Les équipes médicales de MSF ont répondu à une épidémie de choléra au cours des mois de mars et avril, qui a considérablement diminué après quelques améliorations dans l'accès à l'eau potable et à l'assainissement. RDC, 2023. © MSF
PARTAGEZ

RDC : « l’impasse la plus totale » pour les personnes déplacées à Goma

Plus d’un million de personnes ont fui les combats liés à la résurgence du groupe armé M23 dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Actuellement, des centaines de milliers d’entre elles vivent dans le dénuement le plus total dans des camps surpeuplés à Goma, le chef-lieu de la province, et dans ses alentours. Claire Magone, directrice générale de MSF France, s’y est rendue fin juillet. Dans cet entretien, elle revient sur l’ampleur des besoins, l’état de la mobilisation des organisations d’aide humanitaire et la prévalence des violences sexuelles.

Quelle est la situation dans les camps autour de Goma?

Les centaines de milliers de personnes qui sont arrivées à Goma à partir de mars 2022 sont dans l’impasse la plus totale. Arrivées là à la suite d’une série de déplacements, elles n’ont aujourd’hui strictement aucune perspective. L’expression qui revient le plus souvent pour décrire la situation dans les camps, c’est l’indignité de l’accueil. Ce sont des gens livrés à eux-mêmes avec peu d’attention, peu d’assistance. Ces personnes sont exposées dans tous les sens du terme : aux maladies, à la malnutrition, aux intempéries parce que les personnes vivent dans des abris indignes, mais aussi à toute forme de violence, que la promiscuité extrême favorise.

Les conditions de vie dans le site de déplacement de Lushagala, situé à l’ouest de Goma, sont extrêmement précaires. RDC, 2023. © MSF

Les familles s’entassent et survivent comme elles le peuvent dans des camps insalubres et saturés. Les propriétaires de terres autour de Goma refusent de donner accès à des terrains et on attend toujours que se concrétise l’engagement du gouvernement à mettre à disposition 115 hectares pour les personnes déplacées. C’est une impasse faute de perspective, mais c’est aussi une impasse physique, géographique : ce sont des gens qui avaient déjà tout perdu en route, qui ne trouvent rien en arrivant et qui vivent dans un dénuement total.

En mai, MSF avait lancé l’alerte sur un nombre particulièrement élevé de violences sexuelles. Jusqu’à 50 femmes se présentaient alors quotidiennement dans les cliniques de MSF. Quel est le constat aujourd’hui?

L’exploitation et les violences sexuelles sont directement alimentées par les conditions de vie et le manque d’assistance. La plupart des femmes déplacées des camps de Goma vivent à la merci d’intrusions dans des abris de fortune composés de feuillage et de bouts de plastique. Nombre d’entre elles se font agresser quand elles vont chercher du bois à l’extérieur des camps. D’autres sont prises dans des réseaux d’exploitation, dans des « maisons de tolérance » en ville ou à l’intérieur des camps, ou encore soumises à des formes de chantage sexuel à l’intérieur des camps.

Exemple parlant, les points d’eau – y compris ceux mis en place par MSF – sont utilisés aussi bien par les familles des camps, que par des hommes armés. Ces derniers peuvent faire croire à une femme qui va chercher de l’eau que ce sont eux qui en conditionnent l’accès.

Avoir conscience du déséquilibre dans la relation entre des femmes qui n’ont rien et des hommes qui détiennent une forme de pouvoir (hommes en armes, mais aussi chefs de blocs dans les camps, recruteurs, soignants, gardiens, etc.) doit nous maintenir en alerte permanente sur des abus de pouvoir qui peuvent être commis par du personnel humanitaire. Il nous faut encourager les femmes à signaler ces abus, renforcer nos mécanismes de prévention et de gestion des cas qui nous sont signalés, et les sanctionner.

Quel est le discours des autorités et des organismes d’aide sur le sujet et comment peut-on faire pour améliorer la protection et la prise en charge des femmes ainsi que leur accès aux soins?

Il y a un double discours sur la question des violences sexuelles, qui consiste à s’indigner de leur prévalence tout en remettant en cause l’ampleur du phénomène, ou ses déterminants. Certains interlocuteurs avancent par exemple que par désœuvrement ou par « goût de l’argent facile », les femmes font le choix de la prostitution. Or, il n’y a pas de choix possible dans leur situation.

