Une foule attend à la clinique de MSF dans le camp de Zamzam, à 15 kilomètres d’El Fasher, au Darfour-Nord. Soudan, 2024. © MSF
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Soudan : « Les échos du Darfour »

Un an et demi après le début du conflit au Soudan, les réfugiés continuent de fuir vers l’est du Tchad en quête de sécurité, où ils arrivent dans des camps dans des conditions désastreuses. L’accès à l’eau potable, aux installations sanitaires et aux soins de santé est limité. Nous avons rencontré Aziz, Youssef, Salwa et Amina pour entendre leurs histoires de fuite de la région du Darfour au Soudan et de survie dans l’est du Tchad.

Aziz Adam, déplacé du Darfour-Occidental

Ma famille est incomplète ici. Ma mère, mon père, sept de mes frères et sœurs – nous sommes neuf au total. Mais la guerre nous a séparés. Certaines personnes de ma famille ont réussi à quitter le Darfour-Occidental, mais les autres ne nous ont pas encore rejoints.  

Nous avons fui dans un état de panique, la guerre nous terrifiant. Nous n’avons pas eu le temps d’emporter quoi que ce soit, et certains d’entre nous sont même arrivés pieds nus.  

Nous avons parcouru 20 kilomètres pour arriver jusqu’ici, à pied. En chemin, nous avons rencontré des Forces de soutien rapide qui nous ont lancé des menaces. Certains des jeunes hommes qui voyageaient avec nous ont été accusés d’appartenir à la tribu Masalit. Ils ont été arrêtés et tués. Nous pensions que nous allions mourir aussi. Je ne pouvais pas imaginer que nous allions survivre. 

Les souvenirs de cette fuite restent gravés dans ma mémoire. Quand je pense aux tragédies, à la douleur que nous avons laissée derrière nous, il est hors de question que je revienne en arrière. 

Mais j’entends certaines personnes dire qu’elles préféreraient retourner au Soudan en guerre plutôt que d’endurer l’enfer que nous vivons dans le camp. 

Je suis arrivé ici en juillet de l’année dernière, cela fait donc presque un an, et j’ai maintenant 24 ans. Notre situation est tragique. Nous avons quitté une situation difficile pour nous retrouver dans une situation encore pire.  

Nous manquons des produits de base nécessaires à la vie : l’eau potable et la nourriture. Cela fait quatre ou cinq mois que nous n’avons pas reçu d’assistance alimentaire dans le camp de Sida.

Aujourd’hui, ma famille et moi sommes désespérés. Nous avons besoin d’éducation, de soins de santé, et d’un avenir meilleur. Mais la réalité dans laquelle nous vivons est sombre. Je me sens coincé, pris entre le Soudan, où l’avenir est incertain, et le Tchad, où je n’ai pas ma place.

Youssef Mohamed, déplacé du Darfour du Nord

Je pense constamment, ce qui m’empêche de dormir. Ma famille est loin, la guerre continue et chaque jour apporte son lot de décès. J’ai une femme et deux enfants, un garçon et une fille, mais ils sont tous à Kabkabiya, à environ 156 kilomètres à l’ouest d’El Fasher. 

Youssef Mohamed, déplacé du Darfour du Nord. Soudan, 2024 © Hareth Mohammed/MSF

Je suis ici depuis environ huit mois. Je suis originaire du Darfour du Nord et j’ai 57 ans aujourd’hui. Je suis venu ici à Iriba, dans l’est du Tchad, en provenance d’Adré, à la recherche d’un emploi, mais malheureusement, je n’ai pas pu trouver de travail. J’ai laissé ma famille derrière moi pour cela, c’est donc difficile. Ma femme, mes frères et mes sœurs sont dispersés dans différents endroits. Mes enfants ne sont plus scolarisés depuis près d’un an. Ils n’ont pas étudié depuis juin dernier. La guerre a tout détruit. 

Je vis avec le diabète depuis 12 ans. Avant la guerre, j’allais à Khartoum pour me faire soigner. J’étais à Khartoum quand la guerre a éclaté. J’y ai passé un mois, puis j’ai déménagé dans l’État de Gezira pendant cinq mois avant de me rendre à El Fasher. En chemin, j’ai dû faire face au harcèlement, aux coups, aux menaces et aux humiliations des forces armées. 

En tant que diabétique, j’ai besoin de soins médicaux réguliers, y compris des examens des yeux, du foie et des reins tous les trois mois. Mais depuis mon arrivée ici, je n’ai trouvé aucun de ces services. Le traitement du diabète est soit trop cher, soit indisponible au Tchad. J’ai également besoin d’un régime alimentaire spécifique, mais ici, les légumes et les fruits sont difficiles à trouver. 

Avant la guerre, j’avais mon propre bureau au marché et j’étais directeur d’une école. Je cultivais des haricots, du sésame et du maïs, mais la guerre a tout bouleversé. 

