MSF medical staff puts on PPE before entering the MSF COVID-19 ward at Yangon’s Aung San Tuberculosis Hospital on 16 August 2021 to treat patients affected by Myanmar’s third wave of the pandemic. © Ben Small/MSF
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Répondre à la COVID-19 au Myanmar : l’équipe MSF dresse un bilan dans une lettre

Le système de santé public du Myanmar est en déroute. Quelques jours après la prise du pouvoir par l’armée, le 1er février 2021, les travailleuses et les travailleurs médicaux ont quitté leur emploi. Cet événement est à l’origine du mouvement de désobéissance civile qui a vu des employé·e·s du gouvernement de tous les domaines faire la grève. La plupart ne sont toujours pas retournés au travail. Les grévistes qui continuent d’exercer dans des cliniques clandestines risquent d’être attaqué·e·s et détenu·e·s par les autorités. Au moins 28 professionnel·le·s de la santé ont été tué·e·s depuis le 1er février 2021, et près de 90 sont toujours en détention.

Lorsque le système de santé public assiégé du Myanmar a été confronté à une vague dévastatrice de COVID-19, les hôpitaux ont rapidement été débordés.

Alors que 2021 touche à sa fin, et en tant qu’équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) au Myanmar, nous revenons sur notre réponse à la COVID-19 en réfléchissant à ce dont nous pouvons être fiers et fières et à ce que nous aurions pu faire de mieux devant les dilemmes, les limites et les solutions parfois inconfortables.

Crématoriums surchargés et étagères vides

Alors que les infections reliées à la COVID-19 atteignaient un pic, il devenait souvent impossible de trouver des lits dans les hôpitaux et un nombre incalculable de personnes se précipitaient dans les villes du Myanmar pour se procurer leurs propres réserves d’oxygène à administrer à domicile.

Les crématoriums n’arrivaient pas à s’occuper assez rapidement des corps. Les consultations de routine, les chirurgies et les vaccinations ont été annulées tandis que le personnel médical réduit répondait à l’épidémie. Les étagères dans les pharmacies se sont vidées quand la panique a gagné la population.

Naung Ting, un soignant de 34 ans de notre centre de traitement à Myitkyina, dans l’État de Kachin, nous a raconté que lorsque son beau-père est tombé malade de la COVID-19, il n’a pas pu être admis à l’hôpital local où il vivait, à Danuphyu, dans la région d’Ayeyarwaddy, ni à Yangon située à deux heures de route.

Naung Ting, 34 ans, s’occupe de sa mère de 64 ans, Seng Hkawn, admise au centre MSF de traitement de la COVID-19 à Myitkyina, dans l’État de Kachin.
Naung Ting, 34 ans, s’occupe de sa mère de 64 ans, Seng Hkawn, admise au centre MSF de traitement de la COVID-19 à Myitkyina, dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

« J’ai des proches qui sont médecins en Amérique; ils ont créé un groupe sur Messenger et ils le traitaient à distance. Nous devions donc acheter les médicaments nous-mêmes. Nous avons dû trouver de l’oxygène et des bouteilles », a-t-il déclaré. « Des membres de la famille qui n’avaient aucune expérience médicale devaient faire les injections. Et les médicaments étaient si chers. »

Le beau-père de Naung devait prendre deux comprimés par jour d’un médicament destiné à traiter les caillots sanguins – qui sont courants chez les personnes atteintes de COVID-19 – et dont la demande a fait grimper le prix à 40 000 kyats (22 $ US) le comprimé. Par ailleurs, la famille de Naung n’a pu trouver qu’une seule bouteille d’oxygène qu’ils devaient remplir tous les deux jours en faisait l’aller-retour jusqu’à Yangon. En fin de compte, son beau-père n’a pas pu obtenir suffisamment d’oxygène et il n’a malheureusement pas survécu à l’infection.

Le ministère de la Santé du Myanmar dénombre près de 20 000 décès attribuables à la COVID-19 en 2021 – le quatrième taux de mortalité le plus élevé de l’Asie du Sud-Est. Ce chiffre est toutefois trompeur puisqu’il ne tient compte que des personnes décédées dans les hôpitaux. D’innombrables personnes, comme le beau-père de Naung, sont décédées chez elles alors que les installations étaient pleines. Nous le savons parce que certains de ces décès qui se sont produits dans nos communautés et au sein des familles des membres de notre équipe n’ont pas été inclus dans les chiffres officiels. Nous ne connaîtrons jamais le chiffre réel, mais d’après notre expérience de réponse aux épidémies, il n’y a aucun doute qu’il est largement plus élevé.

