MSF medical mobile teams vaccinating Elderly people and frontline Healthcare workers in a nursing home in Tripoli. © Mohamad Cheblak/MSF
PARTAGEZ

Vaccins contre la COVID-19 : Un accès mondial équitable est nécessaire de toute urgence

La COVID-19 est une crise de santé publique mondiale dévastatrice, en particulier dans les régions du globe où les systèmes de santé étaient déjà fragiles avant même le début de la pandémie. La vaccination est la clé pour vaincre cette maladie.

Le développement rapide de plusieurs vaccins contre la COVID-19 a été une réalisation sans précédent et remarquable. Toutefois, nous voyons déjà à quel point l’accès mondial à ces vaccins est profondément inéquitable. L’accès est déterminé non pas en fonction des niveaux de risque pour la santé publique, mais en fonction de la richesse.

Si les pays à faible revenu sont négligés, tout le monde sera en danger

Les pays riches qui peuvent se les permettre achètent la majeure partie des vaccins disponibles pour l’approvisionnement mondial. Ainsi, les pays à faible revenu, qui sont incapables de payer les mêmes prix élevés, ne peuvent faire concurrence. Ils se retrouvent donc en queue de peloton, dans de nombreux cas incapables de vacciner même leurs travailleurs de la santé de première ligne, et dépendants de plans encore peu clairs entourant les dons de vaccins.

Ce n’est pas de cette manière qu’il faut répondre à une pandémie mondiale.

Distribuer des vaccins en fonction des intérêts commerciaux des sociétés pharmaceutiques qui les fabriquent — des entreprises qui ont déjà reçu des milliards de dollars en financement des gouvernements du monde entier — est une approche imparfaite qui laissera le virus se propager de manière relativement incontrôlée à travers les pays incapables d’accéder aux vaccins dont ils ont besoin.

Non seulement cela est inéquitable, mais c’est aussi une mauvaise décision de santé publique : à mesure que le virus se propage, il continuera d’évoluer, ce qui augmente les probabilités que le monde soit confronté à de nouveaux variants contre lesquels nos vaccins actuels ne seront plus aussi efficaces.

MSF appelle à un accès mondial équitable aux vaccins contre la COVID-19

Depuis des décennies, Médecins Sans Frontières (MSF) attire l’attention sur les disparités mondiales en matière d’accès aux médicaments (en anglais). Nous avons pu voir comment même les besoins sanitaires urgents dans le monde restent souvent non satisfaits dans des pays pauvres, car ceux-ci ne représentent pas des marchés rentables pour les sociétés pharmaceutiques.

En ce qui concerne la COVID-19, la situation n’est pas seulement moralement inacceptable, elle est aussi nuisible pour la santé publique mondiale.

Il n’y a pas de plan mondial pour garantir à chacun l’accès à un vaccin

Le problème est qu’aucun plan n’existe pour garantir que tous les pays auront accès aux vaccins dont ils ont besoin.

En effet, la logique mercantile du système pharmaceutique mondial actuel considère les vaccins — même dans le contexte d’une pandémie qui ne sera pas terminée que si elle est terminée partout — non pas comme des biens publics essentiels, mais plutôt comme des produits à distribuer uniquement dans le cadre de contrats d’achat privés ou de dons.

Mais d’agir comme si les circonstances étaient normales ne protégera pas les personnes les plus vulnérables du monde, ni ne contribuera à mettre fin à cette pandémie. Or, dans le contexte actuel qui est tout sauf normal, MSF appelle à l’adoption d’une approche différente de la distribution des vaccins, qui serait axée sur les vies sauvées plutôt que sur la recherche de profits.

Qui reçoit les vaccins contre la COVID-19?

Le déploiement des vaccins contre la COVID-19 a suscité de nombreuses questions du public envers les gouvernements du monde entier.

Qui se fait vacciner en premier? Qui fournit les vaccins? Combien de temps faudra-t-il pour que tout le monde soit vacciné?

À l’heure actuelle, la majeure partie de l’offre mondiale de vaccins contre la COVID-19 est destinée à un groupe relativement restreint de pays plus riches, qui ont pu conclure leurs propres contrats d’achat bilatéraux avec les fabricants de vaccins, généralement à des prix qui ne sont pas divulgués.

Le Canada, pour sa part, a signé des contrats pour acheter suffisamment de doses pour vacciner cinq fois l’ensemble de sa population. Malgré la lenteur initiale dans la réception de ces doses, le Canada est maintenant en voie de vacciner tous ses habitants qui souhaitent se faire vacciner d’ici l’automne 2021.

Une grande partie du reste du monde n’aura pas cette chance.

