Lors d'une intervention chirurgicale, les spécialistes de MSF travaillent ensemble pour prodiguer des soins vitaux à un patient sous anesthésie à l'hôpital de Salama. RDC, 2023. © MSF
PARTAGEZ

Des voix discrètes : les jeunes victimes d’Ituri, une province déchirée par le conflit

Soaade Messoudi
Conseiller en communication et plaidoyer

Depuis des décennies, la province d’Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), est en proie à des cycles récurrents de violences. Depuis la mi-février, on assiste à une recrudescence des attaques, dont beaucoup ciblent les personnes civiles, faisant de nombreuses victimes, en particulier des femmes et des enfants. En réponse aux besoins médicaux critiques de la population de cette province, Médecins Sans Frontières (MSF) a mis en place en juin 2023 un centre spécialisé en chirurgie traumatologique et postopératoire à l’hôpital de Salama, à Bunia. Un tiers des 863 personnes traitées par les équipes de MSF à Bunia entre juin et décembre 2023 étaient des victimes directes de ces violences.

« En pénétrant dans l’enceinte de l’hôpital Salama de Bunia, on est immédiatement frappé par une atmosphère d’effervescence. À l’extérieur, les familles des patients et des patientes cuisinent et font la vaisselle dans de grands seaux en plastique ; à l’intérieur, les couloirs sont animés et toutes les chambres sont occupées. Beaucoup ont des blessures très visibles – certains individus portent des fixations externes qui semblent douloureuses sur leurs bras, leurs épaules ou leurs jambes ; d’autres ont des membres dans le plâtre ou des bandages.

En plus de la chirurgie traumatologique et des soins orthopédiques, le centre de MSF à l’hôpital de Salama traite les victimes de brûlures et d’accidents de la route. Cette décision a été prise en raison du nombre important de ces types de blessures et de l’absence de soins médicaux spécialisés dans d’autres parties de la province.

Alors qu’un médecin nous fait visiter l’hôpital, nous entendons les cris persistants et déchirants d’un enfant. Incapable d’ignorer ce terrible appel, je regarde par une porte et vois un petit garçon d’environ cinq ans assis sur un lit, sous une moustiquaire.

Je demande alors : « Pourquoi pleure-t-il? ». Une infirmière explique que le garçon veut à tout prix se lever pour vérifier s’il peut encore marcher correctement. Il souffre de graves brûlures aux jambes et à la poitrine à la suite d’un accident domestique. Mais sa grand-mère, assise à côté de lui, a refusé, respectant à la lettre l’avis des médecins qui lui conseillent de rester au lit, assis ou allongé, les jambes tendues.

Le médecin propose à la grand-mère de laisser l’enfant marcher un peu, ce qui est sans danger pour lui, et elle cède. La vieille dame et l’infirmière soulèvent doucement l’enfant du lit. Avec prudence, il traverse la pièce, comme le ferait un vieillard, d’un pas hésitant. Le soulagement sur son visage est palpable. Lorsque nous l’encourageons et l’applaudissons, il est visiblement de meilleure humeur. Quand nous quittons la salle après l’avoir salué, il a retrouvé le sourire.

Plus loin dans le couloir, nous rencontrons un autre enfant, Christelle*, deux ans. Elle est blottie dans les bras de sa mère, trouvant du réconfort dans le bruit et l’agitation de l’hôpital. Christelle et sa mère, Clarisse*, viennent du village de Drodro, qui a récemment été le théâtre de violences intercommunautaires. À première vue, rien ne semble aller mal pour l’enfant, mais sa mère nous raconte leur histoire, une histoire terrible.

« Ma fille a été victime d’un groupe armé dans notre village, explique Clarisse. Soudain, j’ai vu des hommes entrer dans la cour où j’étais assise avec mes cinq enfants et leur grand-mère. Lorsque j’ai réalisé qu’ils étaient armés de fusils et de machettes, j’ai pris peur et j’ai immédiatement rassemblé mes enfants en panique. J’ai attrapé la main de ma fille aînée et d’un autre de mes enfants et j’ai couru sans me retourner. »

Clarisse marque une pause et reprend son souffle. Visiblement traumatisée, elle poursuit en évitant tout contact visuel : « J’ai réussi à atteindre la maison voisine et à y entrer, mais la grand-mère des enfants est arrivée trop tard. Les hommes armés l’ont saisie et lui ont coupé le bras avec une machette. La petite a crié de peur et a également été blessée par ces hommes sans pitié, qui ont essayé de la tuer à la machette. »

Christelle a été grièvement blessée au dos, aux cuisses et à un bras. Sa grand-mère, sérieusement blessée, a réussi à se réfugier dans la brousse pour se cacher.

« De la fenêtre, je pouvais voir les hommes armés se diriger vers les maisons voisines, un peu plus loin dans la rue », raconte Clarisse. « Je suis rapidement sortie pour ramener ma fille blessée à l’intérieur, puis je suis allée chercher la grand-mère, et nous nous sommes à nouveau enfermés dans la maison jusqu’à tard dans la soirée. Lorsque les hommes armés ont quitté le village, nous avons cherché de l’aide. Les forces de la MONUSCO (les forces de maintien de la paix de l’ONU) nous ont escortés jusqu’au centre de santé MSF à Drodro, d’où nous avons été immédiatement transférés à l’hôpital ici à Bunia. »

En regardant la fillette dans les bras de sa mère, je suis bouleversée par ce qu’elle a vécu. Aucun enfant ne devrait subir de telles souffrances et de tels traumatismes. Pourtant, ce sont les femmes et les enfants qui subissent le plus durement le conflit dans l’est de la RDC, avec d’horribles exactions commises quotidiennement. »

Selon les Nations Unies, la RDC est l’une des cinq zones de conflit où le nombre de violations graves à l’encontre des enfants est le plus élevé, avec les Territoires palestiniens occupés, la Somalie, la Syrie et l’Ukraine.

Depuis ses débuts, le projet de MSF a joué un rôle important pour sauver des vies. Il a aussi offert des soins adaptés et de qualité pour réduire le niveau de handicaps fonctionnels auxquels les patientes et les patients pourraient, autrement, être confrontés pour le reste de leur existence.

*Les noms ont été modifiés.