Le gouvernement militaire a aussi été confronté à un manque de capacité et de confiance de la part de la population. Il n’a pu intensifier efficacement le dépistage, ce qui fait en sorte que les taux de positivité ont atteint environ 35 % à 40 % puisque seules les personnes présentant les symptômes les plus graves étaient testées.

Quelle a été la réponse de MSF?

Nous avons obtenu l’autorisation d’ouvrir trois centres indépendants de traitement de la COVID-19 pour recevoir des patients et des patientes présentant des symptômes modérés à sévères à Yangon, la plus grande ville du Myanmar, et dans les cantons de Myitkyina et de Hpakant dans l’État de Kachin.

La clinique MSF de traitement de la COVID-19 de 40 lits à Myitkyina, dans l’État de Kachin.
La clinique MSF de traitement de la COVID-19 de 40 lits à Myitkyina, dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

Notre service des ressources humaines a travaillé à plein régime pour embaucher en quelques semaines plus de 150 personnes. Notre équipe logistique s’est procuré des équipements, y compris des concentrateurs d’oxygène, et a trouvé et réaménagé des locaux adaptés aux patientes et aux patients atteints de COVID-19. Notre personnel médical a formé des équipes de médecins, d’infirmiers, d’infirmières, d’assistants et d’assistantes pour prodiguer des soins de qualité aux patients et patientes.

Faire cela à un rythme aussi rapide a exigé un travail énorme, surtout que des membres de l’équipe et de nos familles contractaient la COVID-19. Certains et certaines d’entre nous sont tombé·e·s gravement malades après avoir contracté le virus; remarquablement, aucun membre de l’équipe n’a perdu la vie, mais plusieurs membres de nos familles sont morts. Malgré les circonstances, nous nous sommes uni·e·s et nous avons pris soin les uns des autres, en faisant des heures supplémentaires pour ouvrir les centres afin de soigner des gens qui avaient urgemment besoin de nos services.

Bien que nous n’ayons pas pu sauver certains patients et certaines patientes admis·e·s dans un état très critique, d’autres se sont rétabli·e·s de manière impressionnante. Une femme vivant avec le VIH pouvait à peine respirer lorsqu’elle est arrivée dans notre établissement. Mais au bout de cinq jours, elle n’avait plus besoin d’apport en oxygène et a elle pu obtenir son congé, laissant la place à une autre personne.

Stocks d’oxygène à l’extérieur de l’unité MSF de traitement de la COVID-19 de l’hôpital Aung San, à Yangon.
Stocks d’oxygène à l’extérieur de l’unité MSF de traitement de la COVID-19 de l’hôpital Aung San, à Yangon.Ben Small/MSF

Pour d’autres, les progrès sont lents et réguliers. Une femme de 64 ans a passé 46 jours dans notre clinique de Myitkyina; sa capacité pulmonaire s’est lentement améliorée jusqu’à ce que son taux d’oxygène soit suffisant pour qu’elle puisse rentrer chez elle.

Quand il n’y a pas de solutions acceptables

Notre réponse aurait pu et aurait dû être plus importante. Lorsque des cas ont commencé à apparaître aux frontières occidentales du Myanmar, MSF a tenté de déterminer comment intervenir dans l’État de Chin où il y avait un manque critique de médecins, mais les autorités de Naypyitaw, la capitale, ont bloqué nos plans de voyage, invoquant des problèmes de sécurité. Tout ce que nous pouvions faire était de transporter des fournitures médicales essentielles vers ces régions à court de ressources.

Certes, nous avons eu la permission de procéder à des interventions indépendantes contre la COVID-19 dans trois endroits, mais les autorités sanitaires locales n’étaient pas toutes sur la même longueur d’onde.

Le 11 août 2021, nous avons commencé à soutenir un établissement à Lashio, la capitale de l’État de Shan, dans le nord du pays, mais dès le 15 août 2021, une personne au sein de la structure de santé de Lashio nous a ordonné de le fermer. Quelques jours après avoir reçu les premiers patients et patientes, nous avons été contraints et contraintes de transférer six personnes sous traitement vers le centre de traitement du gouvernement militaire, même si elles auraient préféré se faire soigner par MSF.

Sommes-nous intervenu·e·s à temps?

Quand notre premier centre de traitement a été opérationnel, au début du mois d’août, la COVID-19 dévastait déjà le pays. Si nous avions été mieux préparé·e·s et plus réactifs et réactives, aurions-nous pu réagir plus tôt et sauver plus de vies? La réponse est un oui inconfortable.

