RDC : MSF publie des chiffres alarmants concernant la prise en charge des violences sexuelles
Dans un rapport rétrospectif publié le 23 septembre dernier, Médecins Sans Frontières (MSF) annonce avoir soigné, en 2023 et au cours des premiers mois de 2024, un nombre sans précédent de personnes ayant survécu à des violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC). L’organisation médicale humanitaire, qui travaille aux côtés du ministère de la Santé, appelle l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux à agir de toute urgence pour mieux prévenir ce phénomène et pour offrir des soins aux personnes touchées.
En 2023, les équipes de MSF ont appuyé la prise en charge de 25 166 personnes ayant survécu à des violences sexuelles à travers le pays. Cela correspond à plus de deux personnes par heure.
Ce chiffre s’appuie sur les données issues de 17 projets mis en place par MSF en appui au ministère de la Santé dans cinq provinces du pays : Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, Maniema et Kasaï-Central. C’est de loin le chiffre le plus élevé enregistré par MSF en RDC. Au cours des années précédentes (2020, 2021, 2022), les équipes de MSF ont soigné annuellement, en moyenne, 10 000 personnes touchées par des violences sexuelles. L’année 2023 marque donc une hausse massive des admissions.
Cette tendance s’est encore accélérée au cours des premiers mois de 2024. Ainsi, dans la seule province du Nord-Kivu, 17 363 personnes ont été traitées avec l’appui de MSF entre janvier et mai. Cela représente déjà 69 % du nombre total de prises en charge en 2023 dans les cinq provinces précitées.
Les femmes déplacées sont les premières touchées
Analysées et vérifiées durant plusieurs mois, les données de prise en charge de 2023 présentées dans le rapport intitulé Nous appelons à l’aide révèlent que 91 % des personnes soignées avec l’appui de MSF en RDC l’ont été au Nord-Kivu. Dans cette province, les affrontements entre le groupe M23, l’armée congolaise et leurs alliés respectifs font rage depuis la fin de 2021, poussant à la fuite des centaines de milliers de personnes civiles.
C’est précisément dans les sites de personnes déplacées autour de Goma que l’écrasante majorité des survivantes (17 829) ont été prises en charge avec l’appui de MSF. Ces sites n’ont d’ailleurs cessé de grossir au cours de l’année 2023.
« D’après les témoignages de nos patientes, les deux tiers d’entre elles ont été agressés sous la menace d’une arme », explique Christopher Mambula, responsable des programmes de MSF pour la RDC. « Ces agressions ont eu lieu dans les sites mêmes, mais également à proximité de ceux-ci. Elles surviennent notamment lorsque les femmes et les filles – qui représentent 98 % des personnes soignées par MSF en RDC en 2023 – sortent pour aller récolter du bois et de l’eau ou travailler dans des champs. »
La présence massive d’hommes armés dans et à proximité des sites de personnes déplacées explique cette explosion des violences sexuelles. Toutefois, l’insuffisance de la réponse humanitaire et les conditions de vie inhumaines dans ces sites alimentent le phénomène. Le manque de nourriture, d’eau et d’activités génératrices de revenus aggrave la vulnérabilité des femmes et des filles (1 victime sur 10 soignée par MSF en 2023 était mineure). Elles sont contraintes de se déplacer dans les collines et les champs autour des sites où se trouvent de nombreux hommes armés. D’autres femmes font l’objet d’exploitation sexuelle pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans les sites, le manque d’installations sanitaires et d’hébergements sûrs pour les femmes et les filles les expose aux agressions.
« Sur le papier, les programmes de prévention et de réponse aux besoins des personnes ayant survécu à des violences sexuelles semblent nombreux. Mais sur les sites de personnes déplacées, nos équipes luttent chaque jour pour pouvoir diriger ailleurs les personnes qui ont besoin d’aide », poursuit Christopher Mambula. « Les quelques programmes qui existent sont toujours trop limités dans le temps et manquent énormément de moyens. Il en faut bien davantage pour protéger les femmes et répondre aux besoins urgents des survivantes. »
Un appel urgent à l’action
Sur la base des besoins exprimés par les personnes survivantes, et en s’appuyant sur les travaux antérieurs pour résoudre ce problème de longue date dans le pays, le rapport de MSF liste une vingtaine de mesures à mettre en place de toute urgence. Ces mesures s’adressent aux parties au conflit, aux autorités congolaises – nationales, provinciales et locales – ainsi qu’aux bailleurs de fonds internationaux et au secteur humanitaire dans son ensemble. Pour MSF, trois grands axes s’imposent de toute urgence.
D’abord, MSF appelle toutes les parties au conflit à garantir le respect du droit international humanitaire. Cela inclut notamment l’interdiction absolue de commettre des actes de violences sexuelles, mais aussi, le respect de la nature civile des sites de personnes déplacées. La protection des personnes civiles prises en étau par les combats doit être une priorité. L’appel à protéger les personnes civiles des abus est également adressé aux gens impliqués dans les programmes humanitaires.
Ensuite, MSF plaide pour que les conditions de vie dans les sites de personnes déplacées soient enfin améliorées. Pour cela, il s’agit de renforcer notamment l’accès aux besoins essentiels – nourriture, eau, activités génératrices de revenus – ainsi qu’à des installations sanitaires et hébergements éclairés et sûrs. Ces investissements doivent en outre s’accompagner de davantage de travail de sensibilisation sur les violences sexuelles. Les sources de financement humanitaire doivent être suffisamment flexibles pour répondre aux besoins émergents et urgents. De plus, les partenaires responsables de la mise en œuvre de ces programmes doivent faire preuve de redevabilité dans l’exécution des interventions.
Enfin, MSF appelle à investir de façon très spécifique dans une meilleure prise en charge médicale, sociale, juridique et psychologique des survivantes de violences sexuelles. Cela passe notamment par des financements assurés sur le long terme. Ce dernier est essentiel pour permettre un renforcement de la formation médicale dans la prise en charge, l’approvisionnement des structures de soins en trousses post-viol, l’accompagnement juridique, ainsi que la mise sur pied d’hébergements adaptés. Il faut inclure également les activités d’information et de sensibilisation visant à prévenir la stigmatisation ou la marginalisation qui empêche parfois les gens d’aller chercher de l’aide. Au vu du grand nombre de demandes d’interruptions de grossesse des survivantes, MSF appelle aussi à finaliser l’adaptation du cadre législatif national, afin de garantir l’accès à des soins complets d’avortement médicalisé.
Les violences sexuelles sont une urgence médicale et humanitaire de premier ordre en RDC. Le dernier bulletin d’information du Gender-Based Violence Area of Responsibility (GBV AoR) RDC compile les données des différentes organisations humanitaires offrant des services de prises en charge de violence de genre dans 12 provinces de la RDC. Selon ces données, 55 500 personnes ayant survécu à des violences sexuelles ont reçu des soins médicaux au cours du deuxième trimestre de 2024.