Vue du site de Bugeri pour personnes déplacées dans la zone de santé de Minova, province du Sud-Kivu, dans l'est de la RDC. A 8 km de la ville de Minova, le site de Bugeri accueille des personnes déplacées fuyant les conflits armés. Situé sur une ancienne plantation mise à disposition par la population locale, le site accueille plus de 11 000 personnes. RDC, 2024. © Hugh Cunningham
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RDC : aux Kivus, les personnes civiles sont prises en étau par les combats

Marie Brun est coordonnatrice d’urgence pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Elle revient sur l’intensification des combats depuis le début de l’année entre plusieurs groupes armés, dont le M23 et les forces armées congolaises, ainsi que sur les conséquences pour les gens, à nouveau confrontés à ces violences.

L’insécurité semble toucher de plus en plus les personnes déplacées dans les Kivus, et en particulier autour de Goma. Que se passe-t-il?

Ces deux dernières années, nous avons assisté régulièrement à des mouvements de populations fuyant les combats dans la province du Nord-Kivu et, plus récemment, vers le Sud-Kivu. Ces individus et des familles déplacés ont notamment trouvé refuge dans des camps insalubres en périphérie de la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.

Ces dernières semaines, Goma s’est peu à peu retrouvée encerclée par plusieurs lignes de front, avec entre 600 000 et 1 million de personnes déplacées et deux millions d’individus entassés sur un territoire restreint. La concentration de porteurs d’armes à l’intérieur et autour des camps densément peuplés et le rapprochement des positions militaires à proximité immédiate des personnes déplacées a entraîné une augmentation généralisée du niveau de violences. Les personnes civiles sont prises en étau entre les différents groupes armés, blessées ou tuées dans des tirs croisés, ciblées par la criminalité et plus particulièrement par des violences sexuelles.

À Goma, les personnes déplacées se retrouvent aujourd’hui dans une situation similaire à celle qu’elles avaient initialement fuie. Ces gens sont dans l’insécurité la plus totale et n’ont plus aucune échappatoire. Les camps doivent être respectés par toutes les parties au conflit et les combats qui sévissent à proximité doivent cesser.

Ce contexte d’insécurité grandissante se superpose à des conditions de vie extrêmement précaires. Les personnes déplacées vivent dans des camps densément peuplés, aux conditions sanitaires déplorables, sans accès adéquat à l’hygiène. Elles vivent dans des abris faits de bâches en plastique sur des sols jonchés de pierres volcaniques. L’accès à l’eau potable et à la nourriture est très difficile et aléatoire.

Les équipes d’urgence de MSF se rendent à moto à Minova, dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la RDC. Le mauvais état des routes ne permet pas l’accès en voiture.

Quel est l’impact de cette violence sur les personnes civiles?

Selon nos observations, dans les camps situés autour de Goma, les tirs d’artillerie lourde entre belligérants ont blessé 52 personnes et causé la mort de 23 personnes autres depuis février 2024. D’après les Nations Unies, au moins 18 personnes civiles, en majorité des femmes et des enfants, sont décédées. Au cours de la seule matinée du 3 mai, 32 autres ont été blessées lors de bombardements touchant plusieurs sites de personnes déplacées.

Depuis le début de l’année, nous avons pu observer des tirs croisés, des explosions de grenades à l’intérieur des camps, de jour comme de nuit. Nous avons recensé 24 incidents impliquant des tirs d’obus à l’intérieur ou autour des camps où nous travaillons et les équipes de MSF ont reçu 101 individus légèrement blessés, dont 70 % de personnes civiles à l’hôpital de Kyeshero, transférées par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) qui prend en charge les gens blessés par arme les plus graves.

Nous nous inquiétons également des retards dans la prise en charge médicale des patientes et des patients qui ont peur de se déplacer, d’être attaqués ou encore violés. Dans les camps de Shabindu, Rusayo et Elohim, nous avons traité plus de 1 700 nouveaux cas de violences sexuelles en avril, dont 70 % commises sous la contrainte d’une arme. MSF fournit des soins médicaux et psychologiques aux personnes qui y ont survivécu, mais les possibilités d’orientation vers une aide juridique, des abris sûrs et d’autres services de protection sont très limitées. Si la majorité des femmes touchées par des violences sexuelles prises en charge par nos équipes rapportent avoir été violées lors de la collecte de bois de chauffage, on observe de plus en plus d’agressions à l’intérieur même des camps. Des cas de viols collectifs ont été également rapportés.

Les combats ont également repris à Kibirizi, ville d’accueil et de transit pour des milliers de personnes déplacées située au carrefour de plusieurs axes stratégiques au Nord-Kivu. En mai, de violents combats ont touché des zones peuplées, en ville ou à proximité des champs, entraînant la destruction des infrastructures et de ressources essentielles, ainsi que la fuite des gens à nouveau déplacés par les combats. Le nombre de cas de violences sexuelles y a également explosé, avec une multiplication par cinq des survivants et des survivantes de violences sexuelles prises en charge dans les structures de santé soutenues par MSF dans la zone de santé de Kibirizi et plus au sud dans celle de Bambo.

En raison de l’intensification des hostilités sur une nouvelle ligne de front depuis février, les échanges de tirs et d’artillerie touchent aussi régulièrement les personnes civiles qui vivent dans la ville de Minova et ses alentours, au Sud-Kivu. Près de 200 000 personnes y ont trouvé refuge cette année.

Comment MSF continue-t-elle à travailler dans ce contexte?

Dans le Nord et le Sud-Kivu, nos équipes travaillent dans un contexte sécuritaire volatile avec des difficultés de déplacement, d’acheminement de l’aide humanitaire et un accès incertain aux centres de santé que nous soutenons. Malgré la nature médicale et humanitaire de notre réponse à cette crise, le personnel de MSF n’a pas été épargné par les actes d’intimidation commis par des hommes armés.

À plusieurs reprises, MSF a été obligé de suspendre ses activités à cause notamment d’affrontements à proximité des camps de Goma, à Kibirizi, à Bambo et aux alentours de Minova. La route qui mène du Sud-Kivu vers Goma est actuellement bloquée à cause des combats et l’approvisionnement ne peut se faire que par bateau, depuis le lac Kivu, ou par moto. Les affrontements compliquent aussi l’approvisionnement, depuis Goma, des zones plus périphériques où les combats font également rage.

Dans le territoire de Masisi, où MSF soutient notamment l’hôpital général de Masisi et celui de Mweso, les équipes reçoivent depuis le début de l’année des dizaines de personnes blessées de guerre. Depuis des mois toutefois, l’accès par la route est extrêmement difficile et risqué, ce qui continue d’entraver les opérations humanitaires, privant les gens d’une assistance humanitaire essentielle. En tant qu’organisation médicale d’urgence, MSF rappelle à toutes les parties belligérantes qu’en temps de conflit, elles sont tenues de respecter le droit international humanitaire et toutes les protections qui sont accordées aux personnes civiles, aux établissements de santé, aux patients, aux patientes et au personnel médical.