique-t-elle. « à chaque fois, je perds tout. Cette fois-ci, je ne sais pas ce qui a causĂ© lâincendie. Un jour, jâĂ©tais au marchĂ© du camp, mes enfants Ă©taient Ă lâĂ©cole sous lâarbre du Ouaddi, et quand je suis revenue, tout Ă©tait en feu. Une fois de plus, la communautĂ© du camp mâa donnĂ© des choses et mâa aidĂ©e Ă construire un nouvel abri, mais jâai peur que cela ne dure pas avec lâarrivĂ©e de la saison des pluies », conclut-elle.
Amira (14 ans), la fille de Nafissa, dont elle a Ă©tĂ© sĂ©parĂ©e pendant leur voyage vers le Tchad, explique : « Jâaime bien Ă©tudier avec lâĂ©cole sous les arbres ici, dans le Ouaddi. Jâapprends les mathĂ©matiques, lâhistoire, lâarabe, les Ă©tudes islamiques et lâanglais. Ma matiĂšre prĂ©fĂ©rĂ©e est lâarabe. Mes cahiers et mes vĂȘtements ont brĂ»lĂ© dans lâincendie. Je dois trouver un moyen dâobtenir un nouveau cahier pour lâĂ©cole ». Elle poursuit : « Au Soudan, jâavais deux meilleures amies. Aujourdâhui, lâune dâelles est ici, dans une autre partie du camp. Lâautre est dans le camp de Metche, mais je nâai aucun moyen de la contacter. »
« Dans le camp, nous ne sommes pas tuĂ©s, mais nous nâavons rien Ă manger. »

« Lâaugmentation de la violence dans mon quartier Ă©tait horrible. Je ne peux pas compter combien de personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es dans les rues, par des coups de feu et des bombes. Le jour de lâattaque de ma maison, jâai commencĂ© Ă courir, mon plus jeune enfant attachĂ© Ă mon dos. Il y avait tellement de monde dehors que jâai perdu mes autres enfants et mon mari. Je me souviens mâĂȘtre rendue Ă Ardamatta dans la nuit, mais des hommes armĂ©s nous attendaient. Le matin, ils ont criĂ© âpersonne ne bougeâ et nous ont dit de laisser notre argent et nos armes. Puis ils ont commencĂ© Ă tirer sur la foule. Les gens couraient partout. CâĂ©tait le chaos, les gens arrivaient par vagues. Les hommes armĂ©s nous ont dit de faire demi-tour et de prendre la route vers lâouest, celle qui va vers le Tchad. »
« Dans le village suivant, jâai rĂ©ussi Ă retrouver mes enfants â ils avaient pu rester ensemble et se soutenir les uns les autres. Ils avaient soif, ils avaient faim, ils Ă©taient fatiguĂ©s et ils avaient peur. Ils pleuraient. Mais jâĂ©tais tellement soulagĂ©e. Jâavais cru que je ne les reverrais jamais; jâavais cru quâils avaient Ă©tĂ© tuĂ©s. Je me suis sentie si heureuse et si soulagĂ©e de les retrouver ».