On estime que d’ici la fin de 2021, par exemple, tous les pays qui dépendent entièrement du  mécanisme COVAX, un système mondial mis en place pour aider les pays à revenu intermédiaire et faible à accéder aux vaccins contre la COVID-19 (en anglais), ne devraient avoir reçu que suffisamment de doses pour vacciner moins de sept pour cent de leur population.

Même lorsque le programme complet de distribution du COVAX sera finalement déployé, il ne couvrira que 20 % des populations ciblées, et il n’y a pas encore de plan clair en place pour la manière dont les autres recevront les vaccins. Les attentes actuelles de nombreux pays sont qu’une couverture suffisante ne sera pas possible avant au moins 2023.

Cela signifie que bon nombre des personnes les plus vulnérables dans les pays à faible revenu ne recevront un vaccin que bien après les personnes les moins vulnérables dans les pays à revenu élevé. Cette situation est inacceptable.

Le mécanisme COVAX : Comment le Canada a aidé les pays à faible revenu à négocier un meilleur accès aux vaccins — puis leur a fait concurrence

Le principal effort mondial pour s’attaquer à l’accès inéquitable aux vaccins contre la COVID-19 est le mécanisme COVAX, une initiative où les pays à revenu élevé et à faible revenu sont regroupés en un seul grand acheteur, ce qui permet d’attribuer les doses disponibles en même temps à tous les pays en fonction de ce qui est nécessaire pour vacciner les populations les plus vulnérables de chacun.

Le Canada a été l’un des premiers et des plus fervents partisans du COVAX, et est aussi un pays participant — un engagement important pour rendre cette initiative viable, puisque le mécanisme dépend de la participation de pays plus riches.

Cependant, le COVAX a eu du mal à obtenir suffisamment de financement et de doses pour atteindre son premier objectif de couvrir 3 % de la population des pays participants au premier semestre 2021. Cela s’explique en partie par le fait que les pays comme le Canada, en plus de participer au COVAX, ont également conclu leurs propres contrats d’achat bilatéraux privés, faisant ainsi directement concurrence au COVAX et minant au passage tout le principe d’accès équitable aux vaccins.

À l’heure actuelle, le COVAX est l’un des seuls moyens pour de nombreux pays à faible revenu d’acquérir les vaccins dont ils ont besoin pour contrer la COVID-19. Il est essentiel que ce mécanisme puisse fonctionner correctement, qu’il soit suffisamment financé et que les pays plus riches ayant leurs propres contrats d’achat n’entravent pas davantage l’approvisionnement des pays qui dépendent du COVAX.

Pour en savoir plus sur le rôle du Canada dans les vaccins contre la COVID-19 et le COVAX :

Non aux brevets en temps de pandémie : La propriété intellectuelle, l’Organisation mondiale du commerce et le « vaccin du peuple »

Pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 à l’échelle mondiale, il faudra mobiliser et améliorer la capacité de production partout pour garantir qu’un nombre maximal de doses puisse être fabriqué et distribué équitablement au plus bas prix possible — pour tous dans le monde, y compris les Canadiens.

Pour y parvenir, il faut que les sociétés pharmaceutiques partagent sans tarder leur technologie, leur savoir-faire, leur matériel biologique et leur propriété intellectuelle avec d’autres fabricants qualifiés.

Les entreprises comme Moderna, Pfizer, BioNTech, AstraZeneca, NovaVax et Johnson & Johnson — qui dirigent la production de vaccins contre la COVID-19 et qui ont reçu des milliards de dollars en fonds publics de la part des gouvernements du monde entier pour développer ces vaccins — ont un choix à faire : soit elles défendent leur monopole et refusent à des centaines de millions de personnes un accès rapide à ces vaccins capables de sauver des vies, soit elles s’engagent à offrir un « vaccin du peuple » en augmentant l’accès, l’approvisionnement et l’accessibilité du vaccin pour toutes les populations du monde.

MSF et la proposition de dérogation aux monopoles durant la pandémie de COVID-19 à l’Organisation mondiale du commerce :

En octobre dernier, l’Inde et l’Afrique du Sud ont proposé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une dérogation aux droits de propriété intellectuelle pour toutes les nouvelles technologies de la santé en lien avec la COVID-19 pour la durée de la pandémie. Cela permettrait aux pays de choisir de ne pas accorder ni faire respecter des brevets pouvant entraver la production et l’approvisionnement de vaccins, de médicaments et d’autres outils médicaux contre la COVID-19. Si elle est adoptée, la dérogation enverrait un important signal aux fabricants potentiels pour qu’ils puissent commencer à produire les outils médicaux essentiels contre la COVID-19, sans craindre d’être bloqués par des brevets ou d’autres monopoles.

