MSF a transformé la clinique du camp de Rho en poste de santé avancé et a renforcé ses capacités. RDC, 2023. © MSF
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Insécurité et accès aux soins limité : l’urgence oubliée en Ituri, RDC

Depuis le début de l’année, le territoire de Djugu est marqué par une recrudescence d’attaques armées qui pousse à nouveau les gens à fuir. Le territoire compte aujourd’hui 156 000 [1] personnes nouvellement déplacées, ce qui porte à près de 700 000 [2] le nombre de personnes déplacées pour le territoire et à 1,7 million pour la province d’Ituri. Depuis des décennies, les communautés y sont prises au piège, sans échappatoire. 

Victimes d’exactions diverses, les communautés sont exposées à des violences intercommunautaires extrêmes qui ont un impact majeur sur leur accès aux soins médicaux et sur leur santé mentale. Lors d’attaques ou de menaces à proximité des structures de santé, celles-ci sont même désertées par les patients, les patientes et le personnel soignant. Les équipes de MSF sont aujourd’hui les yeux et les oreilles de ces communautés qui vivent avec d’inimaginables traumatismes.

Des coups de feu crépitent à deux kilomètres, en bas de la colline où se trouve l’hôpital de Drodro. C’est la panique. Quelques heures auparavant, des affrontements ont eu lieu sur l’axe nord, à quelques kilomètres.

Maintenant, le bruit se rapproche. Traumatisés par des années de violences chroniques, les patients, les patientes et le personnel hospitalier n’ont qu’un réflexe : fuir. Loin de l’hôpital.

Rapidement, tout le monde prend ses affaires. Les mamans enroulent leurs enfants malades dans des pagnes puis les placent sur leur dos, prennent ce qu’elles ont sous la main et partent en courant, abandonnant le reste derrière elles.

En moins de 30 minutes, l’hôpital de Drodro, qui compte 100 lits, s’est vidé. Les portes des services sont fermées et le silence est lourd.

Certaines personnes ont pu emprunter la route, mais pour d’autres, il était déjà trop tard et elles ont dû rebrousser chemin. L’ambulance les a ramenées à l’hôpital où elles se réfugient dans une même pièce, entassées les unes sur les autres. Dans cette atmosphère étrange, la tension est palpable, les pleurs d’enfants se font entendre. Même le générateur a été éteint, de peur de ne pas détecter les potentiels coups de feu.

Vue intérieure de l’unité de soins intensifs qui s’est vidée après que les gens ont eu pris la fuite, à la suite d’une attaque armée à quelques kilomètres à peine de l’hôpital de référence. République démocratique du Congo, 2023. © MSF

Des communautés traumatisées par des cycles de violence récurrents

« J’étais sur le lit d’hôpital avec mon bébé quand les autres mamans sont venues vers nous et ont dit “il faut partir, il y a des coups de feu!” J’ai pris peur. Les gens couraient, paniqués. Alors, sans réfléchir davantage, j’ai enveloppé mon petit dans la couverture et je suis partie. Mais dans la panique, j’ai même oublié certaines de mes affaires, dont son dossier médical et mes ustensiles de cuisine », décrit Joécie, mère du petit Salomon, 17 mois, admis à l’hôpital pour malnutrition sévère avec complications d’anémie. Joécie fait partie des personnes qui sont revenues dans la nuit. « Mon fils était trop malade, il avait de la fièvre et rien à manger [actuellement sous lait thérapeutique]. Je n’ai pas eu d’autre choix que de revenir. La nuit était compliquée, j’étais paniquée et j’ai à peine dormi. »

De génération en génération, la violence chronique et la crainte de nouveaux épisodes ont profondément traumatisé les gens, qui hésitent même à se soigner de peur d’accéder aux structures médicales. Les communautés voient ces structures comme des cibles potentielles et ne s’y sentent pas en sécurité. Y aller ou y séjourner est désormais vu comme une solution d’extrême urgence.

« Imaginez que les gens vivent dans ce conflit depuis des années et sur plusieurs générations, avec des déplacements à répétition et peu de perspectives. Les images de massacres de leurs voisins ou des membres de leur famille leur reviennent constamment à l’esprit. C’est difficile de réfléchir logiquement », explique Grâce Longa Mugisa, conseillère en santé mentale de MSF.

C’est la troisième fois depuis le début de l’année que certaines structures médicales sont désertées à la suite d’affrontements à proximité. 

« Je travaille avec MSF depuis 2015. Je suis allé dans plusieurs pays, je n’ai jamais vécu ce type d’événement, où l’hôpital se vide comme cela. Quand les gens fuient, que voulez-vous qu’on fasse? On ne peut pas les en empêcher », nous raconte avec émotion Dr Kelly Tsambou, responsable des activités médicales de MSF dans la zone de santé de Drodro. « Chaque personne devrait pouvoir se sentir en sécurité dans les structures médicales. Ailleurs, elles sont souvent utilisées par les gens comme un lieu de refuge lors de conflits, mais ici, ce n’est pas le cas. »

Cette insécurité compromet directement l’accès aux soins

Aujourd’hui, seules huit structures de santé sur seize demeurent fonctionnelles et accessibles dans la zone de santé de Drodro.

