MSF Community Health Educators (from left to right April Odeka, Charles Onanikem and Chidinma Arua) go to the market of Abakaliki to raise awareness about Lassa fever. They explain how to avoid the disease, and what to do if someone gets infected. © Albert Masias/MSF
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Fièvre de Lassa : Pourquoi un virus à potentiel pandémique est encore négligé

Par Jason Nickerson, représentant humanitaire de Médecins Sans Frontières (MSF) au Canada.

Le 9 février dernier, l’Agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni a annoncé deux cas confirmés et un cas probable (depuis confirmé) de fièvre de Lassa. Depuis, un des patients est décédé. Les cas de fièvre de Lassa sont inhabituels dans cette partie du monde; avant les cas mentionnés ici, seuls huit cas avaient été identifiés dans le pays et les deux derniers datent de 2009. Pourtant, c’est une maladie qui est loin d’être rare. La fièvre de Lassa est endémique dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest, et elle a provoqué une épidémie qui dure  depuis 2017 au Nigéria, où l’on rapporte  beaucoup plus de cas cette année que les années précédentes. Comme Ebola, il s’agit d’une maladie hémorragique virale, et aussi comme Ebola, des chercheurs canadiens ont travaillé à mettre en œuvre un vaccin contre la maladie. Celui-ci n’a suscité aucun intérêt de la part des entreprises pharmaceutiques et accumule de la poussière sur une tablette depuis des années.

n in West Africa – Mastomys natalensis, or the Natal multimammate rat. These rodents can quickly reproduce, are common in places where people live, and can shed the virus throughout their lives through their urine and feces. All of this means that there are lots of opportunities for contact with humans, and lots of opportunities to spread the virus.

La transmission interhumaine du virus, bien que possible, n’est généralement pas comment les gens contractent l’infection. La contagion attribuable aux réservoirs animaux – c’est-à-dire la transmission des rongeurs aux humains – est en fait beaucoup plus courante. On observe typiquement un pic saisonnier de cas de fièvre de Lassa en janvier qui se termine en février ou mars. Ce pic s’explique principalement par des facteurs environnementaux qui font croître la population de rongeurs porteurs du virus ou qui influencent les endroits où ils vivent.  La fin de la saison des pluies (souvent à la fin de l’automne) annonce le début de leur saison de reproduction; quelques mois plus tard, pendant la saison sèche, la pénurie de nourriture sur le sol pousse les rongeurs nouveau-nés à chercher de la nourriture dans des zones peuplées par les humains. Les changements climatiques, la déforestation, le développement urbain et d’autres facteurs d’origine humaine qui influent sur la façon dont les gens interagissent avec les animaux et la nature (par exemple, en construisant des maisons dans des endroits où il n’en existait pas auparavant), représentent certains des facteurs susceptibles de modifier les schémas de transmission de la fièvre de Lassa, ainsi que la répartition et la portée géographiques des rongeurs porteurs du virus – et ce, probablement pour le pire.

Le portrait global de la maladie est toujours imprécis. Il y a un vrai manque de critères diagnostiques formels et standardisés, ainsi qu’une variabilité et une gravité importantes des symptômes, et la maladie est prévalente dans des endroits où l’accès aux soins de santé peut être difficile, ce qui entrave l’accès à un dépistage approprié. Épicentre, l’unité épidémiologique de MSF, s’occupe de mettre à jour nos estimations du nombre de cas de fièvre de Lassa dans les régions touchées, puisque les estimations actuelles de 100 000 à 300 000 cas par an datent de plusieurs décennies. Le taux de létalité global semble être faible (environ 1 % des cas, bien que certaines estimations atteignent jusqu’à 5 000 décès par an), mais la mortalité chez les patients hospitalisés est plus élevée et de nombreuses personnes présentent peu ou pas de symptômes, ce qui complique le dénombrement des cas.

La stratégie actuelle de lutte contre la maladie, qui repose sur le contrôle de la population de rongeurs, présente aussi des limites importantes. La fièvre de Lassa est une maladie pour laquelle un vaccin efficace pourrait représenter un puissant outil de santé publique. Malgré le lourd fardeau pour la santé publique, aucun vaccin n’existe contre la maladie, bien qu’il y ait plusieurs candidats en cours de développement, dont un basé sur la plateforme rVSV qui a été mise au point au Laboratoire national de microbiologie du Canada à Winnipeg. En fait, le candidat-vaccin contre la fièvre de Lassa (rVSV-LASV) a été découvert à peu près en même temps que le vaccin à dose unique rVSV-ZEBOV contre Ebola, qui s’est avéré très efficace lors de récentes éclosions d’Ebola. Malheureusement, à l’instar du vaccin contre Ebola, ce candidat-vaccin est resté tabletté pendant des décennies au lieu d’être développé – jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par un organisme à but non lucratif, l’IAVI, avec le financement d’un autre organisme à but non lucratif, la CEPI, en 2018. À notre connaissance, malgré le fardeau pour la santé publique, aucune société pharmaceutique n’a manifesté d’intérêt envers le vaccin, ce qui révèle encore une fois l’écart entre les priorités liées au profit de l’industrie pharmaceutique et les véritables besoins mondiaux en matière de santé publique. L’Organisation mondiale de la Santé a identifié la fièvre de Lassa comme ayant un potentiel pandémique, ce qui signifie qu’elle pourrait déclencher une pandémie mondiale, d’où l’importance de lancer la recherche et le développement de vaccins et de produits thérapeutiques qui, en fait, aurait dû avoir été fait il y a des années.

Un solide réseau de clinicien·ne·s et de chercheur·e·s au Nigéria et ailleurs travaillent sur la fièvre de Lassa, et il y a un intérêt mondial croissant pour le développement de nouveaux vaccins et de produits thérapeutiques (un médicament, la ribavirine, est le traitement actuel qui est généralement utilisé, mais les preuves à l’appui de son utilisation sont assez faibles). La fièvre de Lassa est une maladie qui nécessite plus d’attention et plus de ressources, non seulement en raison des cas identifiés dans un pays à revenu élevé, mais aussi simplement parce que contrôler une maladie qui infecte chaque année des centaines de milliers de personnes et en tue des milliers, mais pour laquelle aucun traitement ni vaccin efficace n’existe, est un bon investissement en santé publique.