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Science, stratégie, gâteau : ma vie de coordonnatrice de projet MSF

Par Charity Nyakio Kamau

Je suis coordonnatrice de projet pour l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) à Bentiu, un camp de personnes déplacées au Soudan du Sud. Je suis également pâtissière passionnée et j’ai remporté la saison 2 du Great Kenyan Bake Off.

Je travaille avec MSF depuis longtemps. J’ai commencé comme technicienne de laboratoire au Kenya en 2006. Je soutenais alors le travail de MSF dans des crises telles que le VIH, la tuberculose et la malnutrition. Beaucoup de gens ne réalisent pas que les équipes de MSF comptent des spécialistes de laboratoire, mais ces gens sont essentiels pour s’assurer que les patients et les patientes reçoivent les bons diagnostics et les bons traitements. 

Après le Kenya, j’ai rejoint le siège de MSF à Amsterdam en tant que conseillère en laboratoire. Je couvrais jusqu’à 12 pays à la fois. Les équipes travaillent souvent contre la montre pour soigner des gens avec des ressources limitées, il est donc essentiel qu’elles aient quelqu’un à qui demander conseil. Si une équipe clinique ou de laboratoire avait un problème ou une question, c’est moi qu’elle appelait.

Le travail humanitaire ne consiste pas seulement à prévenir les décès, mais aussi à voir la vie revenir chez les gens.

Mais après un certain temps à Amsterdam, j’ai commencé à me sentir très loin de l’endroit où j’avais commencé mon voyage avec MSF. J’ai donc décidé de rentrer chez moi. Et pour moi, « chez moi » signifiait faire à nouveau partie d’une équipe sur le terrain.

Cette fois, j’ai décidé d’utiliser les compétences que j’avais acquises pour soutenir des équipes d’une nouvelle manière, soit en devenant coordonnatrice de projet. Le travail de coordination de projet consiste à être responsable de tout, de la stratégie à la sécurité, en passant par le personnel et les finances.

Ma première affectation s’est déroulée au Nigéria, où j’ai rejoint l’équipe d’un hôpital pour enfants atteints de noma, une maladie fortement associée à la pauvreté et à la malnutrition. La malnutrition affaiblit le système immunitaire, ce qui rend les enfants plus vulnérables au noma, tandis que les déformations faciales causées par la maladie empêchent les enfants de manger, ce qui augmente les taux de malnutrition.

© Peter Caton

Les agents de santé communautaire de MSF dans le camp de personnes déplacées de Bentui discutent d’une campagne de vaccination. Soudan du Sud, 2022.

Je me souviens d’un petit garçon très malade qui avait besoin d’une chirurgie faciale dans le cadre de son traitement. Il était si faible qu’il a dû rester à l’hôpital pendant deux semaines, avec un régime spécial, avant d’être assez fort pour l’intervention. Pendant cette période, l’équipe a parlé à sa famille des différents aliments disponibles. Nous leur avons montré comment préparer des aliments nutritifs et suffisamment mous pour que leur enfant puisse les manger après une opération aussi lourde.

Son père m’a raconté à quel point la famille était inquiète pour son fils malade et renfermé, qui ne jouait pas comme les autres enfants.

Quelques mois après l’opération du jeune garçon, son père l’a ramené à l’hôpital pour un contrôle. Je lui ai demandé comment il allait.

« Il n’arrête pas de jouer », me dit son père. « Il joue tellement. Qu’est-ce que tu lui as fait? »

« D’abord, tu as dit qu’il ne jouait pas assez », ai-je plaisanté. « Maintenant, tu te plains qu’il joue trop! »

Nourrir les gens, c’est mon langage d’amour. Mes amis m’ont inscrite au Great Kenyan Bake Off. 

Nous en avons ri, mais j’en ai gardé l’impression que le travail humanitaire ne consiste pas seulement à empêcher les décès, mais aussi à voir la vie revenir dans les gens. La nutrition en est souvent un élément important.

Nourrir les gens est mon langage d’amour. Mes amis m’ont inscrite au Great Kenyan Bake Off, malgré mes protestations. Je ne pensais pas être assez bonne.

© Bruno De Cock/MSF

Charity Kamau s’exprime lors d’une réunion internationale de MSF. Irlande, 2019.

Je suis fière d’avoir veillé, lors du concours, à ce que toutes mes recettes utilisent des ingrédients du terroir kényan, préparés de manière moderne. Ce sont des aliments dont on disait qu’ils étaient « pour les pauvres » lorsque j’étais enfant, mais qui sont en fait durables.

En tant que scientifique, j’assimile une recette à une procédure opérationnelle standard en laboratoire : il s’agit de réactions chimiques qui se déroulent à une température et à un pH précis. J’aime la science de la pâtisserie, mais aussi la créativité qu’elle permet d’explorer. La pâtisserie peut aussi être une thérapie. Dans mon cas, elle m’a aidée à surmonter le chagrin de la perte de ma sœur.

En tant que coordonnatrice de projet MSF, l’une de vos tâches consiste à maintenir le moral de votre équipe, même lorsque les circonstances sont difficiles. Le fait d’être pâtissière aide beaucoup!