Le personnel de MSF en route pour installer une clinique dans le village de Sin Thet Maw, dans le canton de Pauktaw. Myanmar, 2023. © Ben Small/MSF
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Les consultations du Canada auprès des parties prenantes influenceront-elles réellement ses positions concernant le traité sur les pandémies?   

Adam R. Houston & Jason Nickerson

Adam R. Houston, chargé du plaidoyer et des politiques médicales & Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada 

Le 24 août 2023, le gouvernement canadien a au bout du compte publié un document final sur le Forum d’engagement des partenaires et des intervenants de l’instrument de lutte contre les pandémies qui a rassemblé les 21 et 22 mars plus de 160 participants et participantes issus de multiples secteurs. Nous y avons tous les deux assisté en tant que porte-parole de Médecins Sans Frontières (MSF). Au cours des cinq mois écoulés, de nombreuses séances de négociation concernant l’instrument de lutte contre les pandémies – mieux connu sous le nom de traité sur les pandémies – ont eu lieu au sein de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sous l’égide de l’Organe intergouvernemental de négociation (OIN). Pendant toute cette période, les participants et participantes au Forum d’engagement, notamment MSF, n’ont pas été informés de l’impact du Forum, des points de vue qui y ont été exprimés par les personnes participantes sur les positions du gouvernement canadien dans le cadre des négociations au sujet du traité sur les pandémies. Malheureusement, ce document tant attendu ne semble guère répondre à ces questions, voire expliquer les positions du gouvernement. De ce constat émerge à leur tour d’autres questions sur la raison d’être du Forum d’engagement en premier lieu.  

Nous reconnaissons que le document final corrobore globalement nos souvenirs des commentaires formulés par les personnes participant à l’événement. Toutefois, si le rôle premier du gouvernement canadien au Forum était de faire office de sténographe retardataire, l’importance de l’événement se voit considérablement dévalorisée puisque les positions de négociation du Canada concernant le traité sur les pandémies sont en porte-à-faux avec une kyrielle des recommandations. Cette situation ternit ce qui aurait pu être sinon un élément positif à tirer pour le Canada : c’est-à-dire qu’il s’agissait de l’un des premiers pays à entreprendre de telles consultations. À vrai dire, rien n’indique que les actions du Canada au cours des cinq mois depuis le Forum d’engagement ont été différentes de ce qu’elles auraient été si le Forum n’avait pas du tout eu lieu.    

Cette interprétation est confortée par le fait que le Forum a dégagé des conclusions solides sur les opinions largement défendues par les parties prenantes qui, dans certains cas, contrastent fortement avec les actions actuelles du Canada. Par exemple, le premier point principal à retenir dans le document final est                 « Intégrer l’équité dans le processus. » Le document précise : « L’équité a fait partie de presque toutes les discussions. Les participants sont convaincus que l’équité doit être une considération primordiale qui sous-tend tous les aspects de l’instrument de lutte contre les pandémies et qu’elle doit être au cœur de son processus d’élaboration. L’accès aux produits et services de lutte contre les pandémies doit être équitable et fondé sur les besoins, et l’équité doit guider la manière dont les mesures de préparation et de lutte contre les pandémies ont une incidence sur les groupes et communautés marginalisés. » 

Cependant, cela ne correspond pas à la pratique adoptée par le Canada pendant la COVID-19 concernant des enjeux tels que l’accès équitable aux vaccins partout dans le monde, un problème que MSF a mis en exergue à maintes reprises. De surcroît, cela ne correspond à l’approche canadienne concernant les négociations du traité sur les pandémies. Comme MSF l’a constaté avec préoccupation, le Canada a proposé des modifications qui imposeraient des limites au transfert de technologies à d’autres pays en vue de leur permettre de produire des vaccins et autres outils de santé en demandant qu’un tel transfert s’effectue selon des                 « conditions volontaires et mutuellement convenues », notamment de la part des sociétés pharmaceutiques. Il s’agit d’une approche qui a échoué à plusieurs reprises non seulement pour la COVID-19 mais aussi pour de nombreux autres problèmes sanitaires graves à l’échelle mondiale tels que le traitement du VIH. Pourtant, le Canada propose en fait d’aller encore plus loin en ajoutant des restrictions de ce type dans l’article du traité qui précise que l’équité est un des principes directeurs du traité. Intégrer une approche qui s’est soldée par un échec à l’égard du transfert de technologies dans la définition même de l’équité –alors que cette technologie n’aurait pas lieu d’être sans un financement public considérable– est une approche plutôt bizarre d’intégration de l’équité dans le processus. L’approche du Canada à l’égard du traité avant et après le Forum d’engagement n’ a pas semblé non plus traduire fidèlement d’autres principaux points à retenir dans le document final comprenant « Garantir un engagement important de la part de diverses voix »,            « Connaître les approches coloniales », « Promouvoir la coopération et la collaboration », et « Mettre l’accent sur la transparence, la responsabilité et la communication ». Quoique nous ne puissions sans doute guère nous attendre à ce que les résultats du Forum d’engagement soient adoptés textuellement en tant que politique de négociation du Canada, le gouvernement canadien devrait au moins justifier la déconnexion entre ses actions et les argumentaires qu’il a entendus de la part des parties prenantes.  

Cette déconnexion va au-delà des préoccupations formulées sur la manière dont le Canada a mené les consultations, bien qu’après le Forum d’engagement, certaines personnes aient soulevé des préoccupations au sujet de l’événement auquel elles ont participé, proposant des suggestions sur la manière qui aurait amélioré son efficacité. Le fait que le Canada n’a jamais volontairement joué la transparence sur ses propres positions, et leurs justifications, dans la négociation du traité sur les pandémies, surtout lorsqu’un grand nombre d’entre elles semblent aller à l’encontre de plusieurs points à retenir désignés par les parties prenantes au mois de mars, soulève vraiment la question de savoir si le Forum d’engagement des intervenants du Canada visait réellement à écouter et à répondre aux préoccupations exprimées massivement dans les opinions de ces personnes ou à cocher une case permettant au gouvernement canadien d’annoncer avoir consulté des parties prenantes sans que ces consultations n’aient un quelconque effet. 

Le gouvernement a promis d’autres consultations cet automne. Il faut espérer que ces consultations marqueront un changement de cap et donneront l’occasion d’engager directement le dialogue, d’une part, sur les positions du Canada au sujet du traité sur les pandémies plutôt que d’en discuter dans l’abstrait, et d’autre part, sur la responsabilité du gouvernement à aborder franchement les préoccupations soulevées par les parties prenantes ainsi qu’à justifier les positions que le Canada a finalement choisi d’adopter.