Geo Barents : près de 400 personnes secourues en moins de deux jours
Un témoignage de première main depuis le navire de recherche et sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF), le Geo Barents.
L’équipe à bord du Geo Barents a effectué cinq sauvetages en moins de deux jours dans des conditions extrêmement difficiles. Parmi les rescapés, beaucoup sont des mineurs non accompagnés et de jeunes enfants.
« Imaginez être sur un bateau bondé, sans gilet de sauvetage. Imaginez être entouré de vagues pouvant atteindre jusqu’à trois mètres de haut pendant que vos vêtements sont trempés et que vous souffrez d’inhalation de vapeurs de carburant. Imaginez que vous finissez par manquer de nourriture et d’eau au fil du temps et que vous n’avez rien pour vous protéger du soleil, du vent et de la pluie. Imaginez que vous appelez à l’aide et que personne ne réponde. C’est la réalité à laquelle nous assistons en mer », illustre Caroline Willemen, coordonnatrice de projet à bord du navire de recherche et sauvetage de MSF en Méditerranée centrale, le Geo Barents.
MSF a effectué cinq sauvetages périlleux dans des conditions météorologiques très difficiles. De nombreux rescapés souffraient d’hypothermie en raison d’une exposition prolongée aux éléments ou d’une chute dans l’eau. Certains étaient malades, car ils avaient inhalé des vapeurs de carburant. D’autres avaient le mal de mer, ce qui engendrait de la déshydratation ou une perte d’appétit. Parmi les 367 personnes à bord, 172 sont des mineurs, des enfants en bas âge et des adolescents, et 134 d’entre eux sont non accompagnés.
C’est un grand nombre d’enfants qui tentent la dangereuse traversée. Même les membres les plus expérimentés de l’équipe MSF à bord ont exprimé leur surprise quant au nombre particulièrement élevé de jeunes enfants sur cette rotation.
Sauvetage critique et intoxication au carburant
Le matin du 22 octobre 2021, les équipes MSF ont effectué leur premier sauvetage depuis leur arrivée dans la zone de recherche et sauvetage. Trente-six personnes ont été extirpées d’un bateau en bois et amenées à bord du Geo Barents. Pendant l’opération de sauvetage, le Geo Barents a reçu une nouvelle alerte. Cette fois, il s’agissait d’un canot pneumatique en détresse à plusieurs heures de là.
« Nous sommes arrivés pendant la nuit, il faisait complètement noir. Par moments, les vagues faisaient plus de trois mètres de haut, et il y avait beaucoup de vent. Le bateau était dans un état précaire, et les passagers avaient inhalé des vapeurs de carburant et étaient très agités en raison de la situation difficile. De nombreux facteurs peuvent rendre un sauvetage difficile, et ce cas ils étaient tous réunis en même temps », raconte Leo Southall, chef adjoint de l’équipe de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents.
Après environ deux heures intenses, l’équipe a réussi à embarquer les 65 rescapés. Une fois en sécurité sur le pont du Geo Barents, beaucoup d’entre eux ont exprimé leur soulagement et leur bonheur d’avoir été secourus, mais d’autres étaient anxieux et épuisés après avoir passé plus de 24 heures en mer. L’un d’eux a dû être transporté sur une civière, mais heureusement, il s’est rapidement rétabli.
Quand les autorités font la sourde oreille
Cette même nuit, le Geo Barents a reçu une troisième alerte. Un autre bateau en bois bondé était en détresse. Les autorités étaient au courant de la situation, mais personne n’a répondu ni n’est intervenu. Il a fallu neuf heures au Geo Barents pour atteindre l’emplacement du bateau et pendant tout ce temps, ni les autorités ni les autres navires à proximité n’ont porté secours aux personnes en détresse.
« Voilà un autre exemple clair de la façon dont les États côtiers voisins refusent d’assumer une quelconque responsabilité face aux personnes qui se retrouvent en détresse en mer. Le bateau naviguait dans des eaux dangereuses depuis trois jours, avec 100 personnes à bord, dont 42 enfants », relate Caroline Willemen. « Laisser les gens dériver en mer pendant des jours est inacceptable. Une fois de plus, nous constatons à quel point les politiques européennes de contrôle des migrations mettent en danger la vie de milliers de personnes en n’offrant aucune capacité proactive de recherche et sauvetage en mer et en ne répondant pas à tous les appels de détresse. Il est inacceptable que les ONG soient laissées à elles-mêmes pour combler le vide mortel », poursuit-elle.
Les gens ne doivent pas être renvoyés en Libye
Le 23 octobre, le Geo Barents comptait déjà 201 personnes à son bord quand il a reçu une nouvelle alerte en provenance d’un autre canot pneumatique en détresse, à six heures de distance. Quand le Geo Barents a finalement atteint la zone, les garde-côtes libyens étaient déjà arrivés et s’approchaient rapidement du canot pneumatique, manœuvrant dangereusement autour de celui-ci. La veille, l’équipe MSF avait vu un nombre indéterminé de migrants et de réfugiés à bord d’un navire des garde-côtes libyens, à côté d’un bateau vide qui avait été incendié.
L’équipe à bord du Geo Barents craignait une nouvelle interception, mais cette fois MSF a pu procéder au sauvetage et embarquer les 95 rescapés. Si les garde-côtes libyens avaient intercepté le navire, les passagers du bateau auraient vraisemblablement été renvoyés de force dans le cycle de violence et d’exploitation de la Libye.
« Les institutions et les États européens doivent suspendre immédiatement leur soutien politique et matériel aux garde-côtes libyens et mettre un terme au système des retours forcés vers la Libye. La Libye n’est pas un endroit sûr », dit Caroline Willemen.
Demander un port de refuge
Le 24 octobre, l’équipe de recherche et sauvetage de MSF a effectué un autre sauvetage critique, cette fois il s’agissait d’un canot pneumatique qui se remplissait d’eau. Les soixante et onze personnes à bord étaient extrêmement effrayées et craignaient pour leur vie. Elles sont désormais toutes en sécurité à bord du Geo Barents, qui compte maintenant 367 personnes à bord au total.
« Ces derniers jours ont mis en lumière la catastrophe humanitaire qui se déroule à la frontière sud de l’Europe. Avec seulement des navires humanitaires surveillant la route de migration la plus meurtrière au monde, le besoin de plus de capacités de recherche et sauvetage est désespérément nécessaire. Nous demandons maintenant à l’Italie de fournir un lieu de refuge dès que possible. Des conditions météorologiques extrêmement difficiles se profilent, et nous sommes très inquiets du fait que nous avons à bord près de 400 rescapés qui ont suffisamment souffert. Leur souffrance doit cesser », conclut Caroline Willemen.