Pour continuer à apporter une aide impartiale, MSF s’efforce de répondre équitablement aux besoins et de fournir des soins à chacune des communautés. La violence chronique et les déplacements à répétition perturbent toutefois les activités médicales. Des moyens supplémentaires sont alors mis en œuvre dans les différentes structures de santé pour favoriser l’accès au plus grand nombre, en appui au ministère de la Santé.

« Depuis l’arrivée de MSF dans la région, en 2019, les équipes ont toujours été confrontées à des cycles de violence. Mais face à la recrudescence de violence depuis le début de l’année, nous avons dû nous adapter. Nous avons augmenté les moyens dans certaines structures pour enrichir l’offre de soins et la rapprocher des communautés », explique Soumana Ayouba Maiga, coordonnateur du projet MSF.

À titre d’exemple, la clinique mobile installée dans le site de Rho était, à l’origine, destinée à orienter les individus nécessitant des soins plus intensifs vers l’hôpital général de référence de Drodro, doté d’un meilleur plateau technique. Cependant, depuis le début d’année, la population du site où la majorité des organisations humanitaires sont concentrées a presque doublé, passant de 35 000 à près de 70 000 personnes. Face à cette situation, MSF a transformé cette clinique en poste de santé avancé et a renforcé les capacités.

MSF réhabilite également le centre de santé de Blukwa’Mbi pour qu’il devienne un centre de référence, là où les personnes déplacées se réfugient dans les familles d’accueil. « La construction d’un bloc opératoire avec un système électrique doté de panneaux solaires permettra aux équipes médicales de pratiquer des interventions chirurgicales, comme les césariennes. Nous souhaitons donner l’accès à des soins plus spécialisés pour les communautés qui ne peuvent pas accéder à l’hôpital », précise Soumana Ayouba Maiga.

Des besoins humanitaires immenses qui exigent une intensification de l’assistance

Vue large du centre-ville de Drodro dans la province de l’Ituri, RDC, où l’on aperçoit au loin l’hôpital de référence. République démocratique du Congo, 2023. © MSF

Loin de l’attention médiatique, politique et internationale, les communautés en Ituri ont grandement besoin d’assistance humanitaire : sécurité alimentaire, eau et assainissement, abris, éducation et soins de santé. Les gens se sentent abandonnés, sans assistance ou très largement en dessous des besoins, surtout en matière de nourriture. L’insécurité chronique rend impossible l’accès aux champs et aux récoltes, dans une zone où l’agriculture demeure la principale activité.

« Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est l’accès à la nourriture. La plupart d’entre nous ne mangent pas tous les jours, même les enfants. Ce n’est pas la période des récoltes en ce moment, donc il n’y a rien. Il n’y a même pas d’eau potable facilement accessible », explique Micheline, reconnue dans sa communauté comme la « responsable des mamans ». Depuis le début de l’année, elle accueille une dizaine de personnes dans son ménage, déjà composé de huit personnes. Comme la plupart, aujourd’hui, elle est découragée.

Depuis le début de 2023, 156 000 [1] personnes ont nouvellement été déplacées dans le territoire de Djugu, soit un total de près de 700 000 [2] personnes déplacées pour le territoire et 1,7 million pour la province d’Ituri. Si certains individus ont trouvé refuge dans des sites pour personnes déplacées, la plupart se sont retrouvées dans des familles d’accueil [3]. Le nombre total d’individus déplacés reste difficile à évaluer en raison de la volatilité du conflit et des mouvements continuels de la population. Des processus de paix ont été enclenchés dans le passé, sans succès, et depuis le début d’année, la situation se dégrade.

D’un point de vue sanitaire, les équipes de MSF sont quasiment seules pour répondre aux besoins des communautés dans certaines parties de la zone de santé de Drodro. Les besoins médicaux et humanitaires sont similaires et catastrophiques pour les deux communautés et à ce titre, il est primordial que l’assistance humanitaire soit déployée de manière neutre et impartiale.

Cette situation dont MSF est témoin n’est qu’un reflet de la réalité dans le territoire de Djugu. Dans certaines zones situées aux environs, les soins de santé sont parfois encore moins accessibles.


MSF offre, en collaboration avec le ministère de la Santé, des soins à l’hôpital général, dans deux centres de santé, deux postes de santé avancés et six sites de soins communautaires dans la zone de santé de Drodro.

Les équipes de MSF fournissent des services médicaux, en mettant l’accent sur les soins pédiatriques, pour traiter notamment la malnutrition, le paludisme et les infections respiratoires. MSF soutient les personnes qui ont survécu à des violences sexuelles, et a mis en place des consultations de planification familiale et de santé mentale. 

Depuis le début de l’année 2023, MSF a mené 25 630 consultations dans les différentes structures appuyées. Elle a pris en charge 850 enfants malnutris, 165 personnes ayant survécu à des violences sexuelles et organisé 435 séances en santé mentale. 


[1] https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/rd-congo-situation-humanitaire-dans-la-province-de-lituri-16-juin-2023

[2] https://dtm.iom.int/reports/rdc-ituri-suivi-des-mobilites-9-mars-2023

[3] https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/rd-congo-situation-humanitaire-dans-la-province-de-lituri-16-juin-2023