Newly embarked women on the Geo Barents great another group of women who were rescued the previous day. Some of them met previously in Libya, where they boarded boats to flee across the sea. In the first rescue operation of rotation 20, on the afternoon of 4 December, the MSF team rescued 74 people from an overcrowded rubber boat in the central Mediterranean. Among the survivors were nine women and 15 children. The team rescued a further 90 people on the morning of 5 December following a second alert. The group included five women, one of whom was a minor. © Mahka Eslami
PARTAGEZ

Survivre à la traversée de la Méditerranée centrale : témoignages

 

« Si je m’étais retrouvée seule, ils m’auraient violée. » Adanya, 34 ans, originaire du Cameroun

« En Libye, je dormais sous des camions et des bus parce que je n’avais pas d’argent. » Afia, 24 ans, originaire du Ghana

« Je sais que si je dis à ma mère que je suis en Libye, elle pleurera tous les jours. » Ibrahim, 28 ans, originaire du Nigéria

« Ils ont dit que si j’avais des relations sexuelles avec eux, ils pourraient m’emmener [de l’autre côté de la mer] gratuitement. » Linda, 19 ans, originaire de Guinée Conakry

Les expériences que nous racontent ces quatre personnes sont malheureusement courantes pour les femmes et les hommes à qui le Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF), porte secours en Méditerranée centrale. Cet article, présenté le 8 mars dernier à l’occasion de la Journée internationale des femmes, a pour objectif de faire résonner la voix des femmes rescapées, et de partager les histoires des survivants masculins qui parlent des femmes importantes dans leur vie. À travers des portraits et des témoignages, ces personnes décrivent les circonstances qui les ont amenées à traverser la Méditerranée centrale, la route migratoire maritime la plus meurtrière au monde. Nous vous présentons également le témoignage de membres féminins du personnel de MSF, qui confient ce qui les motive à participer au travail essentiel de recherche et sauvetage, et qui nous parlent des liens qui les unissent aux survivants et aux survivantes qui prennent place à bord du Geo Barents.

Quiconque traverse la mer en quête d’une vie meilleure ou pour échapper à des conditions dangereuses se trouve en situation de vulnérabilité, mais pour les femmes, le fardeau est encore plus lourd. Bien qu’elles ne représentent qu’une faible proportion – environ 5 % – des personnes qui entreprennent le dangereux voyage de la Libye vers l’Italie, elles subissent durant leur périple de la discrimination fondée sur le sexe et, trop souvent, de la violence sexospécifique.

À bord du Geo Barents, les survivantes citent régulièrement des pratiques telles que le mariage forcé ou les mutilations génitales (sur elles-mêmes ou sur leurs filles) parmi les raisons qui les ont forcées de fuir leur pays. Les femmes sont également confrontées à des risques spécifiques pendant le voyage : les équipes médicales de Médecins Sans Frontières (MSF) rapportent que les femmes sont proportionnellement plus susceptibles de souffrir de brûlures de carburant pendant la traversée de la Méditerranée, car elles ont tendance à être placées au milieu du bateau, un endroit que l’on pense, à tort, le plus sûr. De nombreuses femmes rescapées ont également déclaré avoir été victimes de diverses formes de violences, notamment de violences psychologiques et sexuelles, et de prostitution forcée.

Decrichelle

Decrichelle assis sur le pont du geo barents
Decrichelle et les autres survivants se réveillent le matin du débarquement en Italie, alors que les autorités italiennes assignent le port de Salerne.Mahka Eslami

Parmi ces femmes se trouve Decrichelle qui a fui, avec son bébé, un mariage forcé avec un mari violent. Avec sa fille, elle a quitté son pays d’origine, le Nigéria, pour se rendre en Algérie en passant par le Niger. À leur arrivée dans le désert, la fille de Decrichelle est tombée malade, mais sans accès à des soins ou à des médicaments, elle ne pouvait rien faire pour la traiter. Sa fille est morte, et Decrichelle a dû l’abandonner avant de poursuivre son voyage vers l’Algérie, affligée par une immense et inconsolable tristesse.

