À l’hôpital de MSF à Kutupalong, Shofi Mohammad est soigné pour de multiples abcès sous les aisselles et dans le dos, tandis que son père, Anas Mohammad, tente de le réconforter. La famille s’était d’abord rendue dans un autre établissement de santé, mais celui-ci n’était pas en mesure de pratiquer l’intervention. Elle a fui le Myanmar pour se réfugier au Bangladesh en octobre 2024. Bangladesh, 2025. © Ante Bussmann/MSF
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Bangladesh : les voix des personnes rohingyas résonnent depuis les camps, à l’approche de la conférence des Nations Unies

Le nouveau rapport de MSF révèle que les gens sont pris au piège dans une crise, confrontés à la violence et à une aide humanitaire en baisse

Il y a huit ans, des centaines de milliers de personnes rohingyas ont fui une campagne de violence extrême ciblée contre leur communauté au Myanmar. Aujourd’hui, le nouveau rapport (disponible en anglais seulement) de Médecins Sans Frontières (MSF) montre des gens pris dans une crise prolongée, confrontés à des menaces constantes de violence, à une aide en baisse et à un profond manque de contrôle sur leur propre avenir. 

La communauté internationale se prépare pour une conférence de haut niveau aux Nations Unies à New York, le 30 septembre, sur la situation des musulmans rohingyas et d’autres minorités du Myanmar. Pourtant, les voix des personnes les plus touchées restent largement inaudibles. En amont de la conférence, MSF a consulté 427 personnes réfugiées rohingyas vivant dans les camps du district de Cox’s Bazar au Bangladesh pour dresser un aperçu des difficultés auxquelles fait face plus d’un million de Rohingyas. Le rapport qui en résulte, intitulé « L’illusion du choix : les voix des Rohingyas résonnent depuis les camps » (disponible seulement en anglais), présente les conclusions suivantes : 

  • 84 % des personnes réfugiées rohingyas de Cox’s Bazar ne se sentiraient pas en sécurité si elles revenaient au Myanmar ; 
  • 58 % ne se sentent pas en sécurité dans les camps de Cox’s Bazar ; 
  • 56 % font état de difficultés croissantes pour accéder aux soins de santé ; 
  • 37 % étaient au courant des discussions à venir à l’ONU, la majorité d’entre elles l’ayant appris de manière informelle par les réseaux sociaux.  
Abdul Rahman se trouve à l’hôpital MSF de Kutupalong avec sa mère, Dil Newaz. Abdul souffre de brûlures étendues sur le corps après s’être ébouillanté avec de l’eau très chaude, neuf jours auparavant. Sa mère l’emmène régulièrement à la clinique pour faire changer ses pansements. Dil Newaz vit dans le camp depuis 2017. Bangladesh, 2025. © Ante Bussmann/MSF

Les récentes consultations comprenaient un questionnaire détaillé distribué à des patientes et patients âgés de 18 ans et plus (46 % d’hommes et 54 % de femmes) qui avaient recours aux services de quatre structures médicales de MSF. L’enquête a été menée en langue rohingya du 26 août au 2 septembre 2025. 

« Nos discussions avec les personnes réfugiées rohingyas dans les camps révèlent un sentiment généralisé d’impuissance au sein de la communauté, ainsi qu’une demande de solutions à plus long terme », explique Paul Brockmann, directeur régional des opérations de MSF. « Des décennies de persécution et de vie dans l’incertitude ont eu de graves conséquences, affectant non seulement leur santé physique, mais aussi leur bien-être mental. » 

« Les personnes réfugiées rohingyas continuent de faire face à de sévères restrictions dans leurs déplacements et dans leur vie de tous les jours. L’insécurité affecte tout, depuis la possibilité pour les parents d’emmener un enfant malade à la clinique la nuit jusqu’à la réalité quotidienne de la vie dans des abris qui offrent peu de protection contre la violence. »

– Paul Brockmann, directeur régional des opérations de MSF  

Bon nombre des patients et patientes avec lesquels nous avons discuté, en particulier ceux qui sont arrivés au Bangladesh lors des dernières vagues de déplacements en 2024, ont décrit les violences qu’ils ont fuies. Un homme, parvenu à Cox’s Bazar en 2024 après avoir fui le nord de l’État de Rakhine, a raconté à MSF qu’il s’était enfui après que sa fille ait été tuée : 

