Le long de la route, les personnes migrantes sont victimes d’enlèvements, de viols, d’extorsion, de coups et de menaces qui portent atteinte à leur dignité et à leur bien-être physique et émotionnel. © Yotibel Moreno / MSF
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Mexique : L’augmentation des enlèvements et des violences sexuelles près de la frontière américaine a de graves répercussions sur la santé des personnes en déplacement, déclare MSF

« Je n’étais pas comme ça avant, je savais comment faire face aux problèmes, mais maintenant je trouve ça difficile », dit Camila*, les larmes coulant sur son visage, alors qu’elle est assise dans un refuge pour personnes migrantes à Matamoros, dans l’État mexicain de Taumalipas. Les larmes de Camila ne sont qu’un signe de ce qu’elle a vécu ces dernières semaines. Cette Nicaraguayenne porte, dans son corps et dans son esprit, les atrocités subies dans le nord-est du Mexique par bien des gens en quête de sécurité personnelle et économique de l’autre côté de la frontière, aux États-Unis.

En août de l’année dernière, Camila a fui son pays en raison des persécutions politiques dont elle et sa famille faisaient l’objet. Hormis les nombreuses demandes illégales d’argent aux points de contrôle le long de la route, son voyage s’est déroulé sans encombre jusqu’à son arrivée à San Luis Potosi, dans le nord-est du Mexique. « Le bus était plein et on a fait descendre tout le monde », raconte-t-elle. « Il ne restait plus qu’une famille mexicaine. On nous a mis dans d’autres bus pour nous renvoyer au Guatemala. »

Camila n’a pas abandonné et a fait une deuxième tentative pour atteindre les États-Unis. Cette fois, elle a réussi à atteindre la ville de Monterrey, où elle a acheté, avec d’autres, des billets de bus pour la ville frontalière de Reynosa. « Pendant le voyage, on nous a kidnappés et c’est là que le pire a commencé », raconte-t-elle. « Notre groupe a été emmené dans une maison, puis séparé entre hommes et femmes. Nous devions rester debout, parce qu’il n’y avait pas de place. La nuit, des hommes sont venus et n’ont emmené que les femmes hors de la maison. Ils nous ont violées sans arrêt, l’une après l’autre. Ils n’ont eu aucune pitié. »

Après 17 jours, Camila a été libérée à Matamoros, où on lui a donné un lit dans l’un des rares refuges de la ville. « Je suis venue voir MSF parce que je me sentais très mal », dit-elle. « Je n’arrivais pas à concilier les moments de tranquillité [avec ce que j’avais vécu]. J’ai des moments de crise, par exemple lorsque je prends un café et que je ne peux pas retenir mes larmes en me rappelant ce qui m’est arrivé. Les psychologues m’ont beaucoup aidée. Je suis un traitement et je sais que j’ai encore un long chemin à parcourir avant de redevenir ce que j’étais. »

Malheureusement, les équipes de MSF à Reynosa et Matamoros entendent de plus en plus souvent des histoires comme celle de Camila. « Ces derniers mois, nous avons constaté une augmentation des cas d’enlèvement et de violence sexuelle à l’encontre des personnes migrantes », explique Pooja Iyer, coordonnatrice de projet pour MSF. « Les gens que nous recevons nous disent que pendant leur captivité, ils sont maltraités, qu’ils ne reçoivent pas de nourriture suffisante ou de qualité, et que la plupart des femmes sont victimes d’abus et de violences sexuelles. »

Ces dangers affectent les personnes migrantes dans toute la région. À Piedras Negras, dans l’État de Coahuila, les équipes de MSF ont également été témoins de l’impact de la violence, sexuelle notamment, sur les individus en déplacement. Rosaura* est une Vénézuélienne qui a été kidnappée pendant une semaine et abusée sexuellement par ses ravisseurs. Incapable de les payer pour sa libération, elle a manqué un rendez-vous important avec les autorités américaines chargées de l’immigration et s’est retrouvée avec de graves problèmes de santé mentale.

« Nous l’avons rencontrée dans un terminal de Rio Bravo où certains membres de notre équipe distribuaient des trousses d’hiver pour faire face aux températures froides », explique Gustavo Marangoni, coordonnateur logistique de MSF. « En nous voyant, les 15 personnes qui étaient avec elle depuis deux jours et qui attendaient de poursuivre leur voyage ont nié être migrantes, parce qu’elles avaient peur d’être renvoyées après s’être approchées si près de la frontière. »

Les histoires de Camila et Rosaura ne sont pas isolées. Chaque jour, dans les endroits où MSF fournit des soins aux personnes migrantes, ses équipes entendent les témoignages de ceux et celles qui ont été victimes de divers types de violence. À Reynosa et Matamoros, au cours des trois derniers mois de 2023, MSF a enregistré une augmentation de 70 % des consultations pour violence sexuelle par rapport aux trois mois précédents.

