Francine, 24, from Kiwanja in Rutshuru territory, walks through the Kanyaruchinya site for displaced people where she lives, north of the city of Goma, North Kivu, Democratic Republic of Congo, 2 January 2024.
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Femmes en mouvement : récits de mères à Kanyaruchinya, au Nord-Kivu

Au cours des deux dernières années, plus d’un million de personnes, femmes, hommes et enfants, ont fui les combats en cours dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Plus de la moitié d’entre elles ont trouvé refuge près de la capitale provinciale de Goma. Beaucoup vivent dans des conditions inhumaines sur des sites improvisés où tout manque : abris décents, eau, nourriture, soins de santé et protection contre la violence, y compris les violences sexuelles.

Kanyaruchinya, au nord de Goma, est l’un des plus grands camps de la région. Le site a d’abord accueilli des personnes touchées par l’éruption du volcan Nyiragongo, en mai 2021, avant que d’autres, fuyant les premiers combats dans le territoire de Rutshuru, le réintègrent. À la fin d’octobre 2022, la population de Kanyaruchinya a triplé en quelques jours. Dix-huit mois plus tard, environ 200 000 personnes y vivent encore dans des conditions épouvantables, dans des abris faits de branches d’arbres et de bâches en plastique. À Kanyaruchinya, comme dans la plupart des endroits autour de Goma, l’assistance humanitaire fait cruellement défaut.

Quiconque pénètre dans ce vaste site est frappé par le nombre de femmes qui courent dans tous les sens pour tenter de gagner leur vie et celle de leur famille. Elles y ramassent du bois qu’elles vendent, cousent des vêtements ou essaient de cultiver les plus petites parcelles de terre disponibles pour conserver un minimum de dignité. Dans des conditions de vie absolument inhumaines, des milliers d’entre elles élèvent des enfants, souvent seules, et font de leur mieux pour les nourrir, parfois au prix de leur propre sécurité. Les violences sexuelles à l’intérieur et à l’extérieur du site se sont en effet rapidement transformées en une nouvelle épidémie, au même titre que le choléra et la rougeole.

Depuis juillet 2022, MSF gère le centre de santé local pour apporter une assistance aux gens de Kanyaruchinya. Chaque jour, le petit établissement reçoit environ 250 personnes ayant besoin de soins de santé primaires, tandis que la maternité assiste la douzaine de femmes qui y accouchent chaque jour – près de 3 300 naissances ont été assistées en 2023.

Les femmes que nous vous présentons dans ce reportage photo ont toutes eu accès au soutien de MSF. Leurs témoignages, recueillis en janvier 2024, révèlent leur résilience envers les multiples déplacements qui ont jalonné leur vie et leur force à garder espoir malgré des conditions de vie difficiles. Les femmes partagent aussi leurs craintes pour l’avenir de leurs familles, alors que les espoirs de paix se font rares et que la violence sur le lieu où elles ont trouvé refuge est malheureusement une réalité quotidienne.

Alice, 19 ans : « Des bandits armés pénètrent dans nos maisons. Nous avons besoin que la paix revienne. »

Alice Feza, 19 ans, originaire de Buhumba dans le territoire de Nyiragongo, devant son abri dans le site de déplacés de Kanyaruchinya au nord de Goma, au Nord-Kivu. RDC, 2024. © Philémon Barbier

Orpheline de père et de mère, Alice et ses jeunes frères ont fui Buhumba, dans le territoire de Nyiragongo, lorsque les combats ont atteint leur village.

« Lorsque nous avons vu les gens fuir en masse, nous avons pris peur et nous nous sommes faufilés dans la foule jusqu’au camp de Bugere, près de Saké [à 25 kilomètres à l’ouest de Goma] », se souvient-elle.