« Un drone est tombé près de moi en Birmanie. Il a touché tout le monde, sans distinction d’âge ou de sexe. J’avais ma fille avec moi, mais le drone nous a blessés tous les deux. Il m’a atteint à l’estomac et aux jambes. Quand j’ai repris mes esprits, je me suis rendu compte que ma fille était déjà morte. Les gens pensaient que j’étais mort moi aussi. J’étais allongé à côté de ma fille, respirant à peine. À la tombée de la nuit, j’ai repris un peu conscience. J’ai bandé mes blessures avec des morceaux de mes vêtements et j’ai commencé à ramper sur le sol. Il était 3 heures du matin et j’appelais à l’aide. J’ai fini par perdre connaissance à nouveau. J’ai été secouru après une nuit et un jour. » 

Habiba Jannat Deba, infirmière de MSF, fait une prise de sang à Abu Hashim lors d’un dépistage de l’hépatite C au camp de personnes réfugiées de Kutupalong. Bangladesh, 2025. © Ante Bussmann/MSF

Les témoignages des personnes nouvellement arrivées brossent un tableau sombre qui explique pourquoi une écrasante majorité d’entre elles ne se sentirait pas en sécurité en revenant au Myanmar dans les conditions actuelles. Si la peur de retourner au Myanmar est profonde, de nombreuses personnes réfugiées expriment également leur désespoir face à l’absence d’avenir dans les camps. Comme le mentionne quelqu’un : « Si vous me demandez si je veux retourner en Birmanie, je vous répondrai que non… J’ai un rêve pour l’avenir de mes enfants. Je n’ai pas d’éducation et aucune possibilité de m’en sortir, mais je veux que mes enfants soient éduqués… Ici [au Bangladesh], il n’y a aucun espoir pour l’éducation de mes enfants. Les gens peuvent me prendre mes biens, mon argent et tout ce que je possède, mais personne ne peut prendre à quelqu’un ses connaissances et son éducation. » 

« Les personnes réfugiées rohingyas continuent de faire face à de sévères restrictions dans leurs déplacements et dans leur vie de tous les jours », explique Paul Brockmann. « L’insécurité affecte tout, depuis la possibilité pour les parents d’emmener un enfant malade à la clinique la nuit jusqu’à la réalité quotidienne de la vie dans des abris qui offrent peu de protection contre la violence. »

Une infirmière de MSF, Dipti Rani Dey, examine Gul Banu, qui s’est présenté à la clinique de Jamtoli avec des douleurs abdominales et urinaires, et qui reçoit de l’oxygène pour soulager ses difficultés respiratoires. Bangladesh, 2025. © Ante Bussmann/MSF

La situation dans les camps s’aggrave à mesure que les services essentiels sont réduits. Les coupes importantes dans le financement des donateurs et donatrices mettent en péril le soutien indispensable pour une communauté qui dépend presque entièrement de l’aide humanitaire. Depuis fin 2023, l’escalade du conflit dans l’État de Rakhine au Myanmar a poussé une nouvelle vague de personnes rohingyas à fuir vers le Bangladesh. En juillet 2025, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a recensé 150 000 personnes réfugiées récemment arrivées. Cependant, le nombre réel est sans doute plus élevé, certains individus vivant de manière informelle à l’intérieur et à l’extérieur des camps. À l’approche de la conférence des Nations Unies de cette semaine, les Rohingyas ont clairement exprimé leurs préoccupations et leurs appels en faveur d’un avenir durable. Un patient a par exemple déclaré : « Nous voulons une vie meilleure, dans la dignité et en égalité avec le reste du monde, car chaque personne mérite une vie paisible. Nous voulons être rapatriés avec nos droits de citoyenneté, notre sécurité, nos maisons, notre identité. »  

« Après huit ans d’incertitude à Cox’s Bazar, la situation humanitaire des personnes réfugiées reste intenable, explique Paul Brockmann. L’absence de perspectives et la détérioration de la santé mentale sapent l’espoir. Les Rohingyas demandent plus qu’un abri et des rations alimentaires. Ils veulent un avenir, qu’il s’agisse d’un retour dans la sécurité et avec des droits, ou d’une réinstallation dans la dignité. Pour cela, il faut que leur voix soit au centre de toutes les discussions, qu’ils aient accès aux services essentiels et à des possibilités de devenir autonomes, et qu’ils puissent aspirer à une vie où un retour sûr, digne et volontaire est réellement envisageable ».