MSF nurse Maryuri Garcia Valladares administers a COVID-19 vaccine to a Venezuelan migrant at the MSF health post in Aguas Verdes, close to the Peru-Ecuador border. © MAX CABELLO ORCASITAS
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Les quatre raisons pour lesquelles nous demandons aux gouvernements de rejeter le texte sur la COVID-19 à l’OMC

Pour la petite histoire

De quoi est-il question exactement?

En octobre 2020, après six mois d’une pandémie qui a fait jusqu’à maintenant plus de six millions de morts, l’Inde et l’Afrique du Sud ont proposé une dérogation permettant d’éliminer temporairement les obstacles liés à la propriété intellectuelle touchant les outils médicaux de lutte contre la COVID-19. L’objectif de cette démarche était de permettre une plus grande indépendance en matière de fabrication et d’approvisionnement pour mieux répondre aux besoins mondiaux en croissance rapide.

Au cours des mois qui ont suivi, la proposition de dérogation a recueilli l’appui de plus de 100 gouvernements à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Malheureusement, en dépit de l’urgence sanitaire mondiale, les pays disposant de secteurs pharmaceutiques solides, comme le Royaume-Uni, la Suisse et certains pays de l’Union européenne (UE), se sont montrés fermement opposés à cette dérogation, et les négociations se sont enlisées. Bien que les États-Unis aient exprimé leur soutien à une dérogation, celui-ci se limite aux vaccins contre la COVID-19. Plus de deux ans après le début de la pandémie, il n’y a toujours pas d’accord sur la dérogation au sein de l’OMC.

Entre-temps, nous avons pu observer que la réponse mondiale à la pandémie n’était pas parvenue à remédier aux profondes inégalités quant à l’accès aux vaccins contre la COVID-19 et aux versions abordables de nouveaux traitements prometteurs.

En quoi consiste le texte de dérogation proposé?

Après avoir analysé le texte, notre équipe est d’avis qu’il ne permettra pas d’améliorer l’accès des individus aux outils médicaux de lutte contre la COVID-19.

Pourquoi demandons-nous aux gouvernements de rejeter ce texte à l’OMC?

Plusieurs organismes des Nations Unies (ONU), comme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ONUSIDA, ainsi que d’éminent·e·s dirigeant·e·s et chercheur·e·s ont souligné les lacunes du projet de texte et ont exhorté les membres de l’OMC à le rejeter.

Médecins Sans Frontières (MSF) fournit depuis 50 ans des soins médicaux dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Nous avons à maintes reprises constaté que des retards dans l’accès aux médicaments essentiels, en raison des obstacles liés à la propriété intellectuelle, pouvaient coûter des vies.

Le texte proposé n’offre pas de solution significative pour éliminer les obstacles liés à la propriété intellectuelle qui entravent la fabrication et la distribution d’outils médicaux essentiels contre la COVID-19. En fait, si ce texte devait aller de l’avant sans révision de fond, il serait susceptible de créer un précédent négatif. Il introduit en effet des exigences et des complexités supplémentaires dans les mécanismes de fonctionnement déjà existants.

Quatre principaux problèmes

La lecture du texte proposé soulève quatre principaux problèmes susceptibles de créer un précédent négatif dans l’accès mondial aux outils médicaux durant la pandémie actuelle et dans l’éventualité de futurs défis sanitaires mondiaux./p>

1. LE PROJET DE TEXTE N’INCLUT QUE LES VACCINS ET EXCLUT LES TRAITEMENTS, PRODUITS DIAGNOSTIQUES ET AUTRES OUTILS MÉDICAUX

Pour sauver plus de vies lors d’une pandémie mondiale, les prestataires de soins doivent avoir accès à tous les outils qui existent. Malheureusement, le texte proposé se limite aux vaccins contre la COVID-19. En maintenant les obstacles liés à la propriété intellectuelle pour les traitements et les produits diagnostiques, le texte crée un précédent négatif pour les futures urgences sanitaires.