Pour gagner un peu d’argent pour elle et ses frères à Bugere, Alice a ouvert un petit magasin de boissons sur la route. C’est là qu’elle a rencontré Elie, qui a également fui Buhumba, et avec qui elle s’est installée à Kanyaruchinya. C’est là que le couple vit depuis février 2023. C’est là aussi que 10 mois plus tard, leur fille Rehema Alliance est née, à la clinique de MSF.

« Malgré les conditions ici, ma grossesse s’est bien passée », dit-elle en regardant son album photo, le seul souvenir qu’elle ait ramené de Buhumba. « J’ai été bien suivie au centre de santé, nous avons reçu tous les médicaments dont nous avions besoin, et les conseils et les soins étaient gratuits. »

Mais aujourd’hui, Alice est inquiète à l’idée d’avoir un enfant dans le camp. « Son avenir n’est pas assuré dans les conditions actuelles. De plus, des bandits armés s’introduisent dans les abris et nous demandent de l’argent. Si vous n’avez pas d’argent, vous risquez d’être tué. »

Pour soutenir sa famille, Elie multiplie les petits boulots : moto-taxi, coiffeur, transporteur de planches de bois, etc. « Ce n’est pas suffisant pour gagner un revenu décent, et il nous est difficile de trouver de quoi manger », soupire-t-il. « Dans ces conditions, avoir son premier enfant est un peu triste, c’est difficile à expliquer. Nous vivons dans un abri où l’eau s’écoule quand il pleut et où il fait étouffant quand le soleil brille. »

Malgré toutes les difficultés qu’Alice et Elie traversent, « l’arrivée de cet enfant est une bénédiction », déclare Alice. « Je ne peux qu’être heureuse et elle ne peut qu’être heureuse. Mais il faut que nous puissions retourner au village quand la paix sera revenue. Quand je reçois des nouvelles de mon village, ceux et celle qui y sont restés nous disent qu’ils souffrent encore plus que nous, parce qu’ils n’ont pas d’assistance humanitaire et que les combattants détruisent les projets… Il faut que la paix revienne. »

Francine, 24 ans : « Quelle est la différence entre ce site et le village que j’ai fui? »

Francine, 24 ans, a donné naissance il y a trois mois à son fils Amini Naël, dans la maternité soutenue par MSF sur le site de Kanyaruchinya, au nord de Goma, Nord-Kivu. RDC, 2024. © Philémon Barbier

Originaire de Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, Francine est arrivée sur le site de Kanyaruchinya en octobre 2022.

« J’ai fui en moto avec mes grands-parents jusqu’à Rugari, mais nous n’avions pas d’argent pour payer le reste du voyage, alors nous avons marché jusqu’ici, pendant des jours et des nuits sans manger », se souvient-elle.

C’est la troisième fois depuis 2006 que Francine est obligée de fuir à cause des combats dans sa ville natale. « À chaque fois, il faut recommencer sa vie à zéro », soupire-t-elle. Pour survivre, elle et son mari, Jean-de-Dieu, ont monté un petit commerce sur le site, mais ils se sont endettés et l’argent qu’ils gagnent ne leur permet de manger qu’une fois par jour. Cette situation est particulièrement critique pour cette jeune mère qui allaite et qui a donné naissance à un enfant, il y a à peine trois mois, à la maternité de MSF où elle est venue aujourd’hui faire vacciner son bébé.

« Parfois, on perd la tête et on se décourage complètement », explique-t-elle. « Ma grossesse a été une période de souffrance extrême. Être enceinte et dormir sur des feuilles sous une bâche, c’est impossible. Et maintenant, au rythme où vont les choses, j’ai très peur que mon bébé souffre bientôt de malnutrition. Il est très difficile de trouver la joie ici. »

Outre les conditions de vie extrêmes sur le site, la violence armée dans le camp est une autre source d’inquiétude pour Francine, qui pensait être à l’abri des hommes armés. « Le crépitement des balles est courant dans le camp, de jour comme de nuit », explique-t-elle. « Je me demande parfois quelle est la différence entre ici, et le village que j’ai fui? Entre les zones occupées et ce camp? »