Mais alors que plus de 100 pays membres de l’OMC soutiennent la proposition, un petit nombre de pays, dont le Canada et d’autres pays qui ont déjà obtenu les doses de vaccin dont ils ont besoin pour leur population, y font obstacle. MSF les exhorte à cesser de s’opposer et à faire en sorte ce que la proposition de dérogation soit acceptée le plus rapidement possible

La vie avant le profit : Comment le Canada peut agir contre l’iniquité dans l’accès aux vaccins

Récemment, MSF a été invitée à parler directement aux parlementaires canadiens sur les risques et les impacts mondiaux de la COVID-19 un an après le début de la pandémie. Le Dr Jason Nickerson, conseiller aux affaires humanitaires de MSF Canada, s’est adressé aux membres du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes en disant :

« Si nous échouons à distribuer équitablement ces vaccins, nous échouons face à la santé publique mondiale. C’est aussi simple que cela. Ce serait moralement catastrophique et représenterait un risque important pour la santé publique de tous, y compris des Canadiens. »

Jason nickersonconseiller aux affaires humanitaires de msf

À la lumière des difficultés rencontrées par le mécanisme COVAX pour accéder à suffisamment de doses pour ses participants, un tel échec est extrêmement susceptible de se produire en raison des failles inhérentes de notre système actuel de développement et de distribution de médicaments essentiels. « Faut-il le rappeler », a déclaré le Dr Nickerson au Comité, « le mécanisme COVAX existe uniquement parce que le système mondial actuel qui assure le développement, la fabrication et la distribution de nouveaux médicaments et vaccins est déficient. Il est organisé pour maximiser les profits. De par sa structure, l’industrie pharmaceutique ne peut réagir rapidement face aux agents pathogènes émergents ayant un potentiel pandémique, ni intensifier la fabrication de nouvelles technologies de la santé pour répondre à la demande mondiale, et comme nous le voyons aujourd’hui et depuis des décennies, ni garantir un accès équitable aux nouveaux médicaments et vaccins, en particulier pour les habitants des pays économiquement pauvres. »

Que peut faire le Canada face à cet enjeu?

MSF a fait trois recommandations au Comité de la santé :

1. Établir un échéancier public pour rendre ses doses de surplus de vaccins contre la COVID-19 disponibles pour une utilisation dans les pays à faible revenu afin d’y vacciner les travailleurs de la santé et d’autres personnes à haut risque.

2. Assortir le financement accordé pour développer de nouveaux médicaments et vaccins de conditions pour qu’ils soient disponibles pour les populations du monde entier à des prix abordables et équitables.

3. Demander à ce que le directeur parlementaire du budget examine tous les médicaments et vaccins qui ont été découverts et mis au point avec un financement public canadien pour comprendre si, sous un autre modèle de production, nous pourrions avoir des options plus abordables et plus accessibles afin de répondre aux besoins de santé publique, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde.

Le financement public de la R et D médicale au Canada : Un changement s’impose

Au cœur de ces recommandations se trouve le fait que chaque année, le gouvernement du Canada investit des millions de dollars dans l’innovation en santé, que ce soit par l’entremise de ses propres laboratoires ou pour soutenir le secteur canadien de la R et D médicale. En 2020, le gouvernement du Canada a consacré plus d’un milliard de dollars à la seule recherche sur la COVID-19. Avec un tel niveau d’investissement public, il est possible de créer de nouvelles technologies de la santé en se laissant guider par les besoins de santé publique plutôt que par la recherche des profits.

Le problème est que le Canada ne fait presque rien actuellement pour garantir que ces investissements de fonds publics aboutissent à des produits qui seront accessibles au public. En fait, les innovations médicales financées par le Canada sont le plus souvent attribuées sous licence ou simplement vendues à des entreprises privées sans aucune condition.

Voilà pourquoi MSF et ses sympathisants — y compris les plus de 91 000 Canadiens qui ont signé notre pétition « La vie avant le profit » adressée au gouvernement canadien l’an dernier demandent au Canada d’assortir de conditions le financement qu’il accorde à la R et D médicale, exigeant des bénéficiaires qu’ils garantissent l’abordabilité, la disponibilité et l’accessibilité des médicaments et vaccins développés avec des fonds publics pour ceux qui en ont le plus besoin.

C’est ainsi que le Canada peut commencer à agir concrètement et aider à ce que des médicaments essentiels comme les vaccins contre la COVID-19 deviennent des biens publics essentiels et non des actifs privés.