Nous voyons déjà des sociétés pharmaceutiques fixer des prix exorbitants pour de nouveaux traitements prometteurs, les rendant ainsi inabordables pour les pays à revenu faible et intermédiaire, alors que les pays à revenu élevé achètent rapidement toute l’offre disponible.

L’histoire très récente se répète : nous avons vu des pays plus riches acheter en premier les vaccins disponibles contre la COVID-19, laissant les pays à faible revenu dépendre des dons et de la charité. Le même scénario se dessine avec l’approbation et le déploiement des nouveaux traitements contre la COVID-19.

Nous demandons aux membres de l’OMC:de veiller à ce que les négociations aboutissent à un texte significatif qui couvre tous les outils médicaux, et pas uniquement les vaccins.

2. LE PROJET DE TEXTE RISQUE D’EXCLURE PLUSIEURS PAYS À REVENU FAIBLE OU INTERMÉDIAIRE

Les critères d’admissibilité proposés pourraient exclure plusieurs pays à revenu faible ou intermédiaire dotés d’une capacité de fabrication. Le fait de ne pas inclure l’ensemble des habitant·e·s de tous les pays en temps de pandémie créerait un précédent très négatif.

Nous demandons aux membres de l’OMC d’insister pour que le texte final soit applicable à tous les pays, afin d’accroître la fabrication et l’offre au bénéfice de toutes les populations du monde.

3. LE PROJET DE TEXTE INTRODUIT DE NOUVELLES COUCHES DE COMPLEXITÉ DANS LES MÉCANISMES EXISTANTS DÉJÀ COMPLEXES

Non seulement le texte proposé n’offre pas de solutions adaptées à une pandémie, mais il semble introduire de nouvelles limites et encore plus d’incertitudes juridiques dans les mécanismes déjà en place.

Nous demandons aux membres de l’OMC: de s’assurer que le texte final ne compromet pas les flexibilités commerciales déjà convenues.

4. LE PROJET DE TEXTE NE COUVRE QUE LES BREVETS ET NE TIENT PAS COMPTE D’AUTRES FORMES DE PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

D’après l’expérience de MSF, d’autres types de propriété intellectuelle que les brevets, tels que les secrets commerciaux ou les données d’essais cliniques, jouent un rôle majeur pour bloquer ou retarder la fabrication et la distribution d’outils médicaux plus abordables. Ces formes de propriété intellectuelle permettent aux sociétés pharmaceutiques de maintenir des monopoles et empêchent d’autres fabricants de développer et de fournir des produits médicaux de remplacement abordables.

WNous demandons aux membres de l’OMC de veiller à ce que le texte final couvre tous les obstacles liés à la propriété intellectuelle qui empêchent une augmentation de la production et de la distribution des outils médicaux nécessaires, et qu’il ne se limite pas aux brevets.

Résumé

En résumé, le texte proposé n’est pas la « dérogation » que plus de 100 pays ont soutenue au cours des 18 derniers mois. En raison de sa portée réduite, de ses critères d’admissibilité excluants et des nouvelles restrictions qu’il impose, il ne constitue pas une solution valable pour accroître l’accès aux outils médicaux essentiels en cas de pandémie. Au lieu d’offrir une nouvelle solution, le texte proposé met principalement en évidence les mécanismes qui existent déjà et qui se sont révélés insuffisants pour répondre aux besoins des personnes pendant la pandémie de COVID-19. En outre, le texte limite à la COVID-19 la portée et le contexte des interprétations générales des règles existantes de l’OMC.

Nous exhortons les membres de l’OMC à rejeter le texte actuel et à chercher à obtenir un texte final plus ambitieux menant à une dérogation révolutionnaire qui soutienne tout le monde, partout, pour tous les outils médicaux, conformément à la proposition initiale présentée par l’Inde et l’Afrique du Sud.

Le graphique souligne les passages problématiques dans le texte proposé (en anglais).

Version annotée décrivant les passages problématiques.
Version annotée décrivant les passages problématiques.MSF

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