L’une des plus graves crises humanitaires au monde se déroule dans l’est de la République démocratique du Congo
Le Canada et d’autres pays doivent réagir
Ces derniers mois, un nombre impressionnant d’urgences internationales très médiatisées ont accaparé l’attention. Au cœur de ces urgences, une importante crise humanitaire a causé, au cours des deux dernières années, des souffrances considérables dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), loin des regards du monde.
Depuis mars 2022, environ 1,6 million de personnes vivant en RDC, près des frontières avec le Rwanda et l’Ouganda, ont été déplacées en raison de la résurgence d’un conflit impliquant plusieurs groupes armés. La cause immédiate de cette situation a été la réapparition, à la fin de l’année 2021, d’un groupe connu sous le nom de M23. Depuis, ce dernier a combattu d’autres groupes armés, y compris les forces armées nationales de la RDC, et a gagné d’importantes parts de territoire. Cette escalade de la violence a marqué une nouvelle phase dans un conflit préexistant et complexe qui avait déjà poussé de nombreuses personnes à quitter leur foyer dans l’est de la RDC. On estime ainsi à 5,6 millions le nombre de personnes déplacées par les groupes armés dans les provinces de l’est, dont 2,5 millions dans la seule province du Nord-Kivu, qui est l’épicentre des combats actuels.
L’absence de réaction de la communauté internationale
Les niveaux élevés de violence et de déplacements qui sévissent dans le Nord-Kivu (et dans les provinces voisines du Sud-Kivu et de l’Ituri) constituent déjà une crise majeure. L’absence de toute forme de réponse internationale adéquate à la situation à laquelle sont confrontées les personnes civiles dans l’est de la RDC a créé une catastrophe humanitaire majeure qui dépasse désormais largement le seul cadre du conflit.
Déjà présente dans le pays avant l’escalade récente du conflit, Médecins Sans Frontières (MSF) a été le témoin direct d’une partie de l’impact des combats et de l’absence de réponse de la part du monde. Depuis 2022, les activités d’assistance médicale humanitaire d’urgence offertes par MSF dans tout l’est de la RDC ont été considérablement intensifiées, afin de répondre à l’augmentation massive des besoins humanitaires.
En 2023, MSF a offert 1,5 million de consultations médicales dans le Nord et le Sud-Kivu, dont 557 000 consultations d’urgence dans le cadre de nouveaux programmes lancés en réponse à l’évolution de la crise.
Ce que nous voyons est un rappel choquant du manque d’intérêt apparent de la communauté internationale envers une urgence qui cause d’immenses souffrances et qui met en danger des millions de vies. Les individus fuyant la violence sont arrivés en grand nombre dans les sites formels et informels de personnes déplacées à l’intérieur du Nord-Kivu. Des centaines de milliers ont cherché refuge dans des camps de personnes déplacées à l’extérieur de la ville de Goma, la capitale provinciale, où de nombreuses ONG internationales et agences des Nations Unies ont des bureaux. Il s’agit précisément du type d’urgence massive à laquelle le système humanitaire international devrait répondre. Composé d’un grand nombre de ces mêmes ONG et agences, ce système international existe justement pour réagir aux urgences en fournissant aux personnes fuyant les crises et les conflits des services essentiels comme l’eau, des latrines, de la nourriture, des abris et de la protection.
L’absence de réponse humanitaire aggrave les souffrances des gens
Pourtant, les conditions de vie dans ces sites sont épouvantables : peu ou pas d’accès à l’eau potable pour la consommation ou l’hygiène, des latrines insuffisantes et surchargées, un accès très insuffisant à la nourriture et une forte exposition à la violence, notamment sexuelle. La situation est encore pire dans les nombreux sites de déplacement plus éloignés de Goma, où de nombreuses personnes restent confinées sans autre endroit où aller. MSF se retrouve souvent pratiquement seule sur ces sites pour tenter de répondre aux besoins humanitaires.
Ces conditions conduisent directement à ce que les équipes de MSF constatent à travers leurs activités médicales : augmentation de la malnutrition, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans; épidémies de maladies mortelles comme le choléra et la rougeole, exacerbées par le manque d’accès à l’eau potable; besoins de soins en traumatologie pour les personnes touchées par la violence. Le plus alarmant est l’ampleur des violences sexuelles commises non seulement dans les zones de conflit de l’est de la RDC, mais aussi dans les camps où les gens ont cherché refuge. En 2023, les équipes de MSF ont fourni des soins médicaux à plus de 25 000 personnes ayant survécu à des violences sexuelles en RDC. À un moment, en mai dernier, les équipes de MSF traitaient 70 cas de violences sexuelles par jour, rien que dans les camps de Goma, un chiffre que l’on suppose en réalité bien plus élevé si l’on tient compte des cas non signalés.
