Maternity ward in MSF health centre in Kule refugee camp. Sexual and reproductive care services offered include anti-natal care, delivery, post-natal care, prevention of mother to child transmission, and sexual and gender based violence. A total of 1.114 births were carried out in the facility between March and November. © Gabriella Bianchi/MSF
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Éthiopie : là où convergent les crises humanitaires et climatiques

On estime qu’en 2022, plus de 22 millions de personnes ont eu besoin d’aide humanitaire en Éthiopie [1]. Une grande partie de la population du pays a été confrontée aux conséquences tragiques du conflit, notamment dans les régions d’Afar, d’Amhara, du Tigré et des Nations du Sud (SNNPR). Au cours de la même période, les catastrophes naturelles ont poussé les mécanismes d’adaptation à leurs limites. Les communautés de la vaste région de Somali ont connu la pire sécheresse des quarante dernières années, et lorsque les inondations ont frappé la région de Gambella, plus de 180 000 personnes ont dû se déplacer alors que les établissements de santé subissaient d’importants dommages.

 

Médecins Sans Frontières (MSF) répond aux besoins médicaux et humanitaires d’urgence dans toutes ces régions, comme dans celles touchées par des maladies tropicales négligées et mortelles qui sont endémiques en Éthiopie. Des membres du personnel de MSF partagent leurs observations sur l’importance de l’action humanitaire en Éthiopie et sur son impact. 

 

Zone de Sitti, région de Somali : tenir des cliniques mobiles de stabilisation

À Lat, un petit village de la région d’Amhara, dans le nord de l’Éthiopie, un infirmier de MSF note les informations d’une femme enceinte lors d’une consultation prénatale où il vérifiera entre autres ses signes vitaux et son état nutritionnel.
À Lat, un petit village de la région d’Amhara, dans le nord de l’Éthiopie, un infirmier de MSF note les informations d’une femme enceinte lors d’une consultation prénatale où il vérifiera entre autres ses signes vitaux et son état nutritionnel.Gabriella Bianchi/MSF

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« Pendant trois mois, entre juillet et septembre, nous avons répondu à une terrible situation d’urgence dans la zone de Sitti. Cette région de Somali est touchée de façon cyclique par une combinaison de sécheresses et d’inondations, de perte de moyens de subsistance, ainsi que de conflits et de déplacements à proximité », explique Anna, coordonnatrice du projet de MSF.

« Le défi consistait à trouver le moyen de répondre aux énormes besoins des communautés dispersées sur une vaste zone. MSF a organisé des cliniques mobiles de stabilisation nutritionnelle dans plusieurs endroits où on avait réalisé des dépistages, et a lancé une première réponse à la malnutrition basée sur la distribution d’aliments thérapeutiques. Le projet était destiné aux enfants, mais les adultes souffrant de malnutrition sévère ont pu eux aussi recevoir des soins médicaux. Les individus présentant des complications ont été transportés vers le centre d’alimentation thérapeutique que soutient MSF à Asbuli où ils ont pu être hospitalisés et recevoir des soins plus avancés.

« Dans le cadre de l’intervention, nous avons réalisé près de 2 600 consultations médicales. Nous savions pertinemment que notre intervention était limitée, car notre réponse était forcément restreinte aux besoins des personnes que nous pouvions atteindre ou qui pouvaient nous atteindre. Je considère toutefois qu’elle a été une réussite. Elle a été lancée au bon moment et conjointement avec les autorités régionales et d’autres organisations, ce qui a sans aucun doute aidé à soigner plus de gens et à atténuer les effets de la période de soudure jusqu’à ce que les pluies arrivent enfin », dit Anna.

 

Zone Liben, région de Somali : répondre au choléra

 

Le pic saisonnier de malnutrition est survenu en novembre. Alors que MSF réduisait progressivement ses activités d’urgence contre la malnutrition, d’autres équipes se préparaient à répondre à une épidémie de choléra. Dans un premier temps, les équipes ont offert au personnel médical local de la formation pratique sur la gestion des cas de choléra. Puis, les spécialistes en logistique et en eau et assainissement de MSF ont assuré un accès à l’eau potable et à des installations sanitaires. Bien que leur travail se déroule souvent dans l’ombre de l’action médicale de l’organisation, il demeure indispensable.

