Ukraine : « Vous avez un train médicalisé? J’ai des patients et des patientes pour vous. »
Médecins Sans Frontières (MSF) effectue en Ukraine un premier transfert de patients et de patientes par train médicalisé.
Dans la matinée du vendredi 1er avril 2022, MSF a mené à bien, en Ukraine, son premier transfert de patients et de patientes par train médicalisé.
Neuf personnes dans un état grave, mais stable, ont été transférées d’un hôpital de Zaporijjia, dans le sud-est du pays, vers de grands hôpitaux de référence à Lviv, sur un train médicalisé de deux voitures que MSF a aménagées en collaboration avec la société de transport ferroviaire ukrainienne. Les patients et les patientes étaient accompagné·e·s par une équipe de neuf membres du personnel médical de MSF. Bien que ce premier train médicalisé soit court et qu’il ne puisse pas transporter des personnes en état critique, l’équipe de MSF prépare actuellement une version plus longue et mieux équipée.
La Dre Joanne Liu, pédiatre expérimentée au sein de l’équipe d’intervention médicale de MSF en Ukraine, raconte comment elle assure le processus d’évaluation de la stabilité des patients et des patientes en vue du voyage.
Le mardi 29 mars 2022, nous nous sommes rendu·e·s à Zaphorijjia et avons rencontré le directeur régional de la santé. Nous lui avons dit de nous contacter s’il avait besoin de quelque chose de notre part. Il avait entendu parler de transferts médicalisés par train, ce qui l’intéressait beaucoup. Certains de ses patients et des patientes avaient besoin d’être orientés vers d’autres établissements.
Nous avons dit : « d’accord, allons voir vos patients et vos patientes ».
La plupart de ces personnes avaient été blessées à Marioupol ou alors qu’elles tentaient de fuir la ville. Un jeune patient présentait de larges fractures ouvertes, et ses deux jambes étaient sous drainage à vide. Son état était assez stable, mais il était très malade.
Evaluation
Bien sûr, il est logique de décharger les hôpitaux à proximité de la ligne de front pour préserver leur capacité de prise en charge. Mais nous devions nous assurer que les patients et les patientes allaient être transféré·e·s vers un établissement où ils recevraient un niveau de soins équivalent ou supérieur. Nous voulions toutefois nous assurer que ce voyage serait sans danger pour chacune de ces personnes.
Nous avons demandé aux parents et aux patientes s’ils et elles souhaitaient profiter d’une évacuation médicale. La mère d’un patient nous a répondu : « Oui, je veux que mon enfant soit évacué. C’est sa seule chance de garder ses jambes. » Et l’enfant nous a regardé·e·s et a dit : « Je veux marcher à nouveau. »
C’était à la fin de la journée, et nous devions partir pour être en mesure de passer les points de contrôle. Nous avons dit que nous ne pouvions rien promettre et que nous allions voir ce qui est possible. Mais le directeur de l’hôpital et plusieurs des stagiaires sur place ont insisté : « Vous DEVEZ les sortir d’ici. Ils doivent survivre. C’est leur seul espoir. »
Le lendemain, nous sommes revenu·e·s et nous avons examiné chaque patient et patiente. Pour chacun et chacune, nous devions déterminer si un transfert de 20 heures était envisageable étant donné notre impossibilité de prodiguer des soins intensifs à bord de cette première version courte du train médicalisé.
Le jeudi matin, nous sommes arrivé·e·s tôt pour faire une autre évaluation de tous les patients et les patientes et pour nous assurer qu’ils et elles étaient stables à 100 %.
L’un des patients, un enfant de trois ans portant de graves blessures abdominales, a été jugé insuffisamment stable pour le transfert. À un moment donné, sa mère a dit : « Mon enfant va mourir pendant le voyage. » Je pratique la pédiatrie depuis 30 ans, et comme je l’expliquais aux membres de l’équipe, quand une mère vous dit ça, elle a toujours raison.
Nous avons évalué cet enfant trois fois, avec les responsables de l’hôpital. Le jeudi matin, les médecins étaient sur le point de le ramener en salle d’opération, et nous sommes tous et toutes arrivé·e·s à la même conclusion : l’état de cet enfant n’était pas assez stable pour procéder à son transfert. Cette décision a été prise après mûre réflexion et en toute collégialité.
Je me souviens d’une femme qui avait subi une blessure au visage dans une explosion et qui avait perdu l’œil droit. Le mardi, nous lui avions demandé de nous envoyer une photo, pour que nous puissions évaluer son état malgré notre départ imminent en raison du couvre-feu. Au lieu de nous envoyer une photo de sa blessure, elle nous a envoyé une photo d’elle avant l’explosion. Dès que nous sommes revenu·e·s à l’hôpital le lendemain, elle nous a dit : « Je veux redevenir belle. Pour mon mari. Pour mon enfant. »
Les histoires de ces quelques patients et patientes sont en fait celles de plusieurs milliers de personnes.
J’ai aussi été frappée par le grand dévouement du personnel. Par exemple, lors du transfert par train, jeudi matin, c’est le médecin de l’unité des soins intensifs lui-même, et non pas ses stagiaires, qui s’est occupé du transfert. Il a porté une grande attention au garçon gravement blessé aux jambes. C’est lui qui a monté la civière dans le train, et il y est resté quelque temps pour vérifier que le patient allait bien. Quand il a enfin été rassuré, il m’a regardée en disant : « Mon travail est maintenant terminé. Je te passe le flambeau. »