[Série] Vivre au Myanmar : la reprise des combats à Rakhine conduit les Rohingyas à vivre dans une peur constante
Depuis la prise de contrôle du Myanmar par l’armée, en 2021, la population du pays est confrontée à d’incessants défis. Des affrontements entre groupes armés ont éclaté dans tout le pays, affectant la vie quotidienne des gens.
Dans cette deuxième partie de la série en deux volets de Médecins Sans Frontières (MSF), des Rohingyas parlent de la situation humanitaire et des dangers qui planent sur leur vie dans l’État de Rakhine, où les combats entre les Forces armées du Myanmar et l’Armée de l’Arakan se sont intensifiés depuis novembre 2023.
Lisez la première partie de notre série
De sévères restrictions à l’accès humanitaire
Sittwe, la capitale de l’État de Rakhine, est située dans l’ouest du Myanmar. Elle se trouve à environ une heure de vol de Yangon, la plus grande ville du Myanmar. Jusqu’en novembre dernier, les équipes de MSF y fournissaient une large gamme de soins essentiels destinée aux communautés ayant un accès limité aux services médicaux, notamment les Rakhines, les Rohingyas et d’autres minorités ethniques. Ces services comprenaient des soins de santé de base, des soins pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles et sexistes, des activités d’éducation à la santé communautaire et un soutien psychosocial.
MSF a également facilité les transferts d’urgence, transportant vers les hôpitaux les gens nécessitant des soins plus spécialisés. Pour la minorité musulmane rohingya persécutée depuis longtemps, et apatride depuis qu’elle a été privée de sa citoyenneté en 1982, il s’agissait d’un service crucial. Contraintes à des restrictions touchant à tous les aspects de leur vie, y compris leur liberté de mouvement, l’accès aux soins, voire à un hôpital, peut s’avérer très difficile pour ces personnes.
Pour atteindre les individus pour qui l’accès aux soins de santé est le plus difficile, MSF a fourni ses services médicaux par le biais de 25 cliniques mobiles qui se sont rendues dans différents endroits de l’État.
La rupture, en novembre dernier, d’un cessez-le-feu d’un an négocié en novembre 2022 et la résurgence du conflit ont contraint MSF à suspendre ses activités médicales et humanitaires dans le nord de l’État de Rakhine. Nos équipes ont également dû réduire les activités dans une grande partie du centre de l’État. Depuis lors, les restrictions de mouvement, l’absence d’autorisation de transport de matériel médical et les restrictions imposées par les autorités sur notre capacité à faciliter les références d’urgence pour les patients et les patientes ont gravement entravé notre prestation de services. Cela touche particulièrement les nombreuses personnes pour qui MSF était la seule option pour répondre à leurs besoins en matière de soins de santé. Au cours des sept mois allant de septembre 2023 à avril 2024, les consultations ambulatoires mensuelles de MSF dans l’État de Rakhine ont chuté de 6 684 à seulement 236.
Pour la première fois en huit mois, MSF a reçu en juin 2024 l’autorisation de reprendre ses cliniques mobiles dans le canton de Sittwe. Cela a entraîné une augmentation des consultations ambulatoires à 1 750, au début du mois de juillet. Notre accès à toutes les autres municipalités du centre et du nord de l’État de Rakhine, y compris Buthidaung, Maungdaw, MraukU et Pauktaw, reste cependant coupé.
À Sittwe, on estime que 70 % de la population urbaine a fui en prévision d’une nouvelle escalade du conflit, la plupart des gens appartenant à l’ethnie Rakhine. Plusieurs Rohingyas, qui vivent dans des camps ou des villages clôturés, ont été contraints de rester dans la région en raison des restrictions strictes qui leur sont imposées en matière de circulation. Simultanément, Sittwe a vu arriver de nouvelles personnes déplacées, notamment des Rakhines des villages de la ville de Sittwe, ainsi que des personnes fuyant les violences dans le nord de l’État. Cependant, seuls les Rohingyas possédant une carte d’enregistrement nationale, délivrée avant ou après qu’ils aient été privés de leur citoyenneté, ont pu fuir vers Sittwe. Les combats ont embrasé une grande partie de l’État, obligeant des centaines de personnes à quitter leur ville natale en quête de sécurité. « Non seulement les Rohingyas sont une fois de plus pris dans ce conflit, mais les membres de l’ethnie Rakhine sont également exposés à une violence extrême », déclare un membre de l’équipe de MSF.