Les équipes ont voyagé pendant cinq jours pour atteindre Kersa Dula dans la zone Liben et répondre à l’épidémie qui s’y propageait rapidement. Le choléra est une maladie qui peut précipiter ou aggraver la malnutrition.

Une fois sur place, l’équipe s’est affairée à installer une unité de traitement du choléra comprenant des latrines et des douches. Puisque le nombre de malades augmentait dans la zone Liben, l’équipe a également construit une unité de stabilisation à Baliat.

« Environ 75 000 personnes vivent dans le camp pour personnes déplacées d’Adeley, le camp le plus touché par l’épidémie de choléra. L’équipe a mis en place des centres de traitement du choléra et des points de lavage des mains, en plus de construire 12 latrines et une usine de traitement de l’eau pour assurer un accès à de l’eau potable. Des points de réhydratation orale ont aussi été installés dans le camp », précise Najah Aden Mire, responsable de l’eau et de l’assainissement.

La présence de cas de choléra et de rougeole augmente le risque de nouvelles épidémies, y compris d’autres maladies. L’équipe a travaillé en partenariat avec le Bureau régional de la santé pour former le personnel médical local à la gestion des cas et à la prévention et au contrôle des infections.

 

Région d’Amhara : des communautés touchées par le conflit

 

Dans les zones rurales du nord de l’Amhara touchées par le conflit, les gens ont subi des violences, ont perdu leurs propriétés et leurs biens et, en raison de la perturbation des systèmes, ils peinent à accéder aux services de base tels que les soins de santé. Des mois de conflit dans la région ont épuisé les mécanismes d’adaptation des communautés.

« Les besoins sont très grands ici. La plupart des personnes que nous voyons souffrent de dépression; certaines ont perdu des proches, ont vu leur maison détruite ou ont vu leurs moyens de subsistance disparaître », explique Demeke, superviseur des services psychosociaux.

« Beaucoup ont été victimes de violence ou ont été témoins d’événements traumatisants et souffrent maintenant de trouble de stress post-traumatique.

Prenons par exemple le cas de Frehewot. Cette fillette de six ans a été amenée à notre clinique par ses parents après qu’elle a commencé à mouiller son lit. Apparemment, ses symptômes étaient apparus soudainement, après qu’elle ait été témoin de violence et qu’elle ait aperçu des cadavres allongés sur le bord de la route », dit-il.

La santé des femmes et le soutien psychosocial, qui figurent parmi les services de santé essentiels offerts par les équipes mobiles de MSF, occupent une place centrale dans l’intervention.

« Nos équipes médicales ont soigné des survivantes et des survivants de violences sexuelles et sexospécifiques. Ces personnes reçoivent des soins médicaux ainsi que du soutien psychosocial », explique Noortje, l’un des médecins de l’équipe mobile de MSF qui fournit des soins dans la région.

« Les histoires que nous entendons sont assez similaires. Je vais partager l’exemple d’une femme de 45 ans qui a été agressée sexuellement il y a un mois. Je l’appellerai ici Lilian », dit Noortje.

« Il y a beaucoup de stigmatisation rattachée à la violence sexuelle; seule une fraction des survivantes ou des survivants cherche à recevoir des soins. Lorsque Lilian est arrivée à la clinique, elle souffrait de douleurs inexpliquées à l’abdomen. Les gens s’inquiètent des infections graves comme le VIH, alors prendre le temps d’expliquer les risques et la prophylaxie post-exposition est hautement bénéfique. Après lui avoir fourni des soins médicaux, j’ai pu voir son soulagement, elle était rassurée », raconte Noortje.

 

Camp de Kule : MSF n’a pas de frontières

Nyamuol a emmené son enfant Nyacoth au centre de santé de MSF, dans le camp pour personnes réfugiées de Kule, pour y faire soigner sa toux et ses douleurs à la poitrine.
Nyamuol a emmené son enfant Nyacoth au centre de santé de MSF, dans le camp pour personnes réfugiées de Kule, pour y faire soigner sa toux et ses douleurs à la poitrine.Gabriella Bianchi/MSF

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Dans le camp de Kule, où vivent maintenant plus de 50 000 personnes réfugiées en provenance du Soudan du Sud, les équipes médicales de MSF offrent des soins de santé primaire et secondaire en consultation interne et externe.

