People displaced from the conflict in Tonga in Upper Nile State, flee to New Fangak in Jonglei State. Due to the flooding, people have used plastic sheeting to make improvised rafts to carry their items through the floodwaters. Often these makeshift rafts are used to carry elderly people and small children. © Aline Serin/MSF
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Des inondations catastrophiques au Soudan du Sud et ailleurs font des ravages au sein de communautés déjà confrontées à une crise

De Michael Lawson, chargé des affaires humanitaires à MSF Canada, et de Léo Tremblay, météorologue dans le cadre de l’initiative d’assistance météorologique et climatique de MSF

Le Soudan du Sud n’en est pas à sa première crise. On estime que plus de huit millions de personnes dans le pays ont besoin d’aide humanitaire à la suite des déplacements, de l’insécurité alimentaire et de l’exposition à la violence, le conflit en cours en étant en grande partie la cause. C’est également l’un des pays les plus pauvres de la planète et son système de santé dépend presque entièrement de l’aide internationale – une aide qui a fortement diminué au cours de l’année dernière, malgré le fait qu’il présente les pires indicateurs de santé au monde, dans tous les domaines, de la santé maternelle et de la malnutrition à la rougeole et au paludisme.   

Le Soudan du Sud est également aux premières lignes d’une situation d’urgence internationale bien plus importante et complexe : le changement climatique. Pour la quatrième année consécutive, différentes régions du pays connaissent des niveaux d’inondation inédits et catastrophiques qui ont forcé les populations à quitter leur foyer, détruit les cultures et privé des communautés entières de nourriture, de médicaments et d’aide humanitaire.   

Saisons des pluies sans précédent

Une saison humide apportant son lot de perturbations n’a rien d’anormal au Soudan du Sud. Les précipitations annuelles posent depuis longtemps des difficultés dans un pays aux routes peu nombreuses et aux infrastructures peu fiables, et ont fréquemment compliqué la tâche des organisations humanitaires comme Médecins Sans Frontières (MSF) dans leur acheminement de l’aide à des régions éloignées et touchées par des crises.

Mais les inondations recensées au cours de chacune des quatre années ont été inédites par leur intensité. Les saisons des pluies déjà torrentielles du pays ont récemment soit commencé plus tôt, duré plus longtemps soit les précipitations ont été bien plus abondantes que pendant les années précédentes. En dépit d’une saison sèche redoutable, certaines précipitations de cette saison sont tombées dans des régions où les eaux de crue record de l’année d’avant n’ont jamais totalement reculées.

Les conséquences de ce phénomène ont été désastreuses. Des milliers de personnes ont dû fuir leur foyer, et en pleine crise d’insécurité alimentaire – les responsables du Programme alimentaire mondial estimant que près de 75 % de la population du Soudan du Sud ont besoin d’aide alimentaire à cause en partie de la destruction des récoltes des années précédentes par des inondations antérieures – les cultures et le bétail ont été à nouveau décimés alors même qu’ils sont plus que jamais nécessaires. Les eaux de crue charriant déchets et eaux usées ont contaminées l’eau potable et exposées les gens à une propagation de maladies et à d’autres risques sanitaires. Cette situation a conduit à une catastrophe humanitaire pour une population déjà trop fortement mise à l’épreuve.

Les personnes les plus vulnérables sont les plus touchées

Les conséquences ont été particulièrement pénibles pour les personnes déjà confrontées à d’autres crises en cours. Le mois dernier, des personnes tentant de fuir les flambées de violence secouant l’État du Haut-Nil ont été piégées par la montée des eaux, incapables de trouver refuge ou des soins, alors même qu’elles faisaient aussi face à un nombre croissant de cas de paludisme, d’infections des voies respiratoires supérieures et de diarrhée en raison des inondations et de la perte de leur foyer. À Bentiu, dans l’État d’Unity – là où MSF dirige un hôpital de soins primaires dans un camp pour personnes déplacées par les conflits du Soudan du Sud, et où le surpeuplement et des conditions de vie insalubres sont déjà des facteurs d’épidémies et d’autres urgences de santé publique – les digues de protection ayant cédé, des bermes sont tout ce qui évite à plus de 100 000 personnes déjà vulnérables d’être inondées, n’ayant nulle part où aller.

Dans un contexte où la pénurie de fonds internationaux a déjà réduit les activités et la présence d’un grand nombre d’organisations humanitaires indispensables -— aggravant tout, de la distribution de l’aide alimentaire à la maintenance des systèmes d’eau et d’assainissement de base dans des camps comme celui de Bentiu où de nombreuses personnes déplacées par la violence sont incapables de partir – celles demeurant sur place, comme MSF, rencontrent de très grandes difficultés pour répondre aux besoins grandissants compte tenu des crues extrêmes.

