Inna Didych, physiothérapeute de MSF, travaille avec Andrii, un patient de 27 ans. Celui-ci se prépare à recevoir des prothèses après avoir été blessé lors des combats sur la ligne de front en Ukraine. Andrii a perdu son bras droit, sa jambe et presque toute sa vision. Ukraine, 2023. © Pavlo Sukhodolskyi/Voice of America
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Ukraine : réhabilitation des personnes blessées de guerre en Ukraine

Inna Didych
Physiothérapeute de MSF

Ce soir, j’emmène mon chien pour une promenade un peu plus longue que d’habitude. La journée de travail a été difficile sur le plan émotionnel. Stalker – c’est le nom de mon chien – sent toujours quand je suis abattue et que j’ai besoin de me défouler. Il court à mes côtés et se frotte à mes jambes. Je lui parle souvent de la force d’âme et de caractère dont je suis témoin chez les gens que je traite.

En tant que physiothérapeute de Médecins Sans Frontières (MSF), je travaille avec une équipe qui gère un programme de réadaptation complète dans un hôpital de Kiev. Ce projet intègre à la fois des composantes physiques et mentales, dans le but d’aider les personnes souffrant de graves blessures dues à la guerre.

Inna Didych travaille comme physiothérapeute de MSF dans le cadre du programme de réadaptation des personnes blessées de guerre. Ukraine, 2023. Pavlo Sukhodolskyi/Voice of America

J’ai rejoint l’équipe de MSF sur la recommandation d’une amie qui travaillait déjà dans l’organisation. Elle m’a informée sur les postes disponibles et sur les possibilités d’acquérir une expérience de pointe en physiothérapie.

MSF avait fait venir en Ukraine des spécialistes d’expérience qui avaient travaillé pendant des conflits armés internationaux et des guerres dans différents pays et qui avaient traité des gens souffrant du type de blessures que nous voyons maintenant. Bien que la guerre en Ukraine dure depuis 2014, la demande de traitement pour les personnes blessées de guerre n’était pas comparable à la situation actuelle. Ces médecins m’ont donné des instructions et des conseils précieux sur les exercices de rééducation pour les personnes blessées et amputées.

Au début, j’ai eu du mal à me faire à l’idée de ce que je voyais : des gens dont les blessures rappelaient celles de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont arrivés par dizaines dans les hôpitaux. Je me souviens très bien d’une nuit, au début de l’escalade de la guerre russo-ukrainienne, alors qu’un train entier est parvenu à Kiev en provenance de la ligne de front. Il transportait des personnes avec de graves lacérations, des blessures par balle ou bien amputées. Certaines d’entre elles se sont retrouvées à l’hôpital où nous menons le programme de rééducation.

Parfois, les gens qui arrivent à l’hôpital sont déprimés – ils ne veulent voir personne et ne sont pas d’humeur à faire de la rééducation ; ils restent allongés sur leur lit d’hôpital. Il faut souvent beaucoup de persévérance pour les convaincre qu’il y a toujours de l’espoir. Je leur explique l’importance d’une rééducation précoce et nous commençons la physiothérapie pour qu’ils apprennent à s’adapter à une vie normale avec un nouveau corps.

Au cours des six derniers mois, j’ai travaillé avec plus de cinquante personnes, chacune avec une histoire unique et son propre parcours vers la guérison. Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec Andrii, un homme de 27 ans qui se prépare à recevoir des prothèses après avoir été blessé lors des combats sur la ligne de front en avril passé. Malheureusement, il a perdu son bras droit, sa jambe et presque toute sa vision.

Andrii et moi traversons ensemble un parcours semé d’embûches. Avant de participer à la guerre, il travaillait comme informaticien. Après sa blessure, il hésitait à quitter son lit et avait du mal à s’imaginer un avenir. Avec le soutien d’un psychologue et la participation active de sa mère, nous avons entamé nos efforts de rééducation.

J’ai encouragé Andrii à se tenir sur la jambe qui lui reste et à faire de petits pas avec la marchette roulante, en incorporant des exercices de respiration au fur et à mesure. Peu à peu, nous sommes passés à la salle de physiothérapie. Nous avons commencé les exercices alors qu’Andrii était assis dans un fauteuil roulant, puis nous nous sommes concentrés sur l’étirement des muscles de l’abdomen, du tronc et des membres. Nous avons aussi effectué des exercices spécialisés pour prévenir les restrictions de mobilité des articulations qui pourraient entraver l’utilisation des prothèses.

La préparation du moignon pour une prothèse peut s’accompagner de douleurs aiguës. Malgré les points de suture encore frais après l’opération ou l’amputation, si nous ne travaillons pas les articulations à temps, elles s’affaibliront et remonteront encore plus haut qu’avant l’amputation. Il sera alors impossible de poser une prothèse, car le moignon ne tiendra pas. Je suis témoin de la façon dont Andrii et d’autres surmontent ces douleurs, et je trouve cela admirable.

Dans les moments où il se sent émotionnellement épuisé, je lui suggère des tâches simples comme « faire l’hirondelle » – se tenir en équilibre sur une jambe et s’imaginer voler. Je me sers de l’humour et de mots d’encouragement pour remonter le moral d’Andrii.

Pour nous distraire, nous discutons souvent de football et des exploits de l’équipe nationale ukrainienne. J’ai été footballeuse professionnelle et je raconte les blessures que j’ai subies au cours de ma carrière et la façon dont je les ai surmontées. Je dis à Andrii et aux autres personnes qu’il est essentiel de croire en la victoire – sur la douleur, les problèmes et les conditions difficiles.

Parfois, les émotions me submergent, et lorsque je rentre à la maison, il m’arrive de pleurer, seule avec mon chien. Je le rassure en lui disant : « Ne t’inquiète pas, Stalker, je vais bien. Je veux juste que mes patientes et mes patients ne perdent pas confiance en eux et qu’ils soient heureux dans leur nouvelle vie. Dans notre monde, ils ont besoin de si peu de choses : réapprendre à marcher, conduire une voiture, jouer au football, tenir un enfant dans leurs bras ou courir avec un chien dans un parc… »

Après notre séance, Andrii s’est rendu au centre de prothèses. Il m’a envoyé une vidéo de lui en train de faire prendre ses mesures pour une nouvelle jambe et un nouveau bras, en disant : « Eh bien, maintenant, on ne peut plus m’arrêter ! » Nous nous sommes tous deux sentis heureux à ce moment-là.

Après une journée de travail, je ressens souvent ce que j’appelle une « fatigue satisfaisante ». J’ai alors besoin de récupérer émotivement, mais je suis heureuse de la réussite des patients et des patientes. Je retrouve rapidement de l’énergie, surtout quand mon chien Stalker est là. Quand nous nous promenons d’une allée à l’autre, je respire l’air frais, puis je me dirige vers la maison pour passer une nuit reposante. Demain, je serai prête à entamer une nouvelle journée avec les personnes que je traite.

Inna Didych est physiothérapeute à Médecins Sans Frontières (MSF). Avant l’invasion de l’Ukraine, elle travaillait comme physiothérapeute au service de rééducation de l’hôpital régional de Kiev. Elle s’occupait de patients et de patientes victimes de Covid-19, de lésions cérébrales, d’accidents vasculaires cérébraux et de crises cardiaques. Elle est titulaire du titre de Master of Sports of Ukraine en football, formatrice professionnelle et arbitre de la FIFA.