Nora Zergi, anesthésiste, prépare un patient pour une opération d'extraction de balle. Soudan, 2023. © MSF/Ala Kheir
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Le Soudan est confronté à une situation catastrophique; MSF appelle à une intensification urgente de la réponse humanitaire

Après un an de guerre, l’assistance fournie à des millions de personnes est une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Les blocages politiques imposés par les parties belligérantes et le manque d’action des Nations Unies et des organisations humanitaires internationales compromettent l’accès à l’assistance humanitaire essentielle.

Un an après le début de la guerre entre les Forces armées soudanaises (SAF) dirigées par le gouvernement et les Forces de soutien rapide (RSF) paramilitaires, le Soudan reste pris dans l’une des pires crises mondiales depuis des décennies. Pour des millions de personnes, l’accès sûr et de toute urgence à une assistance humanitaire est une question de vie ou de mort. Les gouvernements et les responsables, les organismes d’aide, les donateurs et les donatrices se rencontrent le 15 avril à Paris [1] pour discuter des moyens d’améliorer l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans ce contexte, Médecins Sans Frontières (MSF) lance un appel urgent pour que ces intervenants intensifient immédiatement l’assistance humanitaire.

Des millions de personnes sont en danger, mais le monde ferme les yeux, alors que les parties belligérantes bloquent intentionnellement l’accès humanitaire et l’acheminement de l’assistance. Les Nations Unies et les États membres doivent redoubler d’efforts pour négocier un accès sûr et sans entrave et pour intensifier l’esprit humanitaire afin d’empêcher que cette situation déjà désespérée ne se détériore davantage.

« Les communautés du Soudan souffrent énormément de la persistance des combats violents – bombardements, tirs d’obus et opérations terrestres dans les zones urbaines résidentielles et dans les villages. Elles souffrent aussi du fait que le système de santé et les services de base se sont en grande partie effondrés ou ont été endommagés par les parties belligérantes. Seuls 20 à 30 % des centres de santé sont encore fonctionnels au Soudan, ce qui signifie que l’accès aux soins de santé est extrêmement limité dans tout le pays », explique Jean Stowell, directrice de MSF au Soudan.

Vue aérienne des combats et de la violence qui ont éclaté à Khartoum. Soudan, 2023. © MSF/Atsuhiko Ochiai

Dans les zones proches des hostilités, les équipes de MSF ont soigné des femmes, des hommes et des enfants directement blessés par les combats, entre autres par des éclats d’obus, des explosions et des blessures par balle, ainsi que par des balles perdues. Depuis avril 2023, les établissements soutenus par MSF ont reçu plus de 22 800 cas de lésions traumatiques et réalisé plus de 4 600 interventions chirurgicales, dont beaucoup sont liées aux violences survenues à Khartoum et au Darfour. À Wad Madani, une ville entourée de trois lignes de front actives, nous voyons actuellement 200 personnes par mois souffrant de blessures liées à la violence.

Selon les Nations Unies, plus de huit millions de personnes ont déjà été contraintes de fuir leur domicile et ont été déplacées à de multiples reprises. On estime que 25 millions de personnes – soit la moitié de la population du pays – ont besoin d’une aide humanitaire.

« Chaque jour, nous voyons des gens mourir des suites de blessures liées à la violence, des enfants qui périssent à cause de la malnutrition et du manque de vaccins, des femmes souffrant de complications à la suite d’accouchements non médicalisés, des femmes touchées par des violences sexuelles et des personnes souffrant de maladies chroniques qui n’ont pas accès à leurs médicaments. Malgré tout cela, il existe un vide humanitaire extrêmement inquiétant. »

Jean Stowell, directrice de projet pour MSF dans le Soudan

Bien que MSF travaille en collaboration avec le ministère de la Santé, le gouvernement du Soudan a constamment et délibérément entravé l’accès à l’assistance humanitaire, en particulier dans les zones qui échappent à son contrôle. Ainsi, il a systématiquement refusé les autorisations de voyage du personnel et des approvisionnements humanitaires pour traverser les lignes de front, limité l’utilisation des postes-frontières et mis en place un processus très restrictif pour l’obtention de visas humanitaires.