Des crises complexes et des solutions épineuses

Que peut-on faire? Comme pour de nombreuses situations d’urgence liées au climat, les personnes qui sont les plus touchées dans leur vie sont à mille lieux de certaines causes à l’origine des inondations au Soudan du Sud. En Afrique orientale, les variations des précipitations année après année d’une saison des pluies à l’autre sont imputables à des phénomènes climatiques tels que El Niño– oscillation australe (ENSO) et le dipôle de l’océan indien dont les effets devraient s’intensifier sous un climat plus chaud.

La fréquence accrue de ces phénomènes complexes est ultimement attribuable à la hausse des émissions mondiales de carbone, ce qui signifie que le Soudan du Sud et d’autres pays font les frais de problèmes qu’ils n’ont pas essentiellement causés (le Canada, par exemple, produit environ 100 fois plus d’émissions de carbone par habitant que le Soudan du Sud), et pour lesquels il n’existe que peu de solutions immédiates. Le Soudan du Sud n’a pas les moyens à lui seul de déployer des efforts visant à atténuer les pires impacts d’une crise internationale si complexe.   

À l’heure actuelle, le besoin le plus immédiat consiste à protéger les communautés menacées et à garantir l’acheminement de l’aide aux personnes que les inondations ont déplacées ou qui sont autrement touchées. Il est constamment nécessaire de renforcer les digues de protection surtout dans des endroits particulièrement fragilisés tels que Bentiu où les systèmes d’eau et d’assainissement critiques doivent rester fonctionnels. Il faut de toute urgence fournir des abris, de l’aide alimentaire et des soins médicaux aux populations qui en ont le plus besoin. La guerre en Ukraine et d’autres crises monopolisant l’attention et redirigeant l’aide, la situation s’avère plus difficile que jamais.

Des mesures d’atténuation s’imposent de toute urgence

Les inondations de grande ampleur devenant une nouvelle normalité, pas uniquement au Soudan du Sud mais notamment au Pakistan, au Nigéria, au Tchad et ailleurs, nous devons aussi mieux nous préparer. Le fait de savoir quand et où s’attendre à des inondations et d’investir à l’avance dans des mesures d’atténuation devrait être au cœur des priorités des organismes humanitaires ainsi que de leurs donateurs et donatrices. En 2021, les digues protégeant Bentiu ont été presque entièrement rompues; maintenant, il se pourrait bientôt qu’elles soient à nouveau submergées.

De meilleures prévisions et davantage d’informations sont par ailleurs cruciales. Des données satellite et des modèles météorologiques peuvent permettre à des intervenants humanitaires de prévoir de futures inondations grâce à des modèles hydrologiques. Malheureusement, il n’existe pas de tels modèles hydrologiques fiables au Soudan du Sud. MSF a fait des plaidoyers et a établi des partenariats avec d’autres organisations visant à améliorer les capacités de prévision des crues, à mieux anticiper dans quelle mesure nos domaines d’intervention seront touchés par les fortes saisons des pluies, et à préparer nos mesures de riposte dans les endroits censés être les plus durement touchés.   

Basé au Canada, le service d’assistance météorologique et climatique de MSF s’appuie sur des images satellite accessibles au public et sur les conditions que le personnel humanitaire de MSF enregistre sur le terrain au Soudan du Sud et ailleurs, afin d’établir de simples prévisions qui permettront à nos équipes d’anticiper les plus grands besoins là où nous sommes à pied d’œuvre. Il est cependant nécessaire de recueillir et d’analyser ce type d’information à une bien plus grande échelle que ce que nous sommes capables de gérer seuls à titre d’organisation indépendante d’aide médico-humanitaire. Des agences spatiales gouvernementales, des universités ainsi que d’autres organismes de recherche peuvent aider à fournir des données et à produire de meilleurs modèles pouvant être partagés avec des acteurs de l’aide humanitaire et autres intervenants.

Malheureusement, les crises qui frappent le Soudan du Sud, mêmes celles en lien avec une urgence climatique à l’échelle mondiale touchant tous les pays, n’attirent que rarement l’attention, et l’appui international aux efforts humanitaires dans le pays accuse récemment un recul et ce, malgré l’urgence croissante des besoins. Les inondations de cette année ont été une fois encore sans précédent, mais elles ne doivent plus être considérées comme surprenantes. Si des efforts plus soutenus ne sont pas consentis pour mieux se préparer à cette nouvelle réalité, nombreuses seront les personnes au Soudan du Sud qui se retrouveront à la merci d’une énième crise.