Des réfugiés rohingyas se rassemblent et discutent dans les camps de Cox’s Bazar. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023 © Ro Yassin Abdumonab
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L’engagement du Canada à aider les Rohingyas déplacés au Myanmar, au Bangladesh et ailleurs est plus crucial que jamais

Michael Lawson
Conseiller en plaidoyer et stratégie MSF

Plus de trois ans après qu’un coup d’État militaire au Myanmar a provoqué un embrasement des conflits à travers le pays, les Nations Unies estiment que près de deux millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du territoire à cause de la violence incessante, alors que des milliers d’autres ont trouvé refuge dans les pays voisins.

Dans l’État de Rakhine – région située dans l’ouest du Myanmar qui connaît une recrudescence particulière des combats depuis novembre 2023 – la crise humanitaire issue de ce conflit s’ajoute à plusieurs autres urgences préexistantes, la plus importante étant les répercussions persistantes des attaques violentes et de grande envergure contre la minorité ethnique rohingya de la région en 2017, lesquelles ont poussé des centaines de milliers de personnes à s’enfuir au Bangladesh pour échapper à la mort.

Plus de six ans plus tard, près d’un million de Rohingyas restent piégés dans des conditions misérables dans les camps surpeuplés de Cox’s Bazar, au Bangladesh, tandis que bon nombre des quelque 600 000 Rohingyas qui vivent encore au Myanmar sont confinés dans des camps clôturés lamentables ou des villages ruraux, n’ont pas le droit de se déplacer sans l’approbation des autorités et sont persécutés continuellement dans leur quotidien.

Détérioration de la situation humanitaire

Le directeur de projet de MSF, Andreas Koutapas, s’entretient avec le personnel de la clinique de Balukhali et les volontaires rohingyas le matin suivant l’incendie qui a complètement détruit cet établissement, installation de santé. Bangladesh, 2021. © Pau Miranda

Médecins Sans Frontières (MSF) répond aux besoins des communautés rohingyas de la région depuis plus de trois décennies. Au Myanmar nous gérons deux projets médicaux humanitaires dans l’État de Rakhine où nous sommes l’un des seuls prestataires de services de santé essentiels pour de nombreux Rohingyas qui ont été déchus de leur citoyenneté par les autorités au pouvoir. En conséquence directe de ce statut d’apatride assigné, les Rohingyas subissent discrimination et exclusion dans tous les aspects de leur vie, notamment des restrictions touchant la liberté de mouvement, l’accès à l’éducation, aux moyens de subsistance et aux soins de santé. (Ailleurs au Myanmar, nous menons également des activités dans les zones de conflit de Shan et Kachin.) MSF est également le plus grand prestataire de services de santé dans les camps de personnes réfugiées rohingyas au Bangladesh où nous gérons des hôpitaux et prodiguons des soins primaires et secondaires essentiels, y compris des soins de santé sexuelle et reproductive et des services de santé mentale à une population qui n’a guère d’autres options. En Malaisie, MSF gère des cliniques pour les malades rohingyas, dont beaucoup endurent des conditions épouvantables et un confinement indéterminé dans des centres de détention de l’immigration.

Ainsi, MSF a été témoin au Myanmar de la détérioration de la situation humanitaire et de la souffrance que continue d’endurer la population rohingya qui n’a nulle part où aller en raison de son apatridie – contrainte à un cantonnement indéfini dans des conditions sordides au Bangladesh, incapable de retourner en toute sécurité au Myanmar et indésirable dans d’autres parties de la région. Nous avons aussi été témoins d’une part, de l’incapacité de la communauté internationale à trouver une solution à cette crise et, d’autre part, de l’indifférence générale croissante à l’égard du sort des Rohingyas, vu que l’attention du monde s’est portée sur d’autres situations d’urgence.

Apatrides et ayant besoin d’aide

Cette indifférence est particulièrement alarmante compte tenu de la dépendance de nombreux Rohingyas de l’aide humanitaire pour leur survie. Au Bangladesh les personnes réfugiées rohingyas n’ont pas le droit de quitter leurs camps et ne sont pas légalement autorisées à travailler. Cette situation les laisse démunies et les rend dépendantes du soutien international — soutien qui diminue d’une année à l’autre, les condamnant à des conditions de vie de plus en plus désastreuses.

En attendant, les Rohingyas se trouvant toujours dans l’État de Rakhine dépendent également des organismes humanitaires internationaux pour certains de leurs besoins les plus fondamentaux. Pourtant, non seulement les autorités du Myanmar ont souvent délibérément bloqué les activités d’aide humanitaire dans l’État de Rakhine (où une recrudescence de la violence complique énormément la tâche de nos équipes à l’heure actuelle), mais toute intervention d’aide qui subsiste demeure largement sous-financée par les donateurs et donatrices humanitaires.

