Head of mission and deputy manager of MSF’s Ebola programmes in the DRC © MSF
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Réflexions post-incendie : Ebola en RDC

 

À la suite d’une attaque armée contre un centre de traitement d’Ebola en République démocratique du Congo, les travailleurs humanitaires ont été amenés à repenser leur action dans le contexte de l’épidémie d’Ebola, explique Trish Newport, coordinatrice d‘urgences pour l’organisation médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF).

 

C’est la première chose que j’ai entendue en décrochant mon téléphone, le 27 février 2019, alors que j’étais à Genève. Je revenais tout juste de la République démocratique du Congo (RDC), où je coordonnais la réponse de MSF à l’épidémie d’Ebola. La personne qui m’appelait se trouvait dans le centre de traitement Ebola (CTE) de la ville de Butembo, doté d’une capacité de 96 lits, lorsque des hommes armés ont forcé la porte principale et ouvert le feu. Avant de partir, ils ont mis le feu à la structure.

Au moment de l’attaque, plus de 50 patients se trouvaient dans le centre. Ils ont tous fui. Les 60 employés de MSF qui y travaillaient ont également fui. Le personnel et les patients se sont cachés ensemble dans les bâtiments voisins et dans la forêt environnante.

Comme MSF ne pouvait plus assurer la sécurité de ses patients et de son personnel, le lendemain de l’attaque, nous avons évacué toutes nos équipes de Butembo et des environs. C’était une décision difficile, notamment pour nos patients, mais nous n’avions alors pas d’autre alternative.

 

Les communautés au cœur de notre action

Au regard de ces évènements, nous avons été amenés à repenser notre approche, et pris la décision de désormais répondre avant tout aux priorités de la population en matière de santé et de ne mettre en place des activités qu’avec le soutien total de la communauté.

Nous avons commencé par construire des puits. Nous avons donné accès à des traitements non seulement pour Ebola, mais aussi pour les autres maladies mortelles qui sévissaient dans la région : la diarrhée, le paludisme et les infections respiratoires. Et lorsque nous avons construit les CTE, nous avons prêté une attention particulière à ce que la communauté soit impliquée dans leur conception comme dans leur installation. Alors qu’auparavant nous construisions ces centres sous tentes, nos nouvelles structures ont été conçues en fonction des souhaits des communautés : certaines ressemblaient à des chalets, d’autres aux centres de santé auxquels elles étaient familières.

En conséquence, les communautés se sont appropriées les centres Ebola. Les gens ont commencé à accepter d’être placés en isolement et ont commencé à se rendre d’eux-mêmes dans les CTE dès l’apparition des premiers symptômes. Cela a entraîné une réduction drastique du nombre de cas d’Ebola au sein de la population.

La réponse à l’épidémie d’Ebola en RDC, connue sous le nom de « riposte », a été menée par le gouvernement congolais avec le soutien de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Toutes les organisations impliquées dans la réponse à l’Ebola, y compris les organisations internationales telles que MSF, ont accepté de travailler avec la riposte.

Au début de l’épidémie en août 2018, les acteurs de la riposte ont agi selon le modèle classique d’une intervention d’urgence.  Personne n’a pris le temps de discuter avec les communautés touchées, pour établir une relation de confiance ou pour considérer le fait que l’épidémie se propageait dans une région en proie à un conflit ces dernières années et qui avait vu sa population civile massacrée. Des millions de dollars ont été investis dans le système humanitaire en réponse à Ebola. Pourtant, le nombre de cas a continué à augmenter et la maladie à se répandre dans de nouvelles régions.

Avec le temps, les acteurs humanitaires ont commencé à se rapprocher de la communauté, à travailler en collaboration avec les populations locales.

Mais en parallèle, certaines décisions ont continué à mettre à mal la confiance des communautés, comme le recours à des escortes armées, la mise en isolement de force les patients confirmés et la mise en place de personnel armé dans les établissements de santé.

Ces mesures ont non seulement retardé la fin de l’épidémie, mais ont également rendu les gens réticents à fréquenter les services de santé réguliers par crainte d’être identifiés comme des cas suspects Ebola

Malgré tous ces obstacles, le nombre de cas d’Ebola a fini par diminuer et, avec un peu de chance, l’épidémie touchera bientôt à sa fin.

Devrions-nous nous réjouir de la fin de l’épidémie ? Devons-nous considérer la réponse à Ebola comme un succès ? Je n’en suis pas sûre. Je crains qu’à la fin les différentes organisations impliquées dans la riposte se félicitent en se disant que l’épidémie a pris fin grâce à la manière dont elles l’ont gérée, alors qu’en fait, c’était malgré elles. La réponse à cette épidémie d’Ebola risque de créer un précédent inquiétant pour la gestion de futures épidémies en standardisant le recours à la coercition, aux militaires et à la présence de personnel armé dans les établissements de santé, au détriment du traitement des patients, du respect de leur dignité et de leur implication dans décisions relatives à leur santé.  

Je n’oublierai jamais l’appel téléphonique de Butembo du mois de février 2019. C’est horrible d’entendre vos propres collègues – en réalité votre famille – être sous le feu des armes. Je n’oublierai jamais non plus la douleur d’avoir évacué nos équipes de Butembo, laissant derrière des personnes vulnérables. Mais je me souviendrai toujours de l’impact des changements que nous avons apportés après l’attaque : travailler avec les gens et pour les gens que nous soignions. J’espère que les leçons que l’on a tirées guideront toutes nos prochaines interventions d’urgence chez MSF.