D’autres insinuent que certaines femmes mentent sur le fait qu’elles ont été violées, pour accéder à des services, par exemple pour obtenir un pagne, de la nourriture ou toute autre forme d’aide sociale. Ce sont des arguments misogynes et sexistes contre lesquels nous devons collectivement lutter.

Les équipes médicales de MSF ont répondu à une épidémie de choléra au cours des mois de mars et avril, qui a considérablement diminué après quelques améliorations dans l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. RDC, 2023. © MSF

Les services que l’on propose aux femmes vont de l’accès à l’avortement, à la pilule du lendemain, à la prévention et la prise en charge des infections sexuellement transmissibles (IST) et à un soutien psychosocial. Ces services doivent être accessibles à toutes les femmes qui en expriment le besoin, qu’elles aient subi ou non des violences sexuelles.

Quel est l’état de la mobilisation humanitaire actuellement?

Ces derniers mois, MSF a appelé à plusieurs reprises à une mobilisation des organisations d’aide humanitaire. En juin, les Nations Unies ont classifié la situation dans les provinces d’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en urgence de niveau 3 (L3), permettant une mobilisation rapide et une augmentation de la réponse humanitaire.

Entre mars et juin, une prise de conscience s’est opérée de la part des Nations Unies et d’autres acteurs sur le besoin de renforcer l’assistance. Les mécanismes de coordination et l’organisation même du système humanitaire devraient s’améliorer, à la faveur notamment de la relocalisation de personnels expérimentés de Kinshasa vers Goma, au plus près des besoins. Même si nous savons d’ores et déjà qu’il ne sera que partiellement couvert, un plan de financement dédié de 1,5 milliard d’euros, (2,15 milliard CAN) soit 500 millions (718 millions CAN) de plus que le budget initialement prévu pour la RDC. Ce dernier est censé permettre de cibler des actions prioritaires, notamment en matière de sécurité alimentaire, d’accès à l’eau et de prise en charge des gens ayant survécu à des violences sexuelles.

Mais ce début de mobilisation peine encore à se transformer en améliorations tangibles pour les personnes déplacées : qualité des abris, superficie d’espace de vie par personne, disponibilité des infrastructures d’eau et d’assainissement, quantité d’aide alimentaire… Sur tous ces aspects, l’assistance apportée est bien en deçà des standards minimaux formalisés dans le cadre de l’initiative SPHERE. À la fin des années 90, ces standards avaient été fixés par les organisations humanitaires précisément parce que l’aide apportée aux communautés affectées par la crise des Grands Lacs y était jugée indigne!

Quel rôle jouent les autorités congolaises dans cette mobilisation?  

Force est de constater que les préoccupations affichées par les autorités sur le sort des personnes déplacées et la nécessité de leur venir en aide sont aujourd’hui des préoccupations de façade. Dans les faits, elles ne facilitent pas l’obtention des visas pour le personnel international, ni les procédures d’approvisionnement, ni la coordination des interventions. Au contraire même, les entraves bureaucratiques et administratives se multiplient.

Dans ce contexte, quelles sont les contraintes et les inquiétudes de MSF?

La situation des personnes déplacées et notre capacité à leur venir en aide demeurent aujourd’hui nos inquiétudes majeures. À Goma, la population déplacée est acculée, et dans les zones sous contrôle du M23, où MSF est l’une des rares organisations à continuer de travailler, les gens vivent ballottés par les combats.

Le climat général marqué par l’insécurité n’invite pas à l’optimisme. Avec des groupes armés et des jeunes galvanisés par des discours patriotiques et des appels à la mobilisation, on peut parler d’une véritable course à l’armement au Nord-Kivu. Il y a peu d’espoir de désescalade dans le conflit avec le M23. Beaucoup d’observateurs s’inquiètent de la possibilité de nouvelles vagues massives de personnes déplacées, notamment si l’avancée du M23 ou des étincelles avec les groupes armés devaient mettre le feu aux poudres à Goma. Cette ville a accueilli en neuf mois plus de 600 000 nouvelles personnes déplacées et elle serait absolument incapable de faire face à un afflux de plusieurs centaines de milliers d’autres.

La lutte pour la survie

Justine, Alice, Tuliza et Agnès ont fui les combats liés à la résurgence du groupe armé M23 dans la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC. Ces femmes déplacées à l’intérieur de leur pays racontent les violences qu’elles ont fuies ou subies, et leur lutte quotidienne pour survivre.