Allocution : MSF attire l’attention sur trois crises humanitaires urgentes sur fond d’inaction mondiale devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne
Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins médico-humanitaires aux personnes qui ont été forcées de fuir leur foyer en raison de la violence, d’un conflit, de la persécution et, de plus en plus, des changements climatiques. Nos équipes prodiguent des soins médicaux essentiels à des personnes en déplacement à chaque étape de leur périlleux voyage, comme des soins chirurgicaux et traumatologiques, des soins de santé maternelle et d’obstétrique, des vaccins, des soins de santé mentale, en plus de fournir de l’eau potable, etc.
Nous avons maintenant atteint un point qui a de quoi sidérer : le monde compte aujourd’hui plus de personnes déplacées de force qu’à tout autre moment de l’histoire moderne. Beaucoup de gens se retrouvent coincés dans des situations intolérables de violences aiguës et intenses, et sont obligés de fuir pour survivre. Pourtant, alors que le nombre de personnes qui dépendent de l’aide humanitaire n’a jamais été aussi élevé, nous observons des lacunes inquiétantes dans les interventions face aux grandes crises de déplacements forcés.
Permettez-moi de vous parler de trois pays où les déplacements forcés ont atteint le niveau de crise : le Soudan, la République démocratique du Congo (RDC) et le Bangladesh. Ces crises sont différentes, mais elles ont ceci en commun : une action mondiale inadéquate en dépit des besoins humanitaires immenses.
En avril dernier, le conflit qui a englouti le Soudan fêtait son premier anniversaire, avec comme résultat le déplacement forcé de millions de personnes à l’intérieur du pays et vers les pays voisins, le Soudan du Sud et l’est du Tchad. Aujourd’hui, la situation est pire que jamais. Des centaines de milliers de personnes sont affligées par d’immenses souffrances, notamment la malnutrition, les traumatismes et le manque de soins de santé de base. Plus tôt ce mois-ci, MSF s’est vue obligée d’arrêter le traitement ambulatoire de 5 000 enfants souffrant de malnutrition aiguë dans le camp de Zamzam au Darfour-Nord, car les parties belligérantes ont bloqué les livraisons de nourriture, de médicaments et d’autres fournitures essentielles. Puisque 2 900 de ces enfants sont âgés de moins de 5 ans et souffrent de malnutrition aiguë sévère, leur vie est maintenant en péril.
Pendant ce temps, dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays ont urgemment besoin de nourriture, d’un abri, d’eau potable et de protection contre les violences sexuelles alors qu’elles sont coincées dans un conflit féroce qui oppose plusieurs groupes armés, dont les forces gouvernementales. En 2023, les cliniques soutenues par MSF ont fourni des soins à 20 556 victimes de violences sexuelles, ce qui correspond à environ deux par heure.
Depuis, cette situation déjà alarmante s’est détériorée. Au cours des cinq premiers mois de 2024, les équipes de MSF ont traité près de 70 % du nombre total de victimes de violences sexuelles qui avaient été prises en charge en 2023. Et comme si cela n’était pas encore assez, l’est de la RDC était, en septembre, l’épicentre de l’épidémie actuelle de variole simienne en Afrique – un virus qui deviendra impossible à contenir à moins que des efforts considérables ne soient faits pour améliorer les conditions de vie atroces dans lesquelles vivent les personnes déplacées depuis trop longtemps.
Puis, au Bangladesh, MSF est le principal fournisseur de services médicaux dans les camps clôturés de Cox’s Bazar, où vivent environ un million de personnes réfugiées d’origine rohingya. Ici, les personnes qui ont fui la violence et la persécution se retrouvent aujourd’hui confinées et se voient interdire l’accès à l’éducation et à l’emploi. Pas plus tard que cet été, une enquête de MSF révélait que près d’une personne sur cinq soumises au dépistage de l’hépatite C avait obtenu un résultat positif; malheureusement, le manque de capacité dans les camps signifie que de nombreux Rohingyas n’auront pas accès à un traitement et ne pourront espérer guérir.
Il y a sept ans, le Canada avait joué un rôle de premier plan dans la réponse mondiale à cette crise. Pourtant, aujourd’hui, il est évident que sa stratégie face aux Rohingyas, qui venait à échéance en mars 2024, n’a pas été renouvelée. Le Canada doit honorer ses engagements envers le peuple Rohingya et la communauté humanitaire, et renouveler sa stratégie sans tarder, en plus d’y consacrer toutes les ressources nécessaires.
Mais les dangers ne s’arrêtent pas là pour ces gens : ils subissent aussi les tentatives des États et d’autres acteurs de les confiner, de les expulser et de les dissuader de chercher la sécurité dans d’autres pays. Soyons clairs : les politiques préjudiciables ne dissuadent pas les gens de fuir la violence et de chercher la sécurité; elles les poussent plutôt vers des situations inextricables, comme d’entreprendre de dangereuses traversées en mer qui coûtent régulièrement la vie à des milliers de personnes. Le Canada devrait non seulement répondre à ces crises, mais aussi dénoncer les politiques qui empêchent les gens d’échapper à des situations de violence et de privation, et qui augmentent leur vulnérabilité.
Je remercie le Comité de prendre le temps d’examiner ces questions et le rôle que le Canada peut jouer face à ces urgences. En RDC, au Soudan, au Bangladesh et ailleurs, chaque minute compte pour les personnes contraintes de fuir leur foyer, et dans de tels contextes, l’aide humanitaire est une question de vie ou de mort. MSF continuera à intervenir, mais les humanitaires ne peuvent arrêter les guerres, lever les blocus, ni prévenir les crises qui engendrent les niveaux alarmants de déplacements que nous voyons aujourd’hui. Vous avez la voix et le pouvoir d’agir de manière décisive. Le Canada doit être pleinement engagé dans la résolution des problèmes qui alimentent aujourd’hui ces crises humanitaires. Nous espérons que le Canada pourra trouver la volonté politique et le courage moral de continuer à agir.