A few hours following the second rescue of rotation 19, another wooden boat with 66 people was found in distress thanks to an alert shared by Alarm Phone. The rescue was conducted with success and the 66 people have joined the other 190 survivors on board of the Geo Barents, making a total of 256 people rescued. © Candida Lobes/MSF
PARTAGEZ

Libye : « Je suis terrifié à l’idée que quelque chose de grave arrive à mon fils »

Aujourd’hui, le 2 novembre, l’accord sur la migration entre les gouvernements italien et libyen sera automatiquement reconduit pour trois ans. En vertu de cet accord parrainé par l’UE, des millions de dollars de soutien financier et technique ont été octroyés aux garde-côtes libyens, qui ont intercepté plus de 100 000 personnes en mer depuis sa première signature en 2017, les renvoyant de force dans des centres de détention libyens et les piégeant dans un cycle d’abus. Les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) qui travaillent en Libye et en mer Méditerranée ont été les témoins directs du cycle de préjudices que cet accord a financé, et ont de nombreuses fois répété que la Libye n’est pas un lieu sûr où retourner les personnes migrantes.

Au milieu de la nuit, un petit bateau en bois a émergé de l’obscurité dans les eaux internationales au large des côtes libyennes. Les 40 personnes à bord naviguaient depuis de nombreuses heures après avoir fui la Libye en quête de sécurité en Europe. Lunja, la plus jeune personne à bord, âgée de seulement sept mois, a été l’une des premières à être secourue du bateau et transportée en toute sécurité vers le Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage exploité par MSF.

« La seule raison pour laquelle je mets ma famille dans cette situation, c’est pour lui assurer un avenir », dit Tarek*, 35 ans, le père de Lunja, pendant qu’il met un gilet de sauvetage à son fils de cinq ans, Ghani. Tarek est originaire d’un village berbère près de la côte libyenne et a fui le pays avec sa femme et ses deux enfants.

« La Libye est un endroit dangereux où les milices contrôlent tout. Je n’ai pas le contrôle de ma vie, les milices contrôlent ma vie. Chaque semaine, quelqu’un est tué sans raison. Je suis terrifié à l’idée que quelque chose de grave arrive à mon fils quand on va se promener. Je lui tiens la main en marchant pour me sentir un peu plus en sécurité. »

 

Les 572 personnes rescapées attendent de pouvoir débarquer dans un port sûr. Plusieurs demandes ont été envoyées aux autorités compétentes de l’Italie et de Malte pour autoriser le débarquement, mais il faut toujours attendre de longues journées avant d’obtenir une réponse positive.MSF/Candida Lobes

 

 

Pour Tarek, l’effondrement de son pays, ainsi que la destruction de ses rêves et de son espoir envers l’avenir, ont motivé sa décision de fuir la Libye. D’autres Libyens comme Tarek et sa famille tentent la dangereuse traversée entre la Libye et l’Europe. Entre juin 2021 et octobre 2022, 121 personnes originaires de Libye ont été secourues alors qu’elles se trouvaient dans des bateaux en détresse en Méditerranée centrale.

Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, une guerre civile a éclaté et la Libye est essentiellement devenue un champ de bataille pour les groupes armés qui se disputent le pouvoir. Un rapport de juin 2022 de la Mission indépendante d’établissement des faits des Nations Unies en Libye décrit des violations systématiques des droits de la personne, notamment envers les personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile. Ce rapport fait état d’attaques directes et aveugles contre les civils, de meurtres, de torture, d’emprisonnements, de viols, de disparitions forcées et d’actes inhumains commis dans les centres de détention.

« Le pays est devenu trop dangereux pour que les enfants y grandissent », dit Tarek. « Chaque fois que je sors, je ne sais jamais si je reviendrai. Nous avons attendu très longtemps qu’un gouvernement soit mis en place et que l’ordre public soit rétabli, mais j’ai renoncé à cela. La révolution de 2011 nous a donné l’espoir que nous pourrions changer notre avenir. Au lieu de cela, nous n’avons pas d’écoles, pas d’hôpitaux et pas de services de base. »

 

Depuis le lancement des opérations de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents en mai 2021, les équipes de MSF ont secouru plus de 5 000 personnes et récupéré les corps de 11 personnes décédées en mer.
Depuis le lancement des opérations de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents en mai 2021, les équipes de MSF ont secouru plus de 5 000 personnes et récupéré les corps de 11 personnes décédées en mer.MSF/Candida Lobes

 

Tarek a travaillé comme officier de police de 2013 à 2018, avant d’être forcé à démissionner quand la milice a pris le contrôle de la région et menacé de le tuer en raison de sa profession.