« Aujourd’hui, notre plus grand défi est la pénurie de fournitures médicales. Nous n’avons plus de matériel chirurgical et nous sommes sur le point d’arrêter tout travail si les approvisionnements n’arrivent pas », explique Ibrahim*, un médecin de MSF travaillant à Khartoum, une ville soumise à un blocus depuis six mois. La ville de Wad Madani connaît une situation similaire depuis janvier.

Dans les zones contrôlées par les RSF, où opèrent aussi de nombreuses milices et groupes armés, les établissements de santé et les entrepôts ont été fréquemment pillés au cours des premiers mois du conflit. Des incidents tels que des détournements de voitures se poursuivent régulièrement et des membres du personnel de santé, en particulier du ministère de la Santé, ont été harcelés et arrêtés.

Dans les régions difficiles d’accès comme le Darfour, Khartoum ou Al Jazirah, MSF se retrouve souvent la seule ou l’une des rares organisations humanitaires internationales présentes, alors que les besoins dépassent de loin notre capacité de réponse. Même dans les régions plus accessibles comme les États du Nil Blanc, du Nil Bleu, de Kassala et de Gedaref, la réponse globale est négligeable : une goutte d’eau dans l’océan.

Un exemple est la crise de malnutrition catastrophique dans le camp de Zamzam au Nord-Darfour, alors que le Programme alimentaire mondial n’a pas distribué de nourriture depuis mai 2023. Près d’un quart (23 %) des enfants que nous avons examinés là-bas, lors d’une évaluation rapide en janvier, souffraient de malnutrition aiguë – 7 % étaient des cas graves. Par ailleurs, 40 % des femmes enceintes et allaitantes souffraient de malnutrition, et le taux de mortalité dévastateur dans l’ensemble du camp était de 2,5 décès pour 10 000 personnes par jour.

Des personnes déplacées du Soudan en raison du conflit vont chercher de l’eau au centre de transit de la ville de Renk, dans l’État du Nil Supérieur, au Soudan du Sud. Dans cette ville, des milliers de personnes attendent, désespérées. Elles luttent pour survivre avec des produits de première nécessité très limités tels que des abris, de l’eau, des installations sanitaires et de la nourriture. Soudan du Sud, 2023. © Nasir Ghafoor/MSF

« La situation au Soudan était déjà très fragile avant la guerre et elle est maintenant devenue catastrophique », explique Ozan Agbas, responsable des opérations d’urgence de MSF pour le Soudan. « Dans de nombreuses zones où MSF a lancé des activités d’urgence, nous n’avons pas vu revenir les organisations humanitaires internationales qui ont évacué en avril ».

Khadija Mohammad Abakkar, qui a dû fuir sa maison de Zalingei, au Darfour central, pour se mettre à l’abri, raconte combien il était difficile de survivre sans aide humanitaire : « Pendant les combats, il n’y avait pas d’accès aux soins de santé ou à la nourriture dans le camp. J’ai vendu mes biens pour gagner un peu d’argent pour la nourriture. »

Bien qu’il s’agisse de conditions difficiles, la réponse aurait dû augmenter, et non diminuer, en particulier dans les zones où l’accès est possible. Il est urgent que l’ensemble des intervenants et des organisations humanitaires redoublent d’efforts pour trouver des solutions à ces problèmes et intensifier les activités dans tout le pays.

« Les Nations Unies et leurs partenaires ont persisté à s’imposer des restrictions d’accès à ces régions et, par conséquent, ils ne se sont même pas positionnés pour intervenir ou établir des équipes sur le terrain lorsque des occasions se présentent », poursuit Khadija Mohammad Agbas.

MSF appelle les parties belligérantes à respecter le droit humanitaire international et les résolutions humanitaires de la déclaration de Jeddah [2]. Elles doivent mettre en place des mécanismes de protection des personnes civiles et garantir un accès humanitaire sûr à toutes les régions du Soudan sans exception – y compris en mettant fin aux blocages. MSF appelle aussi les Nations Unies à faire preuve de plus de volonté face à cette énorme crise et à se concentrer sur des résultats clairs liés à l’amélioration de l’accès, afin de contribuer activement à une augmentation rapide et massive de l’aide humanitaire. MSF demande également aux donateurs et aux donatrices d’accroître le financement de la réponse humanitaire au Soudan.

*Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.


[