L’éducation de mes enfants est la chose la plus importante pour moi aujourd’hui, mais ils sont toujours à Kabkabiya et je ne connais pas leur sort. Il y a parfois des frappes aériennes, et je crains qu’ils ne soient touchés parce que la région est en guerre. 

Ma mère, mon frère et mes sœurs vivent à Shaqra, mais même là, aucun endroit au Soudan n’est à l’abri des obus. Tout ce que j’ai emporté avec moi, c’est quelques photos de mes enfants et de ma famille ainsi que du matériel pédagogique sur des clés USB. 

J’espère retourner au Soudan. Je veux que mes enfants aillent à l’école, que la vie de ma famille soit stable et que le Soudan soit mieux qu’avant.

Salwa Saleh, déplacée du Darfour du Sud

Nous vivions en ville, mais nous avons été toutes et tous déplacés de nos villes. Il est difficile d’accepter de vivre dans un camp. Et même certaines personnes de ma famille sont encore au Soudan. Elles disent toujours qu’elles ne partiront pas du Soudan, car c’est  leur pays. Tout le monde espère que la guerre se terminera bientôt, tout le monde veut retourner au pays. 

Salwa Saleh, déplacée du Darfour du Sud. Soudan, 2024 © Hareth Mohammed/MSF

La guerre nous a pris par surprise. Il a fallu partir à la hâte, sans même avoir le temps de prendre ses affaires importantes ou ses souvenirs. J’ai laissé derrière moi tant de belles choses à Nyala. Mes enfants ont perdu leur père, ils sont maintenant orphelins. Pour venir ici, nous avons dû aller de Nyala à Tina, ce qui prend généralement deux jours. Mais il nous en a fallu quatre. Nous avons traversé des zones de combats entre les Forces de soutien rapide et les Forces armées soudanaises (SAF). C’était terrifiant et épuisant. 

Je suis dans ce camp depuis un an et deux mois. Vivre ici, c’est comme vivre dans une maison sans murs ni clôture. Nous souffrons toujours d’un manque de nourriture, d’eau potable, d’une éducation correcte, d’hôpitaux et de soins médicaux. 

Avant la guerre, nous allions travailler et nous rentrions à la maison pour retrouver nos enfants. Nous pouvions facilement répondre à nos besoins. Mais depuis le début de la guerre, la vie est devenue beaucoup plus difficile. J’espère qu’un jour la vie reviendra à la normale, que nous retrouverons la sécurité et la stabilité. Quand nos enfants pourront retourner à l’école. 

J’espère un avenir meilleur pour mes enfants. Lorsque la guerre au Soudan prendra fin, je rêve d’avoir la possibilité de voyager, de terminer mes études, d’apprendre de nouvelles langues et de trouver un emploi. Je veux pouvoir subvenir aux besoins de mes enfants et soutenir ma famille. 

Amina Suleiman, déplacée du Darfour-Central

La guerre a commencé à Zalingei, d’où je viens, le 15 avril 2023, le même jour qu’à Khartoum. Nous espérions qu’elle se terminerait, mais ce n’était pas le cas. Ce dont j’ai été témoin à Zalingei et pendant notre déplacement ne me quittera jamais. Les souvenirs sont gravés dans ma mémoire et ils hantent également nos enfants. Ils jouent avec des bâtons, faisant semblant d’avoir des armes. Les enfants vivent avec les traumatismes de la guerre. 

Amina Suleiman, déplacée du Darfour-Central. Soudan, 2024 © Hareth Mohammed/MSF

Au Soudan, nous nous cachions sous les lits pour nous protéger des bombardements. Ces souvenirs sont douloureux, mais ici, nous faisons face à des difficultés encore plus grandes. J’ai 24 ans aujourd’hui et je ne sais pas si j’ai un avenir. Les enfants ici, dont certains ont deux ou trois ans, méritent mieux. 

Je vis dans ce camp depuis un an et un mois, depuis le 4 août 2023. La vie ici est difficile. Nous n’avons reçu une assistance financière que cinq fois depuis notre arrivée. La nourriture et l’eau sont rares. Nous en recevons normalement tous les deux jours, mais parfois c’est après quatre jours d’attente. 

Il n’y a pas d’emploi ici, même pour les personnes parmi nous qui ont fait des études. Notre situation est critique. Nous sommes également aux prises avec une crise sanitaire. Il n’y a aucun centre de santé dans le camp. Nous n’avons pas de spécialistes des maladies cardiaques ou oculaires, et beaucoup souffrent, y compris les femmes qui ont besoin de soins obstétriques. Dans notre précédent camp, le centre de santé n’avait pas de médicaments. 

Nous avons besoin d’un soutien psychologique. Beaucoup d’entre nous ont perdu des membres de leur famille à cause de la guerre. Des personnes sont portées disparues, dispersées à travers le Soudan ou toujours au Darfour. La guerre a provoqué des déchirures, nous séparant de nos proches. Tout le monde, ici dans le camp, a perdu quelqu’un. 

Si j’avais le choix, je préférerais retourner au Soudan, quitte à y mourir. Ce serait mieux que de mourir dans ce camp.