« ArrivĂ©s Ă AdrĂ©, nous avons trouvĂ© refuge dans lâĂ©cole. Six jours plus tard, jâai retrouvĂ© mon mari Ă lâhĂŽpital [soutenu par les Ă©quipes de MSF]. Dans la foule qui courait, il avait reçu une balle dans le bras. Ă lâhĂŽpital, il a Ă©tĂ© opĂ©rĂ© avec des fixations internes, des vis et des plaques. Il y a passĂ© un mois pour se rĂ©tablir, mais aujourdâhui il Ă©prouve toujours de la douleur et il ne peut pas soulever des objets lourds comme le jerrycan pour lâeau. Je dois donc mâoccuper de lui. »Â
« Nous sommes arrivĂ©s dans le nouveau camp Ă la mi-juillet de lâannĂ©e derniĂšre. Comment le dĂ©crire? Au moins, il nây a pas de bombes ni de coups de feu. Nous ne sommes pas tuĂ©s, mais nous nâavons rien Ă manger. Certains jours, nous ne mangeons pas du tout. Nous dĂ©pendons entiĂšrement de lâassistance humanitaire, surtout pour la nourriture », explique Ghalia. « Lâeau est Ă©galement un grand problĂšme. La file dâattente pour lâeau est trĂšs longue, je dois me lever tĂŽt et placer mon jerrycan dans la file dâattente pour pouvoir obtenir de lâeau plus tard. Au Soudan, nous Ă©tions des agriculteurs. Mais ici, Ă Aboutengue, il nây a rien, nous sommes au milieu de nulle part. La seule chose que jâai trouvĂ©e comme travail, câest dâaider Ă construire des briques â pour cela, je ne gagne que quelques centaines de francs CFA [lâĂ©quivalent de moins dâun dollar]. »Â
« Aujourdâhui, câest encore difficile pour nos enfants. Ils nâont rien Ă faire, ils ne vont pas Ă lâĂ©cole. Ils continuent Ă poser des questions pour comprendre ce qui sâest passĂ© pendant la guerre. Ils mâont dit que lorsquâils ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s de moi pendant le voyage jusquâici, ils ont vu beaucoup de cadavres sur le chemin, y compris des enfants. Ils mâont dit que des hommes armĂ©s leur avaient demandé : âOĂč est votre pĂšre? OĂč sont ses armes?â  Ils avaient peur. Mon fils de cinq ans se rĂ©veille la nuit avec des cauchemars en criant : âIls arrivent!â. Ma fille de sept ans, Maria, [sur la photo] pleure plusieurs fois par jour », explique Ghalia.
Maria dit quâelle aime aller Ă lâĂ©cole et surtout apprendre lâanglais. Elle est fiĂšre de rĂ©citer lâalphabet en anglais. « Plus tard, je veux devenir mĂ©decin », affirme-t-elle.
« Jâaime Ă©tudier, mais je ne peux plus, car je dois mâoccuper de mes sĆurs. »

« Nous avons fui El Geneina en juin de lâannĂ©e derniĂšre. CâĂ©tait trĂšs difficile. Mon pĂšre a Ă©tĂ© tuĂ©. Pendant les attaques, nous avons quittĂ© la maison avec ma famille, mais nous nous sommes perdus en chemin. JâĂ©tais avec trois de mes sĆurs, en portant la plus jeune sur mon dos. Dans la rue, nous avons croisĂ© des hommes armĂ©s qui ont pris deux de mes sĆurs. Ils les ont blessĂ©es, mais… nous ne pouvons pas en parler », dit Gisma, peinĂ©e. « Je nâavais pas dâautre choix que de fuir. »
« Nous avons traversĂ© la frontiĂšre et sommes arrivĂ©s pieds nus Ă AdrĂ©, car nous ne pouvions rien emporter. Nous Ă©tions Ă©puisĂ©s, nous avions soif et nous pleurions. Des gens nous ont aidĂ©s et nous ont donnĂ© de lâeau. Une gentille dame a partagĂ© sa nourriture avec nous. Je me suis sentie soulagĂ©e dâatteindre la frontiĂšre, surtout quand jâai rencontrĂ© Ă nouveau mes sĆurs et ma mĂšre. »Â
« Nous Ă©tudions sous lâarbre dans le Ouaddi [un lit de riviĂšre assĂ©chĂ©]. Mais je nây vais plus, car je dois mâoccuper de mes sĆurs. Ma mĂšre essaie de retourner au Soudan pour prendre tout ce quâelle peut prendre pour notre survie. Nous nâavons rien ici, câest trĂšs dur de vivre », explique Gisma. « à lâavenir, je veux travailler pour une organisation humanitaire afin de pouvoir aider. Mais je ne sais pas vraiment ce qui va mâarriver dans le futur. »Â
« La nourriture que nous avons reçue lors de la derniÚre distribution est déjà épuisée. Je me sens limitée et impuissante. »

Je mâappelle Malak, jâai 39 ans. Il Ă©tait 4 heures du matin, un vendredi, et mon mari mâa dit quâil y aurait une attaque. Il mâa dit : « Prends les enfants et va chez ta sĆur, et moi je vais dans les jardins (El Geinena) ».
