Fatima Abdullah Bushr, 31 ans, en est à son neuvième mois de grossesse. Faute de clinique à proximité, elle a dû séjourner à l'hôpital universitaire de Nyala, avant son accouchement.
PARTAGEZ

Dans un récent rapport, MSF dénonce le nombre choquant de femmes enceintes et d’enfants qui meurent au Sud-Darfour

Selon un rapport publié par Médecins Sans Frontières (MSF), la région du Sud-Darfour, au Soudan, connaît l’une des pires situations d’urgence au monde en matière de santé maternelle et infantile. Les femmes enceintes, qui accouchent ou en post-partum, tout comme les enfants, meurent de maladies évitables, car leurs besoins en matière de santé dépassent de loin ce que MSF peut seule prendre en charge.

Le rapport, intitulé Driven to oblivion: the toll of conflict and neglect on the health of mothers and children in Sud-Darfour (disponible en anglais seulement), révèle des taux de mortalité alarmants. Entre janvier et août, le nombre de décès maternels enregistrés dans seulement deux hôpitaux que soutient MSF au Sud-Darfour représente à lui seul plus de 7 % du nombre total de décès maternels enregistrés en 2023 dans toutes les installations de MSF à travers le monde. Les activités de dépistage de la malnutrition chez les enfants ont également révélé des taux bien supérieurs aux seuils d’urgence.

« C’est une crise comme je n’en ai jamais vu dans ma carrière. » 

Dr Gillian Burkhardt, responsable des activités de santé sexuelle et reproductive de MSF au Sud-Darfour

Les Nations Unies doivent agir de manière décisive pour faire face à ces crises et éviter de nouvelles pertes en vies humaines au Darfour. L’ONU doit notamment y accélérer le retour de son personnel et de ses agences. Elle doit en outre mobiliser toutes les ressources et l’influence politique disponibles pour que l’assistance parvienne à ceux et celles qui en ont besoin. Seule une réponse internationale coordonnée, soutenue par un financement conséquent et une pression inflexible sur les parties belligérantes, peut éviter une famine de masse et alléger les souffrances de millions de personnes.

« C’est une crise sanitaire comme je n’en ai jamais vu dans ma carrière », déclare le Dr Gillian Burkhardt, responsable des activités de santé sexuelle et reproductive de MSF, à Nyala, dans le Sud-Darfour. « De multiples urgences sanitaires se produisent simultanément sans qu’il y ait presque aucune réponse internationale de la part de l’ONU et d’autres acteurs. Le nombre de nouveau-nés, de femmes enceintes et de nouvelles mères qui meurent est choquant. Par ailleurs, un grand nombre de ces décès seraient évitables, mais presque tout s’est effondré. »

De janvier à août, dans le Sud-Darfour, 46 décès maternels ont été enregistrés dans les hôpitaux universitaires de Nyala et Kas Rural, où les équipes de MSF fournissent des soins obstétriques et d’autres services. La rareté des installations de santé fonctionnelles et le coût inabordable des transports font en sorte que de nombreuses femmes arrivent à l’hôpital dans un état critique. Environ 78 % de ces 46 décès sont survenus dans les 24 heures suivant leur admission dans un centre de santé.

La septicémie est la cause la plus fréquente de décès maternel dans toutes les installations que soutient MSF dans le Sud-Darfour. Le manque d’installations sanitaires fonctionnelles oblige les femmes à accoucher dans des environnements insalubres où les articles de base tels que du savon, des tapis d’accouchement propres et des instruments stérilisés font cruellement défaut. Sans ces articles de base, les femmes contractent des infections. Et comme il y a peu d’approvisionnement en antibiotiques, elles peuvent arriver à l’hôpital et n’avoir accès à aucune possibilité de traitement.