« En Libye, vous avez deux options : rejoindre une milice ou mourir », dit-il. « Lorsque nous avons quitté la Libye par bateau, nous avons aidé une amie à fuir avec nous. Elle est veuve et mère de trois enfants. Son mari était un ami à moi — il travaillait [aussi] pour la police. Il a été abattu d’une balle dans le dos par un membre de la milice après avoir tenté de stopper leurs activités illégales. »  

« Bien que l’Union européenne affirme financer le gouvernement libyen, l’argent va en fait aux milices », affirme Tarek. « Les milices chargées des centres de détention supervisent également la traite des êtres humains. Demandez à toutes les personnes migrantes qui ont été capturées en mer et transférées vers des centres de détention; toutes diront avoir été vendues par les trafiquants aux individus qui contrôlent les centres de détention. Ils travaillent ensemble pour exploiter les migrants, qui sont vendus et réduits à l’esclavage. Tout le monde le sait en Libye. »

Plusieurs rapports internationaux, ainsi que des milliers de témoignages de personnes qui ont réussi à fuir les centres de détention, corroborent cette description du traitement horrible auquel sont soumises les personnes migrantes et réfugiées en Libye.

 

Le 27 octobre 2022, l’équipage du Geo Barents a effectué le premier sauvetage de la rotation 19. Après avoir reçu une alerte sur Alarm Phone, une ligne d’assistance réservée aux personnes en détresse en mer, 124 personnes ont été extirpées d’un bateau de bois en détresse dans les eaux internationales.Candida Lobes/MSF

 

 

« La situation des droits de la personne en Libye demeure préoccupante », déclare Abdoulaye Bathily, représentant spécial pour la Libye et chef de la mission de soutien des Nations unies en Libye lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies en octobre 2022. « Les violations à l’encontre des personnes migrantes et demandeuses d’asile se poursuivent en toute impunité. La détention arbitraire continue d’être une pratique courante […] on compte actuellement environ 3 243 migrants détenus arbitrairement dans des centres de détention gérés par des entités gouvernementales. »

Insécurité, affrontements militaires, attaques délibérées contre les civils, torture systématique et largement documentée, abus et exploitation contre les personnes migrantes : les faits qui ont été rapportés devraient suffire à prouver à l’UE et au gouvernement italien que la Libye ne peut pas être considérée comme un lieu sûr. Des milliers de personnes migrantes et demandeuses d’asile sont le sacrifice des politiques européennes de dissuasion migratoire; leur vie est sacrifiable au nom de la protection des frontières.

*Les noms ont été modifiés par souci de protection de la vie privée.

 

Contexte

Des Libyens désespérés de fuir la violence risquent la dangereuse traversée vers l’Europe et sont souvent renvoyés de force dans des centres de détention en Libye où ils continuent à subir des sévices.Candida Lobes/MSF

 

En février 2017, l’Italie a signé une entente parrainée par l’UE avec le gouvernement libyen : le Protocole d’entente sur la migration. En vertu de cette entente, depuis les cinq dernières années, l’Italie et l’UE aident les garde-côtes libyens à renforcer leur capacité de surveillance maritime, en leur fournissant un soutien financier et des moyens techniques, au détriment des droits des personnes migrantes et réfugiées. La mise en œuvre du Protocole d’entente entre l’Italie et la Libye a nourri un système odieux d’exploitation, d’extorsion et d’abus dans lequel les personnes migrantes sont piégées. 

MSF travaille dans des centres de détention en Libye depuis 2016, où elle fournit des soins de santé de base et du soutien psychosocial. MSF offre actuellement des soins médicaux par le biais de cliniques mobiles dans trois centres de détention à travers le pays. Les équipes de MSF identifient les personnes vulnérables et orientent les patients nécessitant des soins spécialisés vers des hôpitaux à travers la Libye. MSF traite les personnes à leur débarquement après leur interception en mer par les garde-côtes libyens et leur retour en Libye. Nos équipes traitent également les personnes atteintes de tuberculose dans la ville de Tripoli.    

MSF mène des activités de recherche et sauvetage en Méditerranée centrale depuis 2015 sur huit navires, seule et en partenariat avec d’autres organisations non gouvernementales. Nos équipes ont secouru jusqu’à maintenant plus de 85 000 personnes, dont des enfants.