Un parcours de résilience : offrir des soins médicaux à l’intérieur d’un train médicalisé
La Dre Nataliia Pyvovar travaille à bord du train médical de Médecins Sans Frontières (MSF) en Ukraine. Le train évacue les patients et les patientes des zones de front vers des installations situées dans des régions plus sûres du pays.
Un autre voyage commence aujourd’hui. Nataliia se sent confiante et en forme, car il n’y a pas eu de bombardement au cours de la nuit, elle a donc réussi à dormir. C’est nécessaire puisque la nuit suivante sera presque sans sommeil. Elle passera 36 heures dans le train à s’occuper des gens, pour la plupart des personnes âgées atteintes de démence, de paralysie cérébrale ou d’autres troubles neurologiques.
« Je porte toujours deux bagues lorsque je suis dans le train », explique-t-elle. « Ces bijoux sont simples, presque invisibles sur ma main, mais lorsque j’ai besoin de me détendre ou de me calmer, j’enroule les bagues autour de mon doigt. C’est une si petite chose, mais elle me relie à mon pays et me donne un sentiment de paix. Cela me donne de la force. »
« Les gens me demandent si leur nouvelle destination sera sûre et s’ils reviendront. »
« Nous préparons le train pour le voyage vers Kherson. Nous avons placé du linge frais sur les lits et prévu une bouilloire chaude et un dîner pour chaque wagon. Les trains ukrainiens ont des bancs inférieurs et supérieurs. Cette fois-ci, nous n’utilisons que les banquettes inférieures. Il est important pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques de sentir le sol sous leurs pieds. Elles se sentent ainsi plus calmes et plus à l’aise. »
Lorsque le train arrive, le soleil brille à Kherson. Les gens sont installés dans les wagons. Ils se protégent les yeux des rayons lumineux avec leurs coudes, assis dans des fauteuils roulants ou sur des brancards. Nombre d’entre eux ont une mobilité réduite et sortent rarement, recevant principalement des traitements dans des installations spéciales. Nataliia remarque que certaines personnes ont l’air confuses.
« La ligne de front est vraiment proche et pendant l’embarquement, des obus sont lancés à proximité et nous entendons des explosions. Certaines personnes âgées sont malentendantes et ne sont pas sûres de ce qui se passe. Elles nous demandent si tout va bien. Je dois les rassurer en leur disant : “Tout est calme. Il est important de monter dans le train maintenant et nous vous emmènerons bientôt dans un endroit sûr”. »
Le voyage n’est pas de tout repos. Les médecins et le personnel infirmier doivent communiquer avec chaque personne, lui expliquer où elle va et pourquoi. « Les gens me demandent si leur nouvelle destination sera sûre et s’ils reviendront. Au cours de ces conversations, je pense à ma propre grand-mère et à la difficulté pour les personnes âgées de changer d’environnement et de conditions de vie. »
Nataliia passe dans un wagon avec neuf patientes et patients. Certains doivent faire mesurer leur tension artérielle, d’autres ont besoin de médicaments et d’autres encore sont reliés à une station d’oxygène.
Nataliia sort dans le vestibule. Seule, elle fait tourner ses bagues, respire profondément, puis monte dans la voiture suivante avec le sourire. Et ainsi de suite, wagon par wagon.
Chaque personne n’emporte qu’un petit sac contenant quelques vêtements et documents, et parmi les 150 évacuées, seules quelques-unes ont des photographies. C’est le premier voyage dont Nataliia se souvient où les gens n’ont que leurs biens les plus précieux. Pour beaucoup de personnes à bord, leurs autres biens ont été détruits lors de l’attaque de leur maison, ou elles n’ont pas eu le temps de prendre quoi que ce soit, car elles sont parties au milieu des bombardements.
Il est très important de créer une atmosphère calme dans le wagon. Si un individu devient anxieux, cela peut affecter les autres. Nataliia et ses collègues préparent du thé et servent le dîner, c’est réconfortant.
« Après chaque évacuation, je me souviens longtemps des yeux de certaines personnes. Je réfléchis à leur histoire, à leur parcours et à leur destin. »
Parmi elles se trouve un jeune homme de 17 ans, originaire de Kherson, atteint d’infirmité motrice cérébrale, malvoyant et incapable de parler. Au début, il est anxieux dans le train, s’agite sur son lit et devient de plus en plus angoissé. Nataliia s’approche de lui et commence à lui parler doucement, en lui tenant la main.
« Le garçon touche mes bagues et je lui dis que chacun doit trouver sa propre amulette dans la vie. Cela peut être n’importe quoi, un collier, une tasse préférée, un mouchoir, une petite pierre. Cette petite chose peut vous sauver de l’anxiété et de la solitude. Le garçon se calme lorsque je lui parle. »
La docteure Nataliia Pyvovar est originaire de Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine. Avant l’escalade du conflit, elle travaillait dans une ambulance et dans l’unité de soins intensifs pédiatriques du ministère de la Santé. Elle travaille comme médecin pour MSF depuis juin 2022.