« J’ai conduit 45 minutes pour emmener ma fille et ma femme chez un médecin », affirme Temesegen, un fonctionnaire travaillant au Service des réfugiés rapatriés. « Ce n’est pas la première fois que je viens à l’hôpital de MSF. En 2019, j’y ai été admis dans un état critique. Je m’étais d’abord rendu dans un autre centre de santé, beaucoup plus près de chez moi, mais comme mon état ne s’améliorait pas, on m’a suggéré d’aller voir une autre organisation appelée MSF, dans le camp de Kule. Même s’il existe d’autres options, MSF fournit le service de la meilleure qualité », dit-il.

« Il n’y a pas que des personnes d’origine sud-soudanaise qui se présentent ici », mentionne Hailemariam, médecin travaillant à l’urgence du centre de santé de Kule. « Nous fournissons également des services à la communauté d’accueil. Plusieurs travaillent ici pour différentes organisations humanitaires, ainsi que pour l’organisation éthiopienne pour les personnes réfugiées. Les gens viennent également d’autres camps pour personnes réfugiées; cela peut leur prendre jusqu’à quatre heures pour arriver ici. La plupart des personnes que nous voyons sont des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes. Nous avons un formulaire d’inscription sur lequel nous enregistrons leur lieu d’origine, mais strictement à des fins médicales, car pour MSF, cela n’a aucune importance quand vient le temps de soigner les gens. Moi aussi je suis un étranger, je viens d’Addis, et d’autres collègues viennent de Gambella, mais à MSF il n’y a pas de frontières. »

 

Abdurafi, région d’Amhara : réagir aux morsures de serpent

 

L’envenimation par morsure de serpent et le kala-azar, la deuxième maladie parasitaire la plus mortelle au monde, sont endémiques en Éthiopie et figurent parmi les maladies les plus négligées.

« Cela faisait trois jours que nous avions rouvert notre clinique à Abdurafi quand un garçon de 12 ans nous a été transféré depuis l’hôpital de Metema dans un état très grave. Il avait été mordu par un serpent sur son pied droit à Abdu, le village où il vivait à 100 kilomètres de Metema », se souvient Kassaye, responsable des activités médicales de MSF à Abdurafi.

« Les médecins ont pu le mettre dans une ambulance et l’envoyer à Abdurafi, l’établissement où, depuis 2015, MSF offre gratuitement un traitement antivenimeux de qualité. Il est arrivé dans un état très critique. Même ses frères croyaient qu’il ne s’en remettrait pas. Il vomissait du sang, son pouls était à peine perceptible, il était en état de choc hémorragique et semi-conscient.

Nous n’avons pas perdu de temps. Nous lui avons installé deux solutés, l’un avec le sérum antivenimeux, l’autre avec des fluides de réhydratation. Une heure plus tard, il vomissait toujours, alors nous avons procédé à une transfusion sanguine et lui avons administré d’autre antivenin. Deux heures plus tard, sa tension artérielle s’était rétablie, mais il saignait encore, donc nous lui avons donné encore une autre dose d’antivenin. Nous avons tout essayé. Nous avons utilisé 12 flacons d’antivenin pour traiter l’enfant. C’est vraiment incroyable qu’il se soit rétabli.

Je me suis joint à MSF à cause de son impact sur la vie de personnes comme ce garçon, et aussi pour ses principes. Celui qui m’interpelle le plus, c’est l’impartialité. Cet élément est au cœur des valeurs de MSF – nous traitons tout le monde, sans égard à l’identité ou à l’origine.

Je me rappelle un jour de novembre 2019, à la frontière avec le Soudan, non loin de la clinique d’Abdurafi, quand un Soudanais s’est présenté à notre centre de santé. Il était atteint de kala-azar, une maladie mortelle transmise par une espèce de mouche, le phlébotome, que les équipes de MSF traitent dans cette clinique.

Malheureusement, nous ne pouvions pas nous comprendre parce qu’il ne pouvait pas parler un mot d’amharique, il comprenait seulement l’arabe. Nous sommes allés en ville pour trouver quelqu’un capable de traduire. L’homme a été soigné, il s’est rétabli et a pu repartir chez lui. C’est ce que MSF représente. Nous ne faisons pas de discrimination, et nous réalisons notre travail, peu importe l’origine, la religion ou l’allégeance des gens », conclut Kassaye.


[1] https://reports.unocha.org/fr/country/ethiopia