Le personnel de MSF marche dans les camps de personnes réfugiées du Bangladesh. Bangladesh, 2023. © Victor Caringal/MSF
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Les besoins médicaux augmentent pour les Rohingyas réfugiés au Bangladesh, alors que les financements stagnent

Six ans après l’exode sans précédent des Rohingyas1 du Myanmar vers le Bangladesh, les besoins médicaux dans le plus grand camp de personnes réfugiées du monde restent pressants, alors que les soins sont de plus en plus insuffisants.

Dans un contexte mondial marqué par de multiples crises humanitaires de grande ampleur, les financements internationaux alloués à la réponse humanitaire pour ce million d’apatrides subissent une pression accrue d’année en année. Une situation très préoccupante pour ces personnes qui, privées de statut juridique et du droit de travailler légalement, dépendent presque entièrement de l’assistance humanitaire pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille. Bien qu’étant l’une des plus grandes prestataires de soins de santé dans les camps, MSF a atteint sa capacité dans plusieurs domaines. Dans ce contexte, nos équipes ont été obligées de fixer des critères d’admission plus stricts pour faire face aux besoins médicaux accablants des gens qui se présentent dans nos structures.

Six ans après l’exode : le « temporaire » perdure

Une route principale, dans les camps. L’accès aux soins de santé se fait principalement à pied et par les transports en commun, avec un accès limité aux véhicules d’urgence. Bangladesh, 2023. © Victor Caringal/MSF

En août 2017, en quelques semaines seulement, plus de 700 000 hommes, femmes et enfants ont fui les violences de masse perpétrées à leur encontre par l’armée du Myanmar dans l’État de Rakhine, au nord-ouest du pays. Ces hommes et ces femmes ont trouvé refuge dans les collines du district de Cox’s Bazar, au Bangladesh. Les Bangladais ont alors organisé l’accueil de leurs voisins, comme ils l’avaient fait quelques fois auparavant. Six ans plus tard, ce qui devait être une solution temporaire pour offrir un refuge à des personnes fuyant des violences éprouvantes est devenu une crise prolongée sans solution significative à l’horizon.

Les camps disposent aujourd’hui de meilleures routes, de plus de latrines et d’un approvisionnement en eau potable plus sûr que lors du pic initial de l’urgence. Toutefois, les gens vivent toujours dans des abris surpeuplés, et la construction de structures permanentes n’est pas autorisée. Les incendies ont détruit des centaines, voire des milliers d’abris, ce qui représente un risque permanent, mais évitable, pour la sécurité des gens vivant dans les camps. La région étant sujette aux catastrophes naturelles, les abris faits de bambou et de bâches en plastique sont souvent endommagés et détruits par les vents violents, les pluies torrentielles et les glissements de terrain. À cet environnement entraînant une extrême vulnérabilité s’ajoute l’impossibilité d’évacuer les camps vers des zones plus sûres, comme ce fut le cas lors du cyclone Mocha, en mai dernier. La plupart des hôpitaux de MSF ont dû fermer pendant deux jours, leurs structures semi-permanentes menaçant de s’effondrer.

De moins en moins de fonds parviennent au plus grand camp de personnes réfugiées du monde.

Les abris faits de bambou et de bâches ont été construits à titre temporaires. De nombreuses familles rohingyas ont fui le Myanmar en pensant qu’elles retourneraient chez elles au bout de quelques mois. Bangladesh, 2023. © Victor Caringal/MSF

Pour l’instant, le retour des Rohingyas au Myanmar reste un rêve. Il leur faudrait, en effet, des garanties quant à leurs droits, notamment la reconnaissance de leur citoyenneté et le droit de retourner dans les maisons situées sur leurs terres. Mais pour ces personnes réfugiées, le temps semble s’être arrêté. Interdits de travailler ou de sortir, la vie dans les camps, entourés de clôtures et de barbelés depuis la pandémie de COVID-19, ressemble à un jour sans fin pour les Rohingyas.

L’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé d’un million d’apatrides dépend de l’assistance humanitaire internationale. Mais les organisations reçoivent de moins en moins de financement de la part des donateurs internationaux. Au cours des deux dernières années, l’engagement des États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) en faveur de l’appel de fonds humanitaire de l’ONU n’a cessé de diminuer. D’environ 70 % en 2021, il est passé à 60 % en 2022 et à environ 30 % jusqu’à présent en 20232. En mars, les rations alimentaires du Programme alimentaire mondial ont été réduites de l’équivalent de 16,25 CAD par personne et par mois à 13,50 CAD, puis à seulement 11 CAD en juin.

Les équipes de MSF sont témoins des difficultés rencontrées par les centres de santé gérés par diverses organisations qui dépendent de ce financement pour les ressources humaines, l’approvisionnement en médicaments et la capacité à assurer le suivi des patients et des patientes. L’entretien régulier des infrastructures d’eau et d’assainissement est également un défi, ce qui rend les conditions d’hygiène et l’accès à l’eau potable problématiques dans de nombreux camps.