Trop peu, trop tard
Tout cela nous ramène directement à l’absence de réponse humanitaire à cette situation d’urgence, et ce, malgré la présence de nombreuses agences dont la responsabilité est de répondre à ce type de besoins. L’échec n’est pas imputable à ces organisations, dont plusieurs, aux côtés de MSF, font tout ce qu’elles peuvent avec les ressources dont elles disposent. Le problème est le manque de financement : le système humanitaire international, y compris les agences des Nations Unies qui sont censées mener ces réponses, dépend presque entièrement des gouvernements donateurs – dont celui du Canada – pour financer leurs activités d’assistance humanitaire. Lorsqu’une nouvelle situation d’urgence aiguë comme celle-ci survient, une allocation supplémentaire de ressources doit être accordée, afin de ne pas détourner l’attention de toutes les autres activités urgentes déjà en cours.
Ce financement n’a toutefois pas été fourni et les communautés de l’est de la RDC ont été essentiellement laissées à elles-mêmes. Il y a eu quelques tentatives d’intensification de la réponse humanitaire autour de Goma. Mais même en tenant compte de la complexité du contexte dans le cadre d’un conflit violent et dynamique, c’était souvent trop peu trop tard, alors même que les besoins continuent de croître. Jusqu’à présent, la communauté internationale n’a pas réussi à réagir à cette situation dans la mesure de la crise humanitaire urgente qu’elle représente.
Le soutien du Canada est nécessaire
Devant ce constat, MSF a demandé publiquement au Canada d’accorder la priorité à cette situation d’urgence. En octobre dernier, des milliers de sympathisants et de sympathisantes ont envoyé des lettres aux membres du Parlement, aux représentants et aux représentantes du gouvernement pour demander au Canada d’allouer immédiatement des fonds supplémentaires d’aide humanitaire pour cette crise. En janvier, nous avons lancé une pétition parlementaire demandant au Canada d’augmenter son assistance humanitaire pour la RDC en 2024, par rapport aux niveaux de l’année dernière, afin d’aider les agences d’aide à répondre aux besoins accrus. Nous avons également fait remarquer qu’en tant que pays doté d’une Politique d’aide internationale féministe, le Canada en particulier devrait donner la priorité à une crise dans laquelle les femmes et les filles sont exposées à des risques aussi importants, notamment en raison de la violence sexuelle et basée sur le genre.
Heureusement, le Canada semble effectivement y prêter attention. Le 11 avril, le ministre du Développement international, Ahmed Hussen, a annoncé une série d’initiatives canadiennes de financement en RDC, dont 27 millions de dollars destinés aux « partenaires humanitaires pour les aider à répondre aux besoins essentiels des populations touchées par la crise ». Mais on ne sait pas encore si cela équivaudra à la pleine augmentation du financement humanitaire supplémentaire que cette crise exige. Le gouvernement fédéral a en effet jusqu’au mois de juin pour répondre officiellement à la pétition parlementaire de MSF. Tant que le Canada tout comme les autres donateurs et donatrices ne reconnaîtront pas l’ampleur de cette situation d’urgence, et ne prendront pas les mesures nécessaires pour y remédier, les communautés de l’est de la RDC continueront de vivre une double crise. Les gens continueront de souffrir d’un manque d’accès aux besoins fondamentaux tels que la nourriture, l’eau et les abris, cela s’ajoutant aux traumatismes infligés par le conflit lui-même.
MSF ne peut pas agir seule
En tant qu’organisation indépendante financée par des dons privés, MSF ne dépend pas des gouvernements pour financer ses activités. Elle continuera donc d’intensifier ses interventions pour répondre au mieux aux besoins dans l’est de la RDC. Bien que MSF reçoive des fonds du gouvernement canadien pour son travail dans d’autres régions de la RDC, nous n’acceptons aucun financement gouvernemental pour notre travail au Nord-Kivu ou au Sud-Kivu. Cela, afin de maintenir une large reconnaissance de notre indépendance, de notre neutralité et de notre impartialité dans un tel contexte de conflit.
Nous fournissons notamment des soins aux personnes civiles blessées, des programmes de nutrition thérapeutique pour les enfants souffrant de malnutrition et des traitements pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles. Nous fournissons également des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement et nous répondons aux épidémies de choléra, de rougeole et d’autres maladies.
Mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous – et plus encore les personnes civiles affectées dans l’est de la RDC – avons besoin de toute urgence de l’aide internationale. Nous ne pouvons pas tourner le dos à tant de personnes privées des besoins humains fondamentaux nécessaires à leur survie. Il est temps que le Canada et les autres gouvernements agissent.