La poursuite des combats expose les Rohingyas au plus grand risque de violence
Avec l’intensification des combats, les Rohingyas apatrides demeurent le groupe le plus vulnérabilisé, pris dans la violence sans aucun moyen de s’échapper.
« De toute ma vie, je ne me suis jamais sentie libre une seule seconde. Je ne sais pas ce qu’est la liberté », déclare un Rohingya qui a réussi à fuir à Sittwe. « Au Myanmar, nous, les Rohingyas, devons vivre dans une peur constante. Même les gens qui ont trouvé refuge à Sittwe ne se sentent pas en sécurité. Si les combats et les persécutions à Buthidaung et Maungdaw s’étendent à Sittwe, nous n’aurons d’autre choix que de fuir à nouveau, vers le Bangladesh ou ailleurs. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver nos vies. »
Plusieurs Rohingyas ont parlé d’attaques dans des zones civiles. « Les gens se réfugient dans les hôpitaux, les écoles et les postes de police. Mais même s’ils s’enfuyaient, ils se retrouvaient dans des zones contrôlées par l’un ou l’autre camp, sans pouvoir échapper aux attaques. »
Des rapports faisant état de violences sexuelles commises par les forces belligérantes ont également été publiés. « Trois femmes qui ont fui le nord de Maungdaw ont été agressées par huit hommes », déclare un Rohingya, racontant l’histoire d’une femme qu’il a rencontrée lors de sa fuite de Maungdaw. D’autres rapportent avoir entendu dire que de nombreuses femmes ont été abattues ou tuées après avoir été violées.
Un Rohingya qui a réussi à échapper aux affrontements dans le nord de Buthidaung a raconté qu’il avait été enrôlé de force : « Il y avait environ 30 soldats rohingyas. Les militaires voulaient seulement nous utiliser comme soldats de première ligne. Nous n’avions pratiquement rien à manger. » Bien qu’il n’ait pas eu l’intention de s’engager dans l’armée, il a été menacé de détention et de torture s’il refusait. « Nous n’avions pas le choix », a-t-il déclaré.
Il est urgent de rétablir l’accès aux soins de santé
Début juillet, les membres du personnel de MSF à Sittwe ont chargé des médicaments et du matériel dans un véhicule et se sont rendus dans une clinique du quartier d’Aung Mingalar. Il s’agissait de la deuxième clinique mobile de MSF depuis la reprise des activités, huit mois après la reprise du conflit à Rakhine. À Aung Mingalar, des centaines de personnes ont rapidement rempli la salle d’attente. Des dizaines de femmes rohingyas et rakhines attendaient leur tour pour une consultation dans la maternité, illustrant les besoins médicaux non satisfaits, alors que les services ne pouvaient pas fonctionner. Malheureusement, MSF n’a pu reprendre ses activités dans aucun de ses 24 autres sites de cliniques mobiles à travers le Rakhine.
Les rapports faisant état d’une épidémie de diarrhée aqueuse aiguë à Sittwe ont rendu encore plus pressante la nécessité d’étendre les activités de soins de santé. MSF a pu redémarrer ses activités dans la ville de Sittwe, même si de graves problèmes d’approvisionnement médical persistent. Il demeure toutefois urgent de rétablir l’accès aux soins pour les communautés les plus vulnérabilisées de l’État de Rakhine, afin d’éviter d’autres pertes de vies inutiles.
MSF s’engage à poursuivre ses activités dans l’État de Rakhine et reste prête à reprendre ses activités médicales dès que possible. MSF appelle toutes les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire. Nous demandons à ce qu’il soit permis aux gens de partir vers des zones plus sûres, tout en rappelant que les structures médicales, les patientes, les patients et le personnel soignant doivent être respectés et protégés.