Rohingyas : Des bénévoles de MSF racontent le voyage éprouvant qui les a menés du Myanmar à la Malaisie, puis jusqu’au Canada
Pendant de nombreuses années, Sandar Lynn Rashid et son mari Mohd Ayas Hashim, tous deux membres de la minorité persécutée des Rohingyas, ont travaillé comme bénévoles pour Médecins Sans Frontières (MSF) dans le nord de l’État de Rakhine, au Myanmar.
Ayas était éducateur en santé communautaire, tandis que Sandar est passée de l’éducation en santé communautaire au travail administratif et à la finance. La vie du couple a été bouleversée lorsque de violents affrontements intercommunautaires ont éclaté en juin 2012. Des centaines de personnes ont alors été tuées, des milliers de familles rohingyas ont fui leurs foyers, et MSF a été contrainte de suspendre la plupart de ses activités médicales dans l’État de Rakhine.
« MSF était la plus grande organisation qui fournissait des soins médicaux aux Rohingyas », se souvient Ayas. « Beaucoup n’avaient plus accès aux soins après la fermeture des cliniques de MSF. Les gens atteints de tuberculose et du VIH ne pouvaient plus obtenir leurs médicaments. Les hôpitaux publics n’admettaient pas les patients ou les patientes de la communauté rohingya. »
Déjà difficile avant le début des affrontements, la vie de ce couple marié et de leurs jeunes enfants s’est compliquée encore davantage. Pendant plusieurs mois, ils n’ont eu aucune nouvelle des membres de leur famille, qui se trouvaient dans une autre ville. Les arrestations nocturnes de Rohingyas par les soldats et la police du gouvernement sont devenues fréquentes. La famille passait la plupart des nuits dans les installations de MSF et d’une autre organisation qu’Ayas soutenait, dans l’espoir d’être plus en sécurité. Un jour, Ayas a appris que son nom figurait sur une liste noire de la police en raison de son travail bénévole auprès d’organisations humanitaires. Il a alors compris qu’il pouvait être arrêté à tout moment, et qu’il devait quitter le Myanmar.
« J’étais très déprimé et anxieux. J’ai décidé de fuir vers le Bangladesh voisin et de revenir si la situation s’améliorait », explique-t-il. Cinq mois plus tard, lorsque le couple a réalisé que les choses ne s’amélioraient pas, ils ont décidé qu’Ayas irait en Malaisie, et que le reste de la famille suivrait plus tard.
Après plusieurs mois, MSF a pu reprendre certaines de ses activités médicales à Rakhine, mais la situation du personnel rohingya qui travaillait bénévolement pour des organisations étrangères restait dangereuse.
En novembre 2013, Sandar a décidé de rejoindre son mari en Malaisie. Elle s’est embarquée avec ses trois enfants sur un bateau surchargé où prenaient place plus de deux mille autres personnes réfugiées rohingyas. Le trajet en bateau entre le Myanmar et la Malaisie a duré 13 jours, avec une courte escale en Thaïlande. Il a été éprouvant.
« Ils ne nous ont donné ni eau ni nourriture. Les gens étaient déshydratés. Les enfants pleuraient tout le temps. Il n’y avait pas de couches pour les bébés. Il faisait très chaud. Nous ne pouvions pas dormir. Il n’y avait pas de toilettes. Les gens déféquaient sur le sol où nous dormions », se souvient Sandar. « Le bateau a été frappé par un cyclone en pleine mer. Plusieurs femmes, hommes et enfants sont morts sur le bateau et ont été jetés à la mer. J’ai eu très peur et j’ai prié. »
En Malaisie
Traumatisés par le voyage, Sandar et les enfants ont dû être hospitalisés à leur arrivée en Malaisie. Ils ont été soignés pour des maladies de peau, des coups de soleil et de la déshydratation.
Réunie avec Ayas, la famille a d’abord vécu à Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie. Vivant sans documents légaux avant d’être reconnus comme personnes réfugiées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ils ne se sentaient jamais en sécurité. « Nous avions toujours peur d’être arrêtés. Mais contrairement au Myanmar, nous savions au moins qu’ils ne nous tueraient pas », explique Ayas.
En 2015, ils ont entendu dire que MSF avait lancé un projet à Penang pour soutenir les personnes réfugiées rohingyas, en lançant d’abord des cliniques mobiles, en instaurant un système de référence et enfin, en ouvrant une clinique. Ayas et Sandar ont alors décidé de s’installer sur l’île malaisienne, où ils ont intégré l’équipe de MSF en tant que facilitateur et facilitatrice entre les Rohingyas et les hôpitaux. « Les Rohingyas venaient de toute la Malaisie à Penang pour recevoir du soutien médical de MSF, en particulier les femmes enceintes », explique Ayas. « La clinique de MSF est devenue de plus en plus occupée et fréquentée, notamment par des gens provenant d’autres communautés. »
La vie en Malaisie comportait toutefois de nombreux défis. Sandar a donné naissance à deux autres enfants. L’un d’eux, un garçon, est né à Kuala Lumpur avec un problème médical nécessitant une intervention chirurgicale. « Au départ, l’hôpital ne voulait pas opérer notre fils parce que nous sommes des personnes réfugiées et parce qu’ils pensaient qu’il mourrait de toute façon. Nous avons dû payer très cher pour qu’ils acceptent finalement de l’opérer », raconte Sandar.
La plupart des allocations du couple ont été consacrées au paiement du loyer et des factures médicales pour leur fils. Une autre part considérable est allée aux frais de l’école privée que leurs enfants plus âgés ont été contraints de fréquenter, les écoles publiques malaisiennes n’acceptant pas les personnes réfugiées. En raison de ces difficultés, ils souhaitaient ardemment être réinstallés. Finalement, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a facilité leur réinstallation au Canada.
S’installer au Canada
Fin 2019, la famille a déménagé à Calgary et elle vit désormais à Edmonton. Sandar et Ayas ont suivi des cours de développement professionnel, ont des emplois à temps partiel et font du bénévolat pour soutenir d’autres personnes réfugiées au Canada.
Apatrides pendant la majeure partie de leur vie en raison de la déchéance de la citoyenneté des Rohingyas au Myanmar, l’obtention de la citoyenneté canadienne a signifié beaucoup pour eux. Pour la première fois de leur vie, ils peuvent se déplacer librement. Au début de l’année, Sandar a pu rendre visite à sa mère et à d’autres membres de sa famille à Yangon, la capitale du Myanmar, où ils se sont retrouvés après avoir fui la région de Rakhine. Ils ne s’étaient pas vus depuis plus de dix ans. « Ma mère et d’autres membres de la famille souffrent de dépression et d’anxiété. Mon père est mort en état de choc après la dernière flambée de violence à Rakhine, en 2017. »
La fille aînée du couple, la seule enfant qui se souvient encore de la traversée traumatisante en bateau vers la Malaisie, étudie en vue d’obtenir un baccalauréat en kinésiologie. « Elle veut aller à l’école de médecine après avoir obtenu son diplôme », déclare Ayas avec fierté. « Elle dit qu’elle veut travailler un jour avec MSF au Myanmar ou en Malaisie. »