« Je nâĂ©tais pas dâaccord, mais il est allĂ© lĂ -bas, oĂč il a Ă©tĂ© tuĂ©. CâĂ©tait un innocent. Moi, mes frĂšres et ses frĂšres, nous lâavons cherchĂ© pendant quatre jours. Finalement, nous avons senti une odeur Ă©trange Ă lâendroit oĂč nous le cherchions. Ils ont cherchĂ© jusquâĂ ce quâils le trouvent et nous ont dit que son corps Ă©tait lĂ . Il sâappelait Jaafar et avait 42 ans. Ă lâĂ©poque, il y avait beaucoup de tireurs, alors ses frĂšres et quelques voisins sâĂ©taient faufilĂ©s pour rĂ©cupĂ©rer son corps afin que nous puissions lâenterrer. »
« Quand je suis arrivĂ©e Ă AdrĂ©, je nâai pas trouvĂ© ma mĂšre et trois de mes enfants. Je les ai cherchĂ©s pendant quatre jours. Quand jâai enfin retrouvĂ© ma mĂšre, elle Ă©tait dans un Ă©tat lamentable. Jâai retrouvĂ© mes enfants. Nous sommes restĂ©s deux mois Ă AdrĂ©, jusquâĂ ce que nous nous installions ici, Ă Metche, oĂč jâai donnĂ© naissance Ă mon enfant. »
« Nous avons beaucoup de difficultĂ©s Ă nous procurer de la nourriture et de lâeau. Maintenant, je suis seule avec mes huit enfants, sans ma mĂšre et mes sĆurs, parce que nous nous sommes sĂ©parĂ©es. Elle est Ă AdrĂ© et moi ici. Ma mĂšre ne peut pas vivre ici, elle a le diabĂšte. Cela fait six mois que je ne lâai pas vue. »
« Nous nâavons pas dâaffaires. Nous sommes venus avec ces vĂȘtements. Au Soudan, nous vivions mieux et les gens sâentraidaient. Maintenant, nous nâavons plus rien, ma maison a brĂ»lĂ©. Ici, nous ne pouvons pas nous entraider et nous nâavons aucune source de revenus. Nous nâavons rien. »
« Si je trouve un emploi, je travaillerai. Aujourdâhui, nous dĂ©pendons entiĂšrement des organisations; nous mangeons du pain de maĂŻs, des haricots Ă Ćil noir et nous recevons un peu dâeau. La nourriture que nous avons reçue lors de la derniĂšre distribution est dĂ©jĂ Ă©puisĂ©e. Je me sens limitĂ©e et impuissante. Je nâai aucune source de revenus pour acheter de la nourriture. JâespĂšre retourner au Soudan en paix et en sĂ©curitĂ©. »
« Toutes les responsabilités me reviennent. Je suis maintenant la mÚre et le pÚre ».

« Je mâappelle Ruqaya, jâai 25 ans. Jâai perdu mon mari Ă El Geneina le 15 juin [2023], lorsque les combats se sont intensifiĂ©s ce jour-lĂ . Il est portĂ© disparu, tout comme sa famille. Jâai deux enfants et les conditions de vie sont trĂšs difficiles. Je nâai personne pour nous soutenir. Toutes les responsabilitĂ©s me reviennent. Je suis maintenant la mĂšre et le pĂšre. Je suis responsable de la nourriture, de lâeau, du logement et du traitement si les enfants tombent malades. Je dois tout gĂ©rer et mâoccuper de tout par moi-mĂȘme. Les gens ici ont faim et soif. Il nây a pas de nourriture. Il nây a pas de sĂ©curitĂ© au Soudan et nous ne pouvons pas y retourner. Nous vivons au jour le jour. »
« Je ne sais pas si mon mari est vivant ou mort. Je ne sais pas oĂč se trouvent les membres de notre famille. Nous avons Ă©tĂ© dispersĂ©s entre le Soudan et ici, et nous nâavons aucune nouvelle dâeux. Je veux rechercher mon mari et obtenir des rĂ©ponses pour savoir sâil est vivant ou mort. Il sâappelle Issam et a 45 ans. Il a les yeux verts, mais il nâest pas grand. »