« Nous ne devons pas accepter cela » : une sage-femme canadienne parle des conditions de vie des personnes réfugiées rohingyas à Cox’s Bazar, au Bangladesh
« Ne t’en fais donc pas, Shanika », dit ma collègue Shirin, comme le font de nombreux Bangladais et Bangladaises que j’ai rencontrés avant de dire quelque chose qui pourrait être offensant, « peut-être que le monde oubliera ce qui se passe ici ».
« Ici », en l’occurrence, est le seul centre de soins de santé primaires proposant des services d’accouchement dans le camp 23, un camp de déplacement relativement petit de 23 000 personnes réfugiées rohingyas à Cox’s Bazar, au Bangladesh. Ce camp fait lui-même partie d’un mégacamp de personnes réfugiées divisé de manière irrégulière. C’est le foyer collectif de plus d’un million de Rohingyas qui ont été déplacés de force de leur domicile au Myanmar en raison des violences commises envers leur communauté. Le terme « foyer » est toutefois un peu exagéré pour décrire ce lieu où vivent actuellement tant de Rohingyas; le terme « abri » serait plus approprié.
L’accès limité à l’eau potable entraîne des complications pour la santé maternelle
Shirin a soulevé une question légitime. Travailler dans ce centre en tant que responsable des sages-femmes m’a montré l’importance du rôle de Médecins Sans Frontières (MSF) dans la fourniture de soins aux personnes qui en ont le plus besoin. La prise en charge des femmes enceintes est essentielle, surtout si l’on considère le rôle des mères dans la cellule familiale. Les sages-femmes avec lesquelles je travaille testent et traitent les infections de la vessie qui sont très courantes, peut-être en partie à cause de la mauvaise qualité de l’eau et des services d’assainissement du camp. Ces familles ne sont malheureusement pas étrangères à des affections telles que la conjonctivite ou la gale généralisée. L’accès à l’eau potable étant limité, les familles doivent rationner le peu qu’elles ont.
Mais il ne faut pas oublier les infections de la vessie pendant la grossesse, qui peuvent contribuer à une naissance prématurée. Ces infections peuvent entraîner une insuffisance pondérale à la naissance, des problèmes d’allaitement et des problèmes de santé pour les nouveau-nés. La cascade de conséquences sanitaires d’un problème à l’autre est particulièrement importante pendant la grossesse.
On doit également tenir compte des femmes anémiques en raison de la malnutrition et des effets d’une anémie supplémentaire après la naissance, ou pire, après une hémorragie post-partum. De nombreuses femmes rohingyas du camp n’ont pas le luxe de se reposer après l’accouchement. Heureusement, les sages-femmes de MSF peuvent fournir un traitement à base de suppléments de fer pendant la grossesse, conseiller un accouchement en milieu hospitalier pour réduire les hémorragies et suivre ces femmes de près pour les soins postnatals. Pour les accouchements à haut risque, MSF peut transférer ces mères par ambulance hors du camp vers un centre disposant d’une capacité de transfusion sanguine. Ce n’est pas une tâche facile, car il faut trouver quelqu’un qui donne du sang en raison de l’absence d’une banque de sang, mais les sages-femmes travaillent dur pour répondre aux besoins de leurs patientes. L’équipe de MSF aide en mobilisant sa liste de contacts de donneurs ou de donneuses
de sang, et les accoucheuses traditionnelles, qui sont en quelque sort une extension du centre, usent de leur influence pour encourager les accouchements dans l’établissement.
S’appuyer sur le soutien de la communauté internationale
« Peut-être que le monde oubliera ce qui se passe ici ». Dans ce cas-ci, il s’agit de la communauté internationale qui suit de loin la crise des Rohingyas. Shirin sait que c’est grâce aux donateurs et donatrices de MSF que nous pouvons fournir les meilleurs soins médicaux avec les ressources dont nous disposons. Nous avons célébré ce fait il y a quelques mois lorsque nous avons mis en place le service d’échographie dans le centre. Cinq sages-femmes ont alors été formées à l’échographie obstétricale pour identifier les complications telles que les produits corporels non évacués, les fausses couches et les hémorragies dues à une mauvaise position du placenta. Pendant la formation, de nombreuses femmes sont venues au centre pour essayer d’obtenir une échographie de leur bébé.
Cependant, la réalité plus large dans laquelle nos patientes et nos patients ici à Cox’s Bazar continuent de se trouver est difficile, et les espoirs d’un changement plus important s’avèrent faibles. En l’absence de signes de mouvement, les Rohingyas restent piégés dans des conditions de vie précaires. La plupart des familles vivent dans ces camps depuis plusieurs années au moins, et je crains que le monde ne devienne indifférent à leur égard. J’espère que nous ne normaliserons pas les mauvaises conditions sanitaires, le manque d’accès à l’eau potable et les disparités en matière de santé auxquels ces personnes réfugiées rohingyas sont contraintes de vivre. Nous ne devons pas accepter que cette situation perdure à long terme, car ces femmes et ces familles comptent sur l’aide du monde entier.
Shanika Thomas est une sage-femme de Hamilton, en Ontario. Elle est revenue récemment d’une mission avec MSF pour fournir des soins de santé aux personnes réfugiées Rohingyas à Cox’s Bazar, au Bangladesh.