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Les positions du Canada concernant le traité international sur les pandémies sont préoccupantes

D’Adam R. Houston. Publié initialement dans la revue Options politiques le 12 mai 2023

Malgré de récents commentaires sur l’approche du gouvernement fédéral en matière de consultation menées auprès de parties prenantes relativement aux traité proposé sur les pandémies qui est actuellement négocié sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on a porté peu d’attention aux positions que le Canada a pour sa part en fait adoptées ou à leurs répercussions possibles. Le manque de transparence du gouvernement a contribué au problème.  

Il convient de remédier à ce peu d’attention accordée, car les positions que le gouvernement a adoptées en négociant le traité (appelé aussi l’accord sur les pandémies ou l’instrument relatif aux pandémies) entraveraient directement l’accès équitable aux contre-mesures médicales telles qu’aux médicaments et vaccins. Cela fragiliserait le traité proposé en tant qu’outil permettant de riposter aux futures pandémies et de s’y préparer.

La riposte internationale face à la pandémie de COVID-19, surtout concernant l’accès mondial aux vaccins, a démontré de façon frappante les conséquences de l’iniquité. Par conséquent, il est encourageant de constater que l’équité joue un rôle important dans le projet préliminaire du traité publié par l’OMS en début d’année. Le préambule reconnait que « l’équité devrait constituer un principe, un indicateur et un résultat de la prévention, de la préparation et de la riposte face aux pandémies. »

Nous, à Médecins Sans Frontières (MSF), avons analysé les dispositions s’appliquant à l’équité du projet préliminaire et mis en évidence les améliorations pouvant leur être apportées. Il semble que le Canada ait choisi l’approche contraire.

Même pour les personnes qui, comme l’auteur, ont assisté à la séance du gouvernement destinée aux parties prenantes, le caractère extrême de certaines modifications que le Canada a proposées est surprenant, surtout considérant qu’elles ne semblent pas refléter les points de vue émis par la majorité des parties prenantes présentes. Ce fait est très perceptible concernant les enjeux liés à la propriété intellectuelle, tout particulièrement le transfert de technologie.

Si un brevet c’est en quelque sorte une recette, le transfert de technologie c’est en quelque sorte montrer à d’autres chefs de cuisine comment préparer le plat correctement. En fonction des modifications qu’il a proposées, le Canada semble insister davantage que tout autre pays, sauf peut-être les États-Unis, pour qu’un transfert de technologie en vertu du traité sur les pandémies repose sur des conditions librement consenties et/ou établies d’un commun accord. En d’autres termes, même en cas de pandémie, le fabricant d’un vaccin ou d’un médicament d’importance vitale ne se verrait pas obligé d’aider les autres à préparer un plat d’après sa recette, peu importe le nombre de personnes n’y ayant pas accès. Le positionnement du Canada continuerait de protéger la capacité des sociétés pharmaceutiques à contrôler les technologies sous-jacentes, et en définitive l’approvisionnement mondial, de médicaments et de vaccins nécessaires lors de nouvelles pandémies. Cela signifierait que des usines de la concurrence capables autrement de les fabriquer pourraient rester les bras ballants en pleine pénurie mondiale, entraînant des décès évitables – le tout au nom de la protection d’un modèle économique.

Dans une ébauche des modifications proposées ayant fuité, le Canada n’y va pas par quatre chemins quand il s’agit de revendiquer des conditions librement consenties et établies d’un commun accord comme base de référence tout au long du traité. Il y propose des modifications ajoutant ce libellé non seulement aux articles du traité abordant des questions comme l’accès aux technologies médicales et la propriété intellectuelle, mais aussi directement à l’article 4(4) qui précise que l’équité est un principe directeur du traité. Permettre aux sociétés pharmaceutiques d’empêcher à leur guise le transfert de technologie constitue une étrange conception de l’équité.

Le Canada défend cette idée même si la pandémie de COVID-19 n’est que l’illustration la plus récente qu’une boîte à outils ne contenant que des conditions librement consenties et établies d’un commun accord sera insuffisante pour réaliser la tâche. Bien qu’il existe effectivement des exemples de transfert de technologie faisant l’objet de conditions librement consenties et établies d’un commun accord, en vérité, beaucoup trop souvent de telles conditions ne sont simplement jamais conclues, la majorité du temps par manque d’intérêt de la part des sociétés. MSF n’a été témoin que bien trop fréquemment des conséquences néfastes en matière d’accès pour traiter des maladies comme le VIH. En effet, même les exemples de réussite demeurent souvent limités, s’appliquant, par exemple, à certains pays uniquement (pendant la COVID-19, les pays à revenu intermédiaire ont été généralement exclus).

