Jason Nickerson à comité sénatorial permanent des droits. Canada, 2024.
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Déclaration de MSF au Sénat canadien : « Nous demandons au Canada de continuer à s’impliquer »

Mot d’ouverture de Médecins Sans Frontières (MSF) au Comité sénatorial permanent des droits de la personne sur les déplacements forcés dans le monde

Jason Nickerson
Conseiller aux affaires humanitaires MSF

Bonsoir, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, et merci de me recevoir. En tant qu’organisation médicale humanitaire, Médecins Sans Frontières (MSF) répond régulièrement à des situations d’urgence liées aux déplacements forcés. Nos équipes travaillent avec des communautés exposées à la violence, aux conflits et de plus en plus, aux impacts des changements climatiques qui les obligent à fuir pour subsister et se mettre en sécurité. Notre rôle est de fournir des soins médicaux essentiels. Ce faisant, nous sommes témoins de lacunes alarmantes, en réponse à de grandes crises de déplacements forcés dans des endroits comme la République démocratique du Congo et le Soudan. Ce dernier marque aujourd’hui un an depuis que le conflit a englouti le pays, déplaçant des millions de personnes à l’intérieur et dans les pays voisins, dont le Soudan du Sud et l’est du Tchad. Le Tchad est d’ailleurs devenu le plus grand pays d’accueil des personnes réfugiées du Soudan, et la réponse humanitaire y reste inadéquate.

Nous pourrions discuter d’une multitude de crises. Je voudrais toutefois concentrer mes remarques sur trois urgences qu’il me semble important de porter à l’attention de la commission, afin d’examiner la réponse du Canada.

Chacune de ces crises est distincte, mais présente une similitude frappante : elles sont toutes caractérisées par la lenteur de l’action mondiale, malgré l’augmentation des besoins humanitaires.

Dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, un conflit lié à la résurgence du groupe armé M23 dure depuis plus de deux ans. Il a massivement aggravé le conflit qui sévit depuis des décennies dans cette province et touche aujourd’hui également le nord de la province du Sud-Kivu. Pas moins de 2,5 millions de personnes sont aujourd’hui déplacées dans le Nord-Kivu. C’est plus d’un tiers de la population.

Depuis le tout début, la réponse humanitaire internationale à cette crise a été totalement inadéquate. Malgré quelques améliorations, de nombreuses personnes vivent encore dans des sites indignes et dangereux où elles manquent d’eau potable, de nourriture, d’assainissement, d’abris et de soins de santé adéquats et sûrs.

MSF répond à cette crise par de multiples projets courants et d’urgence, mais les besoins sont immenses. Les hôpitaux et les centres de santé soutenus par MSF ont reçu un afflux de personnes blessées par la guerre, y compris par balle et victimes d’explosions. Nous sommes particulièrement préoccupés par les niveaux choquants de violence sexuelle. En 2023, les cliniques soutenues par MSF ont fourni des soins à 20 556 personnes ayant survécu à des violences sexuelles dans le Nord-Kivu. Dans certaines de nos cliniques, nous constatons cette année une augmentation de la violence sexuelle supérieure à ce que nous avons vu en 2023. Le Canada doit agir.

Je souhaite également attirer l’attention du Comité sur la situation déplorable à laquelle est confrontée la population rohingya, au Bangladesh, au Myanmar et en Malaisie.

Je me suis récemment rendu au Bangladesh, pour visiter les projets de MSF dans le camp de personnes réfugiées rohingyas de Cox’s Bazar. Ce camp clôturé qui abrite aujourd’hui environ 1 million de personnes est le plus grand camp de personnes réfugiées au monde. MSF est le principal fournisseur de services de santé à l’intérieur d’un camp clôturé où les personnes qui ont fui la violence et la persécution se retrouvent aujourd’hui confinées. Ces gens sont privés ou ont un droit limité ou inexistant à l’emploi, à l’éducation ou aux moyens de subsistance, sans que des solutions claires ne soient proposées. Je suis également allé en Malaisie, où nos équipes fournissent des soins médicaux aux Rohingyas qui ont fui la violence et l’avenir incertain des camps de Cox’s Bazar. À leur arrivée en Malaisie, ces personnes font face à une réalité marquée par l’absence de protection juridique et de sécurité. Des milliers d’entre elles se retrouvent arrêtées et détenues dans des centres de détention, en grande partie pour des violations des lois sur l’immigration, et privées de recours légal pour remédier à la situation.

Je voudrais terminer en évoquant la guerre à Gaza et la crise des déplacements forcés qu’elle a engendrée. On estime que plus de 1,7 million de personnes à Gaza, soit près de 75 % de la population, ont été déplacées de force et vivent dans des conditions dangereuses et insalubres.

Nous sommes aujourd’hui témoins d’une dure réalité. En raison du siège israélien sur l’ensemble de la bande de Gaza, les gens sont privés des biens de première nécessité comme la nourriture, l’eau, les abris, le carburant et l’électricité, ainsi que des soins de santé élémentaires. Les approvisionnements autorisés à entrer et destinés aux personnes déplacées ont été jusqu’à maintenant négligeables par rapport aux immenses besoins. La malnutrition progresse. Les maladies transmissibles se propagent. L’eau potable est rare. Des milliers de personnes ont besoin de soins médicaux, chirurgicaux et de rééducation complexes qui ne sont plus disponibles à Gaza et qui nécessiteraient une évacuation médicale urgente. Les minutes comptent lorsque des vies sont en jeu.

MSF continue d’appeler à un cessez-le-feu immédiat et durable, alors que nous sommes témoins de la souffrance des personnes palestiniennes prises au piège et déplacées par un conflit qui ignore de manière flagrante les règles de la guerre. Notre appel au cessez-le-feu est un appel humanitaire, soulignant qu’étant donné la manière dont la guerre est menée, c’est la seule voie viable pour pouvoir atteindre et prêter assistance aux personnes qui en ont besoin.

Je termine en remerciant la Commission de s’être penchée sur cette question et sur le rôle que le Canada peut jouer pour répondre aux besoins urgents des personnes déplacées de force. À l’heure où une grande partie du monde piétine ou détourne le regard face à l’augmentation des besoins humanitaires, nous espérons que le Canada aura le courage moral de relever le défi. Cela implique de s’engager à financer l’aide humanitaire internationale dans le budget fédéral de demain et d’utiliser tout le pouvoir diplomatique du Canada pour trouver des solutions constructives et significatives à ces crises. Que ce soit en RDC, au Bangladesh ou à Gaza, les minutes comptent pour les personnes qui ont besoin de soins médicaux urgents. MSF continuera à répondre aux besoins des personnes touchées par les crises, et nous demandons au Canada de continuer lui aussi à s’impliquer.

Merci.