Un médecin de MSF installe un concentrateur d’oxygène à l’unité MSF de traitement de la COVID-19 de l’hôpital Aung San, à Yangon.
Un médecin de MSF installe un concentrateur d’oxygène à l’unité MSF de traitement de la COVID-19 de l’hôpital Aung San, à Yangon.Ben Small/MSF

Au cours des mois précédents, le variant Delta avait submergé l’Inde et le Bangladesh – deux pays qui partagent une frontière poreuse de 2 000 kilomètres avec le Myanmar. Son arrivée était donc inévitable. Nous aurions pu profiter de ce temps pour nous préparer et nous équiper, et tirer les leçons des défis auxquels MSF a été confrontée en Inde où l’accès à l’oxygène était l’un des plus gros problèmes, tout comme il allait le devenir au Myanmar. Évidemment, c’est facile à dire avec le recul.

Lorsque la troisième vague a frappé, le Myanmar était sous emprise militaire depuis six mois. L’équipe travaillait déjà au maximum de sa capacité pour maintenir les activités existantes et pour combler les lacunes du système de santé public en difficulté, notamment en prenant en charge des milliers de patientes et de patients séropositif·ve·s du programme national de lutte contre le sida de l’État.

Nous avons déterminé qu’il n’y avait aucune capacité pour répondre à une épidémie tout en maintenant la qualité des soins pour les patients et les patientes dont nous étions déjà responsables. Mais, en tant qu’organisation médicale et humanitaire d’urgence, cette hésitation initiale et bien intentionnée est devenue une position intenable, alors que nous étions témoins du chaos qui s’est ensuivi.

Ainsi, lorsque nous avons lancé notre riposte, à la mi-juillet, nous étions déjà en retard.

Nous n’avons pas toujours réussi

Nous croyions qu’il suffirait de mettre les gens sous oxygène pour sauver des vies, mais ce n’est pas la réalité du traitement des patients et des patientes souffrant de COVID-19. Ceux et celles qui sont hospitalisé·e·s avec des symptômes graves présentent souvent des affections sous-jacentes qui viennent exacerber leurs symptômes et compliquer leur traitement.

Thanzar, 37 ans, discute avec son père, 70 ans, patient du centre MSF de traitement de la COVID-19 à Myitkyina, dans l’État de Kachin.
Thanzar, 37 ans, discute avec son père, 70 ans, patient du centre MSF de traitement de la COVID-19 à Myitkyina, dans l’État de Kachin.Ben Small/MSF

Nous avions besoin de médicaments essentiels comme l’insuline et les médicaments cardiovasculaires de base. Nous n’en avions pas dans notre entrepôt et il était impossible d’en faire entrer dans le pays en raison de processus internes compliqués et de difficultés à obtenir des permis d’importation. Nous avions un kit de préparation d’urgence pour la COVID-19, mais ce à quoi nous nous attendions manquait, comme des médicaments pour traiter les caillots sanguins, et les fournitures incluses ont été rapidement épuisées. Lorsque nous avons essayé d’en acheter au Myanmar, la troisième vague s’était déjà emparée du pays et ces médicaments vitaux étaient en forte demande et en pénurie.

Une équipe engagée et prête

Bien que les contraintes et les défis internes et externes aient causé des difficultés, nos installations de traitement de la COVID-19 sont désormais bien plus que des cliniques de campagne – ce sont d’excellents hôpitaux qui ont sauvé de nombreuses vies et qui en sauveront bien d’autres à l’avenir.

Seulement 13 millions de personnes environ au Myanmar sont complètement vaccinées, soit approximativement le quart de la population. Si une nouvelle vague d’infections survient, le système de santé public risque d’être à nouveau débordé.

Dans cet esprit, nous maintenons notre infrastructure de traitement de la COVID-19 et gardons le personnel médical à disposition en cas de nouvelle flambée.

Nos approvisionnements en médicaments essentiels se sont améliorés, mais leur importation demeure un problème. Les autorisations font actuellement l’objet d’un examen plus approfondi qu’avant la prise de contrôle militaire, ce qui retarde les expéditions. De plus, les processus et politiques internes de MSF pour l’achat local ou régional de médicaments ne se sont pas bien adaptés à la crise mondiale de l’approvisionnement et entravent souvent les achats d’urgence.

Nous avons tiré de nombreuses leçons des défis auxquels nous avons été confronté·e·s lors de la première vague. Nous restons engagé·e·s, prêts et prêtes à répondre aux défis à venir. Notre engagement envers le peuple du Myanmar reste indéfectible.

Cordialement,

L’équipe de MSF au Myanmar