« Une femme enceinte originaire d’une zone rurale a attendu deux jours pour réunir l’argent nécessaire à ses soins médicaux », raconte Maria Fix, responsable de l’équipe médicale de MSF dans le Sud-Darfour. « Lorsqu’elle s’est rendue dans un centre de santé, il n’y avait pas de médicaments, alors elle est rentrée chez elle. Trois jours plus tard, son état s’est détérioré, mais elle a de nouveau dû attendre cinq heures pour être transportée. Elle était déjà dans le coma lorsqu’elle est arrivée chez nous », explique Maria Fix. « Elle est morte d’une infection qui aurait pu être évitée. »

La crise au Sud-Darfour s’étend également aux enfants. Des milliers d’entre eux sont au bord de la famine et de la mort, tandis que d’autres meurent de conditions qui auraient pu être évitées. De janvier à juin 2024, 48 nouveau-nés sont morts de septicémie à l’hôpital universitaire de Nyala et à l’hôpital rural de Kas. Cela signifie qu’un nouveau-né sur cinq atteint de septicémie n’a pas survécu.

En août, 30 000 enfants de moins de deux ans ont fait l’objet d’un dépistage de la malnutrition dans le Sud-Darfour. Parmi eux, 32,5 % souffraient de dénutrition sévère, ce qui est bien au-delà du seuil d’urgence de 15 % fixé par l’Organisation mondiale de la Santé. En outre, 8,1 % des enfants examinés souffraient de dénutrition aiguë sévère.

Avant la guerre, Nyala, la capitale du Sud-Darfour, était une plaque tournante pour les organisations humanitaires. Mais depuis que le conflit a éclaté, la plupart des organisations ne sont pas revenues. Les Nations Unies n’ont toujours pas de personnel recruté à l’international dans la ville où MSF reste l’une des seules organisations internationales présentes. Entre janvier et août, les équipes de MSF au Sud-Darfour ont assuré 12 600 consultations prénatales et postnatales et assisté 4 330 accouchements normaux et avec complications.

Une membre du personnel de MSF prodigue des soins à Anhar Hassan Mohammed Omar, 29 ans, qui vit dans le quartier de Jir South, à Nyala.

« Pour beaucoup de mères et d’enfants, il est déjà trop tard. Les risques doivent être mieux gérés et des solutions doivent être trouvées avant que d’autres vies ne soient perdues. »

Dr Gillian Burkhardt, responsable des activités de santé sexuelle et reproductive de MSF au Sud-Darfour

Comme l’explique le Dr Burkhardt, qui a travaillé dans le Nord-Darfour avant son affectation dans le Sud-Darfour, des crises interdépendantes se conjuguent dans tout le Soudan, entraînant d’immenses souffrances, avec peu d’aide disponible.

« La disparité entre les énormes besoins en matière de soins de santé, de nourriture et de services de base, et l’absence constante de réponse internationale est scandaleuse », déclare-t-il. « Nous appelons les bailleurs de fonds, les Nations Unies et les organisations internationales à augmenter d’urgence le financement des programmes de santé maternelle et de nutrition, ainsi qu’à les développer et à les approvisionner. »

« Nous savons que le Soudan est un endroit où il est difficile de travailler, mais attendre que les défis disparaissent d’eux-mêmes ne mène nulle part », déclare le Dr Burkhardt. « Pour de nombreuses mères et de nombreux enfants, il est déjà trop tard. Les risques doivent être mieux gérés et des solutions doivent être trouvées avant que d’autres vies ne soient perdues. »

Les conflits en cours sont également à l’origine de la crise sanitaire maternelle et infantile, car les personnes sont déplacées et soumises à la violence. Les pénuries d’approvisionnement sont aggravées par les parties belligérantes qui, avec les groupes armés qui leur sont affiliés, continuent de bloquer ou de restreindre l’accès à l’assistance essentielle.

La crise risque d’enfermer les familles dans des cycles prolongés de malnutrition, de maladie et de détérioration de la santé qui touchent plusieurs générations.

Une mère ayant pris en charge des enfants décrit comment la mortalité maternelle et la malnutrition sont intimement liées au sein de sa famille.

« La mère des jumeaux est morte d’une hémorragie grave, laissant derrière elle huit autres enfants. Mon mari et moi essayons de nous occuper d’eux… mais nous ne gagnons pas assez pour les nourrir. Nous sommes maintenant 13 dans la maison. Nous nous débattons, nous mangeons de la bouillie et de la sauce avec un peu de sel, peu ou pas d’huile, et des feuilles vertes. »