View of Odessa from a car driven by MSF staff. Carla Melki, emergency coordinator for Médecins Sans Frontières/Doctors Without Borders, has just returned from the port city of Odessa in southwestern Ukraine. There she was part of an MSF team that has been assessing the situation in order to help plan our activities in response to the war in the country. © MSF
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Ukraine : À Odessa, « tout le monde se prépare au pire »

Carla Melki, coordonnatrice d’urgence pour Médecins Sans Frontières (MSF), revient de la ville portuaire d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine. Elle faisait partie d’une équipe MSF chargée d’évaluer la situation afin d’aider à planifier nos activités en réponse à la guerre qui sévit dans le pays. Depuis la Moldavie, un pays voisin où les réfugiés affluent, elle explique les craintes que suscite l’offensive russe et les priorités de l’intervention de MSF.

Carla Melki, coordonnatrice d’urgence de MSF.Pierre Fromentin/MSF

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Quelle est la situation à Odessa?

Une partie de la population a fui la ville vers la frontière moldave. Ceux et celles qui restent ne se déplacent pas beaucoup. Malgré ça, les déplacements restent compliqués en raison des embouteillages autour des très nombreux points de contrôle des forces de sécurité ukrainiennes dans la ville. Il y a un couvre-feu la nuit et les sirènes retentissent plusieurs fois par jour. Quand nous étions là, nous avons entendu plusieurs explosions au loin, sans en connaître l’origine ni les endroits frappés.

En plus, la plupart des magasins sont fermés, la vente d’alcool est interdite, le carburant est rationné et les retraits d’argent sont limités.

La ville se prépare clairement à une attaque et à un siège. Avec près d’un million d’habitants, Odessa est la troisième plus grande ville d’Ukraine. Elle possède également l’un des ports les plus stratégiques du pays. Donc, personne ne se fait d’illusions sur la suite des choses. Tout le monde se prépare au pire.

Comment le système de santé de la ville se prépare-t-il à l’offensive russe?

Nous avons visité les hôpitaux désignés pour recevoir des civils blessés. Ce sont de grands hôpitaux, de bonne qualité, bien équipés, mais ils ne sont pas habitués à faire face à des afflux massifs de blessé·e·s de guerre ou de personnes blessées par des éclats d’obus. C’est comme si les hôpitaux de France, par exemple, se préparaient à pratiquer la médecine de guerre… Il est très difficile d’aborder cette facette de la médecine de façon théorique, il faut avoir une expérience pratique.

Toutefois, la grande majorité du personnel médical est toujours présente et n’a pas l’intention de partir. Tous et toutes travaillent fort et sont déterminé·e·s à affronter la situation, quoi qu’il arrive.

Faut-il craindre des pénuries de médicaments?

Le système de santé est déjà perturbé par la guerre, et l’impact se fait déjà sentir sur les chaînes d’approvisionnement. Par exemple, la livraison de repas chauds aux patient·e·s hospitalisé·e·s a été perturbée. Les combats ont empêché les livraisons depuis la ville de Mykolaïv où ils étaient normalement préparés. Par conséquent, nous réfléchissons à la possibilité de soutenir les hôpitaux en fournissant des repas préparés aux patient·e·s.

Certains médicaments commencent également à manquer, et il n’est pas possible de les commander par les voies habituelles, car le niveau central n’est plus en mesure d’approvisionner l’ensemble du pays. Chaque région ou grande ville essaie de trouver des alternatives. Nous participons à cet effort : un premier don de médicaments et de matériel médical est arrivé hier (6 mars 2022) à Odessa en provenance de Roumanie, et nous espérons en donner une partie aux hôpitaux de Mykolaïv. Mais il est clair que, partout au pays, le manque de médicaments et d’équipement est déjà un énorme problème, et la situation ne fera qu’empirer.

Outre les conséquences directes de la guerre, les conséquences pour les patient·e·s souffrant de maladies chroniques – le cancer ou le diabète, par exemple – risquent d’être désastreuses.

Quelle est la situation à la frontière moldave?

Selon les autorités moldaves, environ 120 000 réfugié·e·s ukrainien·ne·s sont déjà arrivé·e·s dans le pays. Pour les résident·e·s de la région d’Odessa, le poste-frontière le plus proche est celui de Palanca, à environ deux heures de route de la ville. Mais à l’heure actuelle, cela prend parfois plus de 24 heures pour franchir la frontière. Au poste-frontière, les autorités moldaves séparent leurs ressortissant·e·s des autres nationalités, mais tout le monde est autorisé à passer.

Les plus fortuné·e·s ont pris la route en voiture, tandis que beaucoup d’autres ont fui en autobus ou en train. Il s’agit en grande majorité de femmes et d’enfants. Près de la frontière, des embouteillages de plusieurs kilomètres se sont formés. Beaucoup de gens choisissent de parcourir les derniers kilomètres à pied. Il fait très froid. En plus de la fatigue et de l’anxiété, certaines personnes souffrent des effets de maladies chroniques non traitées.

Une fois arrivés à la frontière, les gens ont souvent besoin de recevoir des soins immédiats. Nous avons l’intention de mettre en place un poste de santé en collaboration avec le ministère moldave de la Santé, afin de pouvoir fournir les premiers soins à la chaleur, dans un environnement sécuritaire. Du côté moldave de la frontière, les autorités ont mis en place des zones d’accueil, car il faut souvent plusieurs heures aux réfugié·e·s pour trouver un moyen de transport vers la capitale, Chisinau, et au-delà. Là aussi, nous avons l’intention d’installer un abri pour fournir une assistance psychologique et sociale, en particulier aux personnes les plus vulnérables.

Comment MSF prévoit-elle d’aider les habitants d’Odessa?

À Odessa, nous nous concentrons sur deux priorités. Premièrement, nous aiderons à préparer les hôpitaux à la prise en charge des blessé·e·s. Nous croyons pouvoir offrir de la formation, ainsi que du soutien pour le triage et la stabilisation des patient·e·s. Nous envisageons également d’aider à mettre en place des postes médicaux avancés – de petites salles d’urgence capables de fournir les premiers soins aux blessé·e·s, avant de les transporter vers les hôpitaux.

Deuxièmement, nous prévoyons d’aider avec l’approvisionnement en médicaments afin de prévenir les pénuries. Après le premier don de médicaments hier, d’autres dons suivront dans les prochains jours. Cela se fait en partenariat avec Zidebine, une ONG roumaine qui nous aide à acheter et à livrer des médicaments en Ukraine.

Dans les deux cas, nous ne savons pas combien de temps il reste avant que la ville ne soit attaquée. Nous essayons de mettre en place autant de choses que possible pendant que cela est encore possible. C’est une course contre la montre.