Une crise où la Canada peut apporter une réelle contribution

Le Canada est un acteur important dans ce contexte. Depuis le début de la crise actuelle liée au déplacement des Rohingyas en 2017, lorsque la violence a poussé tant de Rohingyas du Myanmar vers le Bangladesh, le Canada a joué un rôle de premier plan dans le cadre de la réponse internationale, à la fois en tant que donateur et par sa diplomatie humanitaire.

La volonté du Canada d’agir, à commencer par la nomination d’un émissaire spécial au Myanmar dans les premiers mois suivant les attaques d’août 2017, jusqu’au lancement en 2018 de la stratégie du Canada pour répondre à la crise des Rohingyas au Myanmar et au Bangladesh, s’est appuyée sur les recommandations formulées la même année dans le rapport de l’émissaire spécial Bob Rae. Ce rapport a mis en lumière l’urgence de la crise pour les autres États membres de la communauté internationale à un moment critique, tout comme les efforts du Canada pour financer et ouvrir la voie à la réponse humanitaire mondiale à Cox’s Bazar. Par le truchement de sa stratégie officielle, le Canada s’est engagé à « soulager la crise humanitaire; encourager des avancées politiques positives au Myanmar; faire rendre des comptes pour les crimes commis; [et] renforcer la coopération internationale. »

Le Canada doit reconduire sa stratégie concernant les Rohingyas et le Myanmar

La stratégie canadienne (qui a été reconduite pour une deuxième phase en 2021) doit cependant venir à échéance en mars 2024, et ces objectifs sont essentiellement non atteints.  Il en est ainsi notamment car le contexte a changé : depuis le coup d’État en 2021, par exemple, la situation de la population du Myanmar s’est grandement détériorée. Au moment de la rédaction, dans de nombreuses régions où MSF est présente, des communautés courent un grave danger tandis que leurs villages servent de champs de bataille. Par ailleurs, nous constatons un mépris inacceptable pour le caractère protégé des infrastructures hospitalières, car les parties au conflit ne respectent pas leur obligation d’assurer la sécurité des patients et patientes ainsi que celle du personnel de santé. Entre-temps, l’émergence de plusieurs autres crises dans le monde a détourné l’attention de la communauté internationale du Myanmar, du Bangladesh et des Rohingyas.

Mais cette perte d’attention à l’échelle mondiale est précisément la raison pour laquelle il est si important que le Canada poursuive son engagement vis-à-vis de cette situation d’urgence. Voici en outre pourquoi MSF exhorte le Canada à reconduire sa stratégie pour une troisième phase – car nous constatons déjà l’impact causé par la réduction des contributions financières sur nos patients et patientes rohingyas et leurs communautés.

Rien qu’à Cox’s Bazar, certaines de nos installations sont de plus en plus surchargées étant donné que les autres parties prenantes de l’action humanitaire partent faute de financement. Nos équipes constatent également les conséquences de la réduction des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement, de l’augmentation de la violence dans les camps (y compris la violence sexuelle), et des épidémies dans un contexte de détérioration des conditions. Au Myanmar, les Rohingyas et autres communautés à Rakhine sont de plus en plus confrontés à des situations désespérées à mesure que l’aide se raréfie et que les conflits restreignent davantage les activités humanitaires.

Une priorité humanitaire mondiale

En tant qu’organisation médicale humanitaire indépendante, MSF continuera à prodiguer des soins d’importance cruciale aux Rohingyas déplacés au Bangladesh, au Myanmar et ailleurs, quel que soit l’engagement des donateurs et donatrices à cet égard. Nous ne pouvons pas néanmoins accomplir cette tâche seuls.

Il est donc primordial que le Canada et d’autres gouvernements continuent de donner la priorité aux Rohingyas en matière de financement de l’aide humanitaire – et, puisque le soutien financier à lui seul ne résoudra pas cette crise (ni n’apaisera non plus les conflits qui secouent le Myanmar), des efforts diplomatiques soutenus sont par ailleurs essentiels. De tels efforts devraient se concentrer sur l’assurance d’un avenir sûr et viable pour les Rohingyas et la fin de leur apatridie.

Grâce au lancement de sa stratégie en 2018, le Canada a pris en engagement important envers ces objectifs et le peuple rohingya. Alors que la réponse mondiale pour soulager leurs souffrances s’amenuise toujours plus, et à mesure de la détérioration de la situation humanitaire au Myanmar – et face à un nombre croissant d’autres crises dans le monde qui accaparent les ressources et l’attention de la communauté internationale – cet engagement est devenu plus que nécessaire.