MSF health promoter Fidèle visits the Foulbé IDP site where many families sought shelter following the surge of violence in the Ippy region early 2022. © MSF
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Au-delà des grands titres : le témoignage d’un Canadien sur la République centrafricaine

De Jason Nickerson, représentant humanitaire, MSF Canada

Plus tôt cette année, de violents affrontements ont éclaté à Ippy, une localité située au centre de la République centrafricaine. Cette crise a forcé des milliers de personnes à fuir leurs villages ruraux pour se réfugier dans la ville d’Ippy et dans les camps pour personnes déplacées qui avaient été établis dans ses alentours. En réponse à cette urgence, Médecins Sans Frontières (MSF) a envoyé une équipe qui prodigue des soins médicaux et qui installe des infrastructures pour l’eau et l’assainissement, comme des points d’eau et des latrines.

Cette situation d’urgence, comme beaucoup d’autres dans les endroits où travaille MSF, a lieu loin du regard des médias internationaux, alors même que des violences armées continuent de faire rage dans de nombreuses régions de la République centrafricaine (RCA) et d’autres pays. Pourtant, on s’attend à ce que la crise en RCA, l’un des pays parmi les plus pauvres au monde, s’aggrave. Dans un tel cas, plus de 60 % de la population du pays aura besoin, au cours de l’année, d’une protection et d’une aide humanitaire, un niveau de besoins qui n’a pas été vu depuis cinq ans.

Un soutien international essentiel

Le pays dépend presque entièrement de l’aide internationale en matière de soins de santé. Des conflits civils permanents entre les forces gouvernementales et des groupes armés, associés à des infrastructures et des services publics quasi inexistants, font en sorte que les populations en RCA présentent les pires indicateurs de santé de la planète. Pendant ce temps, le monde a les yeux braqués ailleurs. Ce constat s’explique par des raisons pluridimensionnelles, mais l’effet est clair : pour un grand nombre de personnes en République centrafricaine, l’accès aux soins de santé est hors de portée.

…la crise en RCA, un des pays parmi les plus pauvres au monde, ira en s’aggravant.

En mars et avril de cette année, j’étais en affectation en RCA. Je travaillais alors avec nos équipes à renouveler notre action de plaidoyer en faveur de cette situation d’urgence, notamment notre travail médical dans des domaines tels que le VIH, le paludisme, l’hygiène sexuelle et la santé reproductive. Les lacunes qui existent posent un réel défi en ce qui a trait à l’accès, pour les personnes, à tous ces services, et ce, partout au pays. En discutant avec des collègues et des personnes au sein des communautés dans lesquelles nous travaillons, la multitude de défis que les gens s’emploient à surmonter est sans équivoque. Par exemple, le fait de vivre en zones rurales signifie souvent emprunter des routes périlleuses et dangereuses (non seulement en raison du mauvais état des routes, mais aussi de la présence de groupes armés) pour accéder à des services de soins de santé qui n’existent tout simplement pas dans plusieurs régions. Ces défis ne sont pas faciles à relever, car ils mettent en cause presque tous les aspects des éléments de base nécessaires à l’administration d’un système de santé fonctionnel. Par ailleurs, il faut du temps pour les établir et les consolider. Entre-temps, le soutien d’organisations humanitaires telles que MSF continue d’être nécessaire pour permettre un accès d’urgence à des soins essentiels.

Jason Nickerson en affectation en République centrafricaine. 2022.
Jason Nickerson en affectation en République centrafricaine. 2022.

Une importante pénurie de personnel de santé

Une pénurie de personnel de santé, par exemple, est régulièrement citée comme un obstacle majeur à l’amélioration de la qualité des soins en RCA. Le pays affiche un manque important de personnel qualifié. On ne compte que 0,1 médecin et 0,206 infirmier, infirmière et sage-femme pour 1 000 personnes. Cela représente environ 350 médecins et 995 infirmiers, infirmières et sages-femmes pour une population de 4,8 millions d’âmes. Par comparaison, le Canada enregistre 2,4 médecins et 11,8 infirmiers, infirmières et sages-femmes pour 1 000 personnes, et fait constamment face à des obstacles importants et croissants dans la prestation des services de santé en raison du manque de ressources humaines qualifiées. Vous commencez à saisir l’ampleur des défis? Qui plus est, les professionnel·le·s de la santé n’apparaissent pas du jour au lendemain; la formation d’un ou d’une médecin peut prendre sept ans et celle d’un infirmier ou d’une infirmière quatre ans.

Malgré ces défis, des progrès ont été réalisés. Même si la RCA affiche des taux de couverture en matière de thérapies antirétrovirales les plus faibles au monde pour les personnes atteintes du VIH, cette couverture est passée de 28 % en 2015 à 58 % en 2020. Trop de personnes sont encore laissées pour compte, mais le taux de progression est impressionnant. Davantage d’efforts sont consentis pour réduire cet écart.

Il existe manifestement un décalage entre ce qui fait la une de l’actualité et ce qui a un impact important dans la vie des gens à travers la planète. Et à l’heure où l’attention du monde est tournée vers la pandémie de COVID-19, apparemment sans fin, et maintenant vers la guerre en Ukraine, les crises en République centrafricaine, au Soudan du Sud, dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, et ailleurs dans le monde tombent dans l’oubli. Bien qu’on ne puisse raisonnablement pas s’attendre à ce que tout le monde suive chaque crise, je pense qu’on est en droit d’espérer davantage – davantage en termes de couverture médiatique sur les crises négligées, davantage d’aide humanitaire apportée en fonction des besoins et davantage d’attention accordée à la nécessité de répondre aux besoins urgents des communautés.