L'hôpital sur la colline a ouvert ses portes en avril 2018 après l'arrivée d'un grand nombre de personnes réfugiées rohingyas en provenance du Myanmar. Cet établissement est l'un des très rares à fournir des soins de santé secondaires dans les camps de personnes réfugiées de Cox. Bangladesh, 2021. © Pau Miranda/MSF
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Rohingya : « Mourir ensemble vaudrait mieux que cette souffrance »

Jason Nickerson
Représentant humanitaire pour Médecins Sans Frontières (MSF) Canada

« Ce serait un honneur si une bombe nous tuait tous ensemble, pour que nous n’ayons plus à souffrir. Mourir ensemble vaudrait mieux que cette souffrance. » 

Ce sont les mots déchirants qu’un Rohingya a partagés il y a quelques mois avec mes collègues de MSF au Myanmar, après que des attaques aient touché sa communauté à Buthidaung, dans l’État de Rakhine. Le conflit civil qui sévit au Myanmar a dernièrement gagné en brutalité.

Cela est particulièrement vrai dans l’État de Rakhine, où les membres de la minorité ethnique rohingya, longtemps persécutés, ont été pris pour cible dans la foulée de l’escalade des combats qui sévissent, au sein de l’État, entre l’armée du Myanmar et l’armée séparatiste de l’Arakan. 

Rappelons que le 25 août 2017, le Canada et le monde entier apprenaient que les forces armées de Rakhine avaient lancé des attaques à grande échelle contre des villages rohingyas, brûlant les maisons et tuant violemment plus de 9 000 personnes en moins d’un mois.  En l’espace de quelques semaines seulement, près de 700 000 Rohingyas ont fui le Myanmar pour se réfugier au Bangladesh. Ces attaques ciblées contre une population minoritaire ont suscité, à l’époque, une condamnation mondiale généralisée et une énorme réponse humanitaire internationale.

Le Canada a d’ailleurs joué un rôle de premier plan dans ces efforts. De mémoire récente, nous pouvons soutenir qu’il s’agit de l’un des exemples les plus clairs d’un effort diplomatique canadien coordonné pour trouver des solutions significatives à une crise mondiale majeure.

Que fait le Canada?

En 2017, le Canada a envoyé une aide immédiate pour contribuer à intensifier le soutien humanitaire aux personnes réfugiées rohingyas traumatisées qui arrivaient à Cox’s Bazar, au Bangladesh. Peu après, le premier ministre Justin Trudeau a nommé Bob Rae comme envoyé spécial pour évaluer la situation d’urgence, et pour formuler des recommandations quant à la réponse du Canada. 

Le rapport subséquent de M. Rae a alors fait état de certaines des souffrances épouvantables subies au Myanmar et au Bangladesh. Il appelait également le Canada à intervenir de manière significative, non seulement en fournissant de l’assistance, mais en utilisant ses nombreux outils juridiques, diplomatiques et politiques pour aider à faire face à toute l’ampleur de cette crise. Peu après, en mai 2018, le gouvernement du Canada a lancé une stratégie triennale officielle pour répondre à la crise des Rohingyas au Myanmar. Cette stratégie devait rester une priorité canadienne pour les six années suivantes, le Canada ayant renouvelé sa stratégie pour une deuxième phase en 2021. 

Quelle est la prochaine étape?

Cette deuxième phase, qui expirait en mars dernier, n’a toutefois pas été renouvelée dans le dernier budget du gouvernement fédéral. Le niveau d’effort diplomatique et la priorité qui seront désormais accordés à cette crise de plus en plus grave ne sont pas encore clairs. Toutefois, la crise humanitaire à laquelle sont confrontés les Rohingyas s’est une fois de plus intensifiée. 

À titre d’intervenant de première ligne face aux immenses besoins médicaux et humanitaires tant au Myanmar qu’au Bangladesh, ce changement apparent de la politique canadienne est profondément décevant. La situation des Rohingyas et d’autres groupes de personnes civiles s’est considérablement aggravée au cours des derniers mois, et il est manifeste que la crise s’étend à mesure que les gens fuient vers des pays comme la Malaisie. Rien qu’au Bangladesh – où un million de personnes issues de la communauté rohingya restent aujourd’hui piégées dans des camps dangereux et surpeuplés – les équipes médicales de MSF sont témoins d’une forte augmentation des besoins de santé liés à la violence, au confinement et à l’effondrement des services humanitaires de base.

J’ai moi-même constaté ces besoins lorsque j’ai visité, en début d’année, les camps de Cox’s Bazar et nos cliniques en Malaisie. Cox’s Bazar est devenu le plus grand camp de personnes réfugiées au monde. Près d’un million de Rohingyas y vivent dans des conditions abominables de surpeuplement, d’épidémies fréquentes (notamment une épidémie prolongée de gale), de prévalence de l’hépatite C, qui touche près de 20 % de la population adulte, et d’une violence sans cesse croissante. 

Entre-temps, la situation des quelque 600 000 individus rohingyas restés au Myanmar s’est encore aggravée avec la reprise des combats dans l’État de Rakhine. Les organisations d’intervention d’urgence, dont MSF, ont été empêchées de mener des activités humanitaires et d’accéder aux personnes dans le besoin. Le 27 juin, MSF a été contrainte de suspendre ses opérations dans le nord de l’État de Rakhine. 

Qu’est-ce que cela signifie pour le Canada?

Nous assistons actuellement à une nouvelle détérioration d’une crise qui a explosé à la conscience du monde en 2017, à la différence que maintenant, l’attention du monde s’estompe. 

Cela marque un changement profond pour le Canada. Lorsque M. Rae a partagé pour la première fois son rapport sur la crise des Rohingyas, il l’a décrite comme un impératif humanitaire clair pour le Canada : « Nous ne pouvons plus supposer qu’un autre pays va prendre les devants et faire avancer les choses », déclarait-il alors. « Nous devons rester engagés. » Sept ans plus tard, cet engagement semble s’essouffler, alors même que la situation des Rohingyas est plus sombre que jamais. 

Le Canada ne peut pas laisser la communauté rohingya, et les organisations comme la nôtre, dans un tel état d’incertitude. Il devrait suivre le conseil initial de M. Rae et rester engagé dans cette crise humanitaire de plus en plus négligée, en renouvelant sa stratégie sur les Rohingyas et le Myanmar, et en continuant d’honorer les engagements qu’il a pris il y a sept ans.