Pour le seul mois de janvier 2024, MSF a aidé 28 personnes survivantes de violences sexuelles, soit plus que pour n’importe quel mois de l’année précédente. D’octobre 2023 à janvier 2024, les équipes de santé mentale et de travail social de MSF à Reynosa et Matamoros ont aidé 395 personnes victimes de violences, ainsi que 129 qui avaient été enlevées puis libérées.

En 2023, à Piedras Negras, les équipes de MSF ont aidé 95 personnes survivantes de violences sexuelles et 177 ayant subi d’autres types de violence. Il s’agissait notamment d’enlèvements, de passages à tabac, de menaces et de disparition forcée de membres de leur famille en raison d’actes de violence commis au cours de leur voyage migratoire ou à la frontière elle-même.

Pour passer du Mexique aux États-Unis, il faut traverser le Rio Bravo à gué ou à la nage, au risque de se faire emporter par le courant. De nombreuses personnes migrantes ont peur de traverser le fleuve en raison du risque de noyade, tandis que d’autres sont refoulées par les gardes-frontières. Même celles qui ont rendez-vous avec les services d’immigration aux États-Unis sont souvent refoulées par les autorités mexicaines.

« Ces événements violents ont un impact sérieux sur la santé physique et émotionnelle des gens », explique Ryan Ginter, coordonnateur de projet pour MSF. « Les conséquences vont des ecchymoses et des traumatismes physiques aux grossesses non désirées et aux maladies sexuellement transmissibles, en passant par les symptômes d’anxiété, de dépression, de stress aigu et de stress post-traumatique, entre autres. Ces conséquences requièrent une attention globale et immédiate afin d’éviter des impacts plus importants à l’avenir. À leur arrivée aux États-Unis, la plupart des personnes migrantes sont refoulées. »

Attente indéfinie dans des villes hostiles

Outre le risque de violence dans le nord-est du Mexique, les gens en déplacement sont confrontés à des conditions climatiques extrêmes, en hiver comme en été. Il leur est aussi difficile de trouver des endroits sûrs pour dormir, de se procurer de la nourriture, de l’eau et des articles d’hygiène, ou d’avoir accès à des soins médicaux et psychologiques. Dans cet environnement hostile, de nombreuses personnes migrantes doivent attendre indéfiniment pour obtenir un rendez-vous avec les autorités américaines chargées de l’immigration par le biais d’une application en ligne connue sous le nom de « CBP One ».

Cette procédure, qui est l’une des rares voies légales permettant aux personnes migrantes d’accéder au droit d’asile et à la protection aux États-Unis, les expose à une incertitude encore plus grande. Au Mexique, nombreuses sont celles qui déclarent avoir dû attendre plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous pour entamer leur procédure d’immigration. D’autres ne sont même pas en mesure de déposer une demande.

« Bien des gens n’ont pas accès à un téléphone intelligent pour effectuer la procédure, ou ne peuvent pas payer les frais de connexion à Internet », explique Pooja Iyer. « D’autres ne parlent pas espagnol ou ont des difficultés à lire et à écrire. Le processus CBP One représente sans aucun doute un petit pas en avant pour mieux organiser les flux migratoires. Cependant, cet outil s’est avéré inadéquat pour gérer les processus d’entrée légale des gens à la recherche de bien-être et de sécurité aux États-Unis. »

Les sœurs Sofia* et Ligia* ont fui le Honduras il y a quatre mois après l’assassinat de plusieurs membres de leur famille. Chaque sœur a quatre enfants; elles ont décidé de voyager avec les plus jeunes et de laisser les plus âgés à la garde de quelqu’un de leur famille. « À Coahuila, nous avons dû marcher pendant plus de huit heures dans la nuit froide pour atteindre le refuge de la chapelle de l’église du Sacré-Cœur de Jésus, dans la ville de Rio Bravo », raconte Sofia, alors qu’elle prépare de la nourriture pour sa famille dans le refuge. « Les plus jeunes enfants ne pleuraient plus – ils ne pouvaient presque plus bouger à cause du froid. Nous n’avons pas de téléphone portable, pas de rendez-vous et nous ne savons pas quoi faire ».

Compte tenu de la gravité de la situation ainsi que des violences et des persécutions subies par les personnes migrantes dans le nord-est du Mexique, MSF appelle les autorités mexicaines et américaines à redoubler d’efforts pour leur fournir des soins complets, élargir les voies de migration légale et offrir de meilleurs abris, avec des services adéquats et dignes, pour les gens en déplacement.

*Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.