Les besoins médicaux croissants mettent les services à rude épreuve

L’accès insuffisant à l’eau potable et les mauvaises conditions en matière d’assainissement aggravent les risques sanitaires dans les camps surpeuplés, favorisant des épidémies comme la gale. Bangladesh, 2023. © Victor Caringal/MSF

Les conditions de vie difficiles et l’insalubrité compliquent considérablement la situation sanitaire, entraînant divers problèmes de santé. L’année dernière, le nombre de personnes atteintes de dengue a été dix fois plus élevé que l’année précédente. Au début de l’année 2023, nous avons également enregistré la plus forte augmentation hebdomadaire d’individus atteints de choléra depuis 2017. Selon les résultats d’une enquête très attendue présentée en mai dernier par la coordination du secteur de la santé des camps, 40 % des personnes qui y vivent souffrent de la gale. Ce chiffre est bien supérieur au seuil de 10 % à partir duquel l’Organisation mondiale de la Santé recommande, en cas d’épidémie de gale, de lancer une administration massive de médicaments.

Cette situation a mis à rude épreuve les services de MSF au cours des deux dernières années. Nos équipes traitent les conséquences des conditions de vie difficiles depuis l’afflux de personnes réfugiées, il y a six ans. Maladies infectieuses, infections respiratoires, intestinales et cutanées, nous avons également constaté, au fil des années, un besoin croissant pour les maladies chroniques, lié notamment à un manque d’accès aux soins pour les Rohingyas au Myanmar, comme le diabète, l’hypertension ou l’hépatite C.

Le nombre de personnes arrivant au service ambulatoire de « l’hôpital sur la colline », construit par MSF au milieu des camps en 2017, a augmenté de 50 % au cours de l’année 2022. Cette situation va de pair avec la fermeture de plusieurs centres de santé dans la région l’année dernière, en raison d’un manque de financement et d’une épidémie de gale rampante. Dans cet hôpital ainsi que dans celui mère-enfant de Goyalmara, le nombre d’admissions pédiatriques a connu, de janvier à juin 2023, une hausse inhabituellement élevée par rapport à la même période l’année dernière. En juillet, alors que la haute saison annuelle des besoins médicaux commence à peine, les admissions sont nombreuses et notre hôpital pédiatrique est au maximum de sa capacité.

Comment les gens s’en sortiront-ils?

MSF n’est pas directement affectée par la crise du financement des donateurs internationaux, mais la capacité de nos services à absorber la demande de soins toujours à la hausse atteint ses propres limites. Le nombre croissant de consultations exerce inévitablement une pression sur nos ressources humaines, la gestion des lits d’hôpitaux et l’approvisionnement en médicaments.

Pour y faire face, MSF a dû adopter deux nouvelles approches, chacune ayant ses propres limites. Dans le cas de certaines maladies, comme les maladies non transmissibles (MNT) et la gale, les besoins sont tels que nos structures ne peuvent pas prendre en charge tous les individus qui se présentent dans nos cliniques. Depuis un an, nos équipes sont obligées d’effectuer un triage plus strict en fonction de la gravité des maladies ou de l’origine géographique des gens, car les camps sont répartis par secteur. Nos équipes doivent référer les cas moins urgents à d’autres centres de santé, qui montrent souvent eux-mêmes des limites dans le traitement des MNT ou de la gale en raison du manque de médicaments disponibles.

Dans le cas de la pédiatrie, et en prévision de la haute saison des besoins médicaux, de nouveaux lits temporaires ont été installés pour accueillir plus de jeunes dans les services de pédiatrie de Goyalmara. Depuis l’année dernière, nos équipes ont également dû admettre de plus en plus de patients et patientes pédiatriques dans notre « hôpital sur la colline », qui ne les prend normalement pas en charge. Cela nécessite des lits supplémentaires et exerce une pression sur les services d’hospitalisation destinés à d’autres personnes. Si cette solution ne peut être satisfaisante à long terme, les équipes de MSF craignent que même à court terme, avec le début de la haute saison, l’augmentation du nombre de lits ne suffise pas à couvrir tous les besoins.

Tant que les membres de la communauté rohingya du Bangladesh seront contenus dans des camps et piégés dans un cycle de dépendance à l’égard de l’assistance humanitaire, il est impératif que les donateurs internationaux augmentent de manière significative leurs contributions financières. Cela est absolument nécessaire afin d’assurer un soutien adéquat et de prévenir d’autres conséquences irréversibles sur la santé physique et psychologique de ces gens.


[1] Les membres de la communauté rohingya constituent la plus grande population apatride au monde et l’une des minorités ethniques les plus persécutées. Depuis qu’ils ont été privés de leur citoyenneté, chez eux, au Myanmar, en 1982, ils endurent des cycles de violence ciblée extrême et sont confrontés à des restrictions touchant tous les aspects de leur vie. Cela comprend la liberté de mouvement, l’accès aux opportunités de subsistance, à l’éducation et aux soins de santé. Pour plus d’informations, visitez le https://msf.org.au/rohingya-worlds-largest-stateless-population.

[2] Source : FTS OCHA [https://fts.unocha.org/appeals/1082/summary]