Jeanne, 64 ans : « J’espère que ma fille et ma petite-fille auront un meilleur avenir que moi. »

Jeanne Nyirarwango, 64 ans, originaire de Rugari dans le territoire de Rutshuru, vit seule dans un abri sur le site pour personnes déplacées de Kanyaruchinya, au nord de Goma, Nord-Kivu. RDC, 2024. © Philémon Barbier

Jeanne vivait à Rugari, dans le territoire de Rutshuru, lorsqu’elle a été contrainte de fuir les combats et de se réfugier à Kanyaruchinya. C’est la deuxième fois qu’elle doit fuir les violences dans le Rutshuru.

« J’ai tout perdu », nous dit-elle depuis le minuscule abri fait de branches et de plastique où elle vit, « depuis quatre récoltes de pommes de terre », précise-t-elle. Trop âgée pour aider dans les projets, elle compte désormais sur la solidarité des autres personnes déplacées pour survivre. Mais compte tenu des conditions de vie dans le camp, elle avoue ne pas manger tous les jours.

« Sur mes huit enfants, une seule a survécu à la maladie et à la violence », dit-elle. « Elle est enceinte de huit mois et j’ai très peur pour elle, car pour s’en sortir, elle doit travailler et porter des planches. »

Sa fille Aimée n’a pas pu rester à Kanyaruchinya en raison des conditions de vie dans le camp. « J’ai dû déménager à Kibati, à deux kilomètres de là, pour rester dans la case en bois de ma belle-mère, car les médecins m’ont dit que, vu ma grossesse, je ne pouvais plus dormir sur les pierres à même le sol. C’est la première fois que je vis une grossesse dans ces conditions et je suis très inquiète pour l’avenir de ma fille. »

Jeanne vit désormais seule dans le camp. « J’espère que ma fille et ma petite-fille auront un avenir meilleur. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que d’espérer. Mon plus grand rêve est de rentrer chez moi lorsque la paix sera rétablie. Je m’en remets à Dieu, il est le seul à pouvoir apporter une paix durable. »

Gisèle, 18 ans : « Je veux que ma fille puisse étudier, travailler et être indépendante. »

Gisèle Dorika, 18 ans, avec sa fille Justine, née le jour même au centre de santé de Kanyaruchinya, soutenu par MSF, au nord de Goma, Nord-Kivu. RDC, 2024. © Philémon Barbier

En novembre 2022, Gisèle s’est enfuie avec ses parents du village de Rugari, dans le territoire de Rutshuru.

« Nous avons marché pendant trois semaines avant d’arriver ici », nous explique-t-elle au début de janvier 2024, soit un jour après avoir accouché dans la petite maternité gérée par MSF dans le camp de Kanyaruchinya.

Aujourd’hui, Gisèle vit dans un abri à côté de ses parents. Mais le père de son enfant n’est pas là.

« Je ne le connaissais pas », dit-elle. « C’est un fonctionnaire du gouvernement. Chaque jour, j’essayais d’obtenir une carte pour bénéficier de l’assistance humanitaire, mais je n’y arrivais pas. Il m’a vue et m’a dit qu’il pourrait m’en obtenir une si je venais avec lui un soir. J’y suis donc allée… »

Lorsque Gisèle lui a annoncé qu’elle était enceinte, l’homme lui a dit qu’il l’épouserait « quand la guerre sera finie » et qu’il s’occuperait de l’enfant quand il aura six ans. En attendant, il l’aide un peu en achetant des couches et des lotions pour le bébé.

« Je veux qu’elle étudie beaucoup, qu’elle travaille et qu’elle soit indépendante, » dit-elle.

Aujourd’hui, malgré les difficultés quotidiennes, Gisèle se sent en sécurité, car sa tente est à côté de celle de ses parents, même si sa mère, Espérance, dit que « presque toutes les nuits, il y a des crépitements de balles. »