Decrichelle a tenté de traverser la mer une première fois, mais elle a été arrêtée et envoyée en prison avant d’être immédiatement libérée pour être emmenée en taxi dans un bordel. Des amis camerounais l’ont aidée à s’échapper. Pendant six mois, elle a vécu dans les campos (les bâtiments abandonnés ou les grands espaces extérieurs près de la mer où les trafiquants entassent les migrantes et les migrants), le temps d’amasser suffisamment d’argent pour se payer une autre traversée. « Je veux me rendre dans un endroit où je peux vivre comme une personne normale de mon âge. Je veux pouvoir dormir la nuit », dit-elle. « Je voulais être ici avec mon enfant. Il est douloureux de penser que je suis en sécurité, alors que j’ai laissé ma fille là-bas, dans le désert. »

Au-delà des difficultés rencontrées par les femmes sur les routes migratoires et en Libye, les équipes de MSF à bord du Geo Barents sont souvent témoins des liens étroits qui se tissent entre les survivantes, sur le pont des femmes. Les femmes se réunissent pour se soutenir les unes les autres dans les tâches quotidiennes et la garde des enfants.

« Je veux dire aux femmes : ce n’est pas de votre faute. Vous êtes exactement la même personne qu’avant. Vous êtes encore plus forte », explique Lucia, coordonnatrice adjointe du projet à bord du Geo Barents, qui a elle-même déjà subi un viol. « Cela a été vraiment émouvant de voir la force et l’espoir de ces femmes, qui ont échappé à ce que j’ai vécu pendant une heure de ma vie, et qui [poursuivent] leur combat », ajoute-t-elle.

Ahmed et sa mère

Lorsqu’on parle aux survivants masculins des raisons qui les ont poussés à entreprendre le voyage ou qu’on leur demande qui ils ont laissé derrière, ils mentionnent toujours une femme. Ahmed, 28 ans, est né au Soudan de parents érythréens qui s’étaient installés au Soudan pour échapper à la guerre. Ayant vécu toute sa vie en tant que réfugié, Ahmed n’a jamais senti qu’il avait sa place au Soudan. Il souhaitait partir, mais comme il était sans-papiers, il était incapable de retourner en Érythrée par crainte de la conscription militaire et d’un régime dictatorial oppressif. Il a donc décidé de se rendre en Libye et de traverser la mer Méditerranée pour atteindre l’Europe.

Ahmed étreint un autre survivant
Ahmed, un Erythréen né au Soudan, fait la fête avec un autre survivant sur le Geo Barents après avoir été secouru.Nyancho NwaNri

Malgré le harcèlement des autres membres de sa famille, la mère d’Ahmed est la seule à l’avoir soutenu lorsqu’il a décidé de se convertir du christianisme à l’islam. « [La conversion à l’islam] m’a affecté, a affecté mes amitiés… bien sûr [j’ai rencontré des problèmes à cause de cette décision]. Au début, la famille… au début, je leur cachais la vérité… jusqu’à ce que ma famille l’apprenne; puis, le harcèlement a commencé. Mais ma mère m’a accepté. Elle m’a dit : “Tout ce qui te met à l’aise, fais-le.” » Ahmed dit que c’est grâce à sa mère qu’il a pu faire le voyage depuis le Soudan en traversant l’Égypte jusqu’en Libye. « Elle joue un rôle très important dans ma vie. Elle m’a toujours soutenu et motivé, elle a toujours voulu le meilleur pour moi. Elle est mon inspiration… J’espère la revoir un jour. »

Nejma

La médiatrice culturelle Nejma s’entretient avec le survivant Ekesili Emenike sur le Geo Barents. Nyancho NwaNri

Nejma est médiatrice culturelle à bord du Geo Barents. Elle explique son lien avec des personnes rescapées comme Decrichelle et Ahmed : « Je suis africaine et moyenne orientale.  Je suis une mère. Je suis une femme. Nous avons tellement de choses en commun. Peut-être parce que j’ai dû fuir moi aussi. Voilà une bonne part de l’explication. Je pense que cela m’aide à comprendre la situation des gens au moment où nous les trouvons; c’est une compréhension que les livres ne pourraient jamais m’apprendre. »

Elle-même réfugiée, Nejma parle de ce qui l’a aidée à continuer dans les endroits où elle a fui. « [Les survivants et les survivantes doivent] garder la force… une fois qu’ils et elles débarquent en Europe, le voyage n’est pas fini », dit-elle. « C’est un défi différent pour ces personnes : elles ne doivent pas perdre de vue ni jamais oublier qui elles sont ni d’où elles viennent. Ils et elles doivent éprouver de la fierté face à leurs origines. Parce qu’on ne peut pas savoir où aller si l’on ne sait pas d’où on vient. Et je veux que mes frères et mes sœurs qui viennent d’Afrique et du Moyen-Orient, ou de n’importe où, n’oublient pas leurs origines. Cela les aidera à aller de l’avant. »