ROTATION 1, RESCUE 2, 11/06/21 - General view of Geo Barents from the RHIBS (speed boats) © Avra Fialas/MSF
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Sauver les gens de la noyade : une année à bord du Geo Barents

Au cours de sa première année d’opérations en Méditerranée centrale, le navire de recherche et de sauvetage de MSF, le Geo Barents, a secouru 3 138 personnes. Au cours de la même période, 6 536 consultations médicales ont été effectuées à son bord, avant que les personnes rescapées ne soient conduites dans un lieu sûr en Europe. Le dernier sauvetage en date fait état de pas moins de 30 personnes disparues et de 71 personnes secourues, parmi lesquelles se trouvait un bébé de quatre mois. Ce triste bilan rappelle la réalité à la frontière sud de l’Europe : la normalisation des politiques de dissuasion, ainsi que le démantèlement du système de Search and Rescue (ou Recherche et Sauvetage [SAR]), au profit des retours forcés, continuent de générer de terribles souffrances et de nombreuses pertes humaines.  

Entre 2017 et 2021, au moins 8 500 personnes sont mortes ou portées disparues et 95 000 personnes ont été renvoyées de force en Libye, dont 32 425 pour la seule année 2021 – soit le plus grand nombre de retours forcés signalé à ce jour. En Libye, les personnes sont confrontées à des situations terrifiantes, comme l’extorsion ou la torture, avec, trop souvent, une issue fatale. « Les États européens qui ne fournissent pas de capacités SAR proactives adéquates et qui appuient les capacités des gardes-côtes libyens soutiennent indéniablement les retours forcés vers la Libye, où la détention et les abus sont la norme. La présence de MSF en Méditerranée centrale est le résultat direct du désengagement progressif et honteux des capacités navales de recherche et sauvetage des États européens en Méditerranée », déclare Juan Matias Gil, représentant SAR de MSF.

Des témoignages qui font état d’expériences horribles

Les personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes qui se retrouvent en Libye vivent un véritable calvaire, que ce soit avant leur tentative de traversée ou après leur retour forcé. MSF a documenté l’impact de la violence infligée à des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants piégés, et relate des récits déchirants dans un rapport qui s’appuie sur les témoignages des personnes secourues.

« Les policiers, les gardes-côtes, l’armée ne se soucient pas de nous. […] Ils me battent beaucoup, tous nous battent. Jusqu’à ce qu’on s’évanouisse. Jusqu’à ce qu’on s’effondre. […] Il y a tellement de punitions sévères dans ce pays […] Pourquoi l’Union européenne soutient-elle ces gens? […] Si le Nigeria était sûr, je ne serais pas dans ce pays. […] Alors, quand je me préparais pour cette troisième fois, j’ai dit “Dieu, je préfère mourir dans la mer plutôt que d’être renvoyé dans les centres de détention libyens”. J’ai pleuré, j’ai pleuré et j’ai embarqué ». [Extrait du témoignage d’un homme de 25 ans, originaire du Nigeria]

Un bateau pneumatique avec 95 personnes à bord était sur le point d’être intercepté par les gardes-côtes libyens lorsque les équipes de MSF, arrivées juste à temps, ont pu effectuer le sauvetage en toute sécurité. Octobre 2021.
Un bateau pneumatique avec 95 personnes à bord était sur le point d’être intercepté par les gardes-côtes libyens lorsque les équipes de MSF, arrivées juste à temps, ont pu effectuer le sauvetage en toute sécurité. Octobre 2021.Filippo Taddei/MSF

Selon les témoignages des personnes rescapées recueillies à bord du Geo Barents, 84 % des 620 événements violents recensés se sont produits en Libye. Beaucoup de ces violences se produisent après l’interception par les gardes-côtes libyens et pendant l’enfermement consécutif dans des centres de détention. Selon les témoignages, les auteurs de ces actes sont les gardes dans les centres de détention (34 %), les gardes-côtes libyens (15 %), la police non étatique ou militaire (11 %), et les contrebandiers/trafiquants (10 %). Nos équipes ont également observé des niveaux importants de violence à l’égard des femmes, 18 % des victimes sont des femmes, et des enfants, dont 29 % sont mineurs, le plus jeune ayant 8 ans.

« On voit chez les personnes rescapées des traumatismes contondants, des brûlures, des fractures, des traumatismes crâniens, des blessures liées aux violences sexuelles, des troubles de la santé mentale. Les violences sont aussi à l’origine de handicaps physiques à long terme, de grossesses, de malnutrition et de douleurs chroniques », explique Stephanie Hofstetter, cheffe de l’équipe médicale à bord du Geo Barents.

Un endroit sûr où débarquer

Depuis le début des opérations de recherche et sauvetage du Geo Barents, en juin 2021, les blocages en mer se poursuivent, ce qui prolonge l’angoisse des rescapé·e·s. Les demandes de MSF visant à obtenir un lieu sûr pour débarquer les survivants et les survivantes ont été systématiquement ignorées ou refusées par les autorités maltaises, tandis que celles adressées aux autorités italiennes ont été accueillies avec un retard toujours plus important.

L’équipe de recherche et sauvetage récupère des vestes de flottaison individuelles éparpillées sur la mer. Cette activité s’inscrit dans une formation RHIB (rigid-hull inflatable boat) qui permet aux équipes d’être prêtes pour les sauvetages.
L’équipe de recherche et sauvetage récupère des vestes de flottaison individuelles éparpillées sur la mer. Cette activité s’inscrit dans une formation RHIB (rigid-hull inflatable boat) qui permet aux équipes d’être prêtes pour les sauvetages. Novembre 2021.Virginie Nguyen Hoang/HUMA

Changer cette politique migratoire mortifère est non seulement nécessaire, mais aussi possible. L’Europe a démontré dans le contexte de la crise en Ukraine qu’elle pouvait mettre en œuvre une approche humaine de la migration forcée. La protection de la vie de chacun et chacune doit s’appliquer indépendamment du pays d’origine, des convictions politiques ou religieuses, et un traitement égal – dans le respect de leurs droits et de leur dignité – doit être accordé à ceux et celles qui cherchent la sécurité aux portes de l’Europe.