Le transfert de technologie ne résout pas les problèmes d’accès équitable d’un claquement de doigts; cette démarche peut s’avérer difficile et chronophage. Mais essayer d’établir des conditions librement consenties et établies d’un commun accord pour constituer la base de référence juridique du traité ne s’attaque pas au problème beaucoup plus important, à savoir que ces conditions ne sont fréquemment pas du tout conclues. De telles exigences feraient en sorte que les erreurs commises dans le passé s’inscrivent dans l’instrument ayant pour finalité d’y remédier.

Malgré ces conséquences, très peu d’informations publiques de valeur circulent concernant les positions du Canada, encore moins leur justification. Le passage au crible de vidéos pendant des heures présente une déclaration du porte-parole canadien lors de négociations précédentes en décembre, repoussant les mesures proposées en vue d’élargir l’accessibilité car il « sera important d’éviter de décourager la collaboration entre le gouvernement et l’industrie. » Toutefois, plus de détails, le cas échéant, ont été donnés à huis clos.

Entre-temps, les modifications proposées au traité du gouvernement tranchent clairement avec son positionnement plus médiatisé sur le soutien canadien au transfert de technologie dans le cadre de l’équité vaccinale. L’annonce récente du Canada concernant un soutien financier supplémentaire au centre de transfert de technologie pour les vaccins à ARNm ouvert par l’OMS abonde particulièrement en ironie. Le centre a pour objectif le transfert de technologie afin d’accroître les capacités des pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire. Cependant, pour acquérir de la technologie devant faire l’objet d’un transfert, le centre lui-même a été forcé de faire de l’ingénierie inverse sur les vaccins à ARNm – vaccins reposant en partie sur la technologie de nanoparticules lipidiques développée au Canada – car le transfert volontaire de technologie au centre n’a pas du tout eu lieu!

Un positionnement canadien qui favorise les profits du secteur privé au détriment de la santé publique devient encore plus contre-productif lorsque la technologie faisant l’objet d’un transfert provient de la recherche et du développement financés à même les deniers publics, notamment les capitaux énormes investis par le gouvernement canadien dans des technologies telles que les anticorps monoclonaux et les vaccins par l’intermédiaire de nombreuses sources de financement. Malheureusement, les modifications proposées par le gouvernement au traité sur les pandémies reflètent l’approche adoptée dans sa réponse au rapport récent sur l’équité vaccinale du Comité permanent de la Chambre des communes sur les Affaires étrangères.

Le comité a recommandé que « le gouvernement du Canada veille à ce que ses accords de financement des activités de recherche et de développement comportement des dispositions permanentes de céder facilement les droits de propriété intellectuelle des produits obtenus, notamment les vaccins, les moyens thérapeutiques et les outils de diagnostic, aux fabricants qui desservent des pays à faible ou à moyen revenu. »

Quoique souscrivant au principe fondamental, longtemps préconisé par MSF – que les fonds publics devraient profiter au public, le gouvernement a répondu défavorablement à cette recommandation, déclarant « les avantages pour le public sont maximisés lorsque les modalités relatives à la propriété intellectuelle sont adaptées de façon à tenir compte du contexte et des objectifs particuliers de chaque possibilité de financement, avec des conditions librement consenties et établies d’un commun accord. » Cela semble plutôt étrange de suggérer que les avantages pour le public sont maximisés quand les innovations vitales reposant sur la propriété intellectuelle financée par des fonds publics ne parviennent pas à toutes les personnes qui en ont besoin. C’est une évidence non seulement de par le coût humain – les maladies et les vies perdues – mais aussi de par les graves répercussions économiques d’une pandémie incontrôlée qui éclipsent considérablement les dividendes versés aux actionnaires de quelques sociétés.

Afin de maximiser les avantages pour le public, les activités de recherche et de développement financées par l’État doivent être assorties de conditions restrictives pour veiller à ce que le public y ait accès, surtout dans des circonstances telles qu’une pandémie. Cela ne signifie pas que des mesures obligatoires, plutôt que volontaires, doivent être la première ou la seule étape, mais qu’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de protection lorsque des conditions librement consenties, établies d’un commun accord ne sont pas conclues.

Ce même principe visant des mécanismes de protection relatifs à l’accès devrait également orienter la rédaction du traité. Préférer des conditions librement consenties, établies d’un commun accord pour le transfert de technologie est une chose. Adopter une approche qui a échoué à maintes reprises comme norme juridique, sans mécanismes de protection lorsque de telles conditions ne sont pas conclues, en est une autre. Si le gouvernement pense que cette approche est appropriée et efficace, même en dépit de l’abondance de preuves démontrant les échecs répétés des mesures uniquement volontaires pour assurer l’accès mondial à des médicaments vitaux, il devrait tout du moins faire valoir son point de vue de manière totalement transparente.

L’article ci-dessus a d’abord paru dans la revue Options politiques et est publié à nouveau ici en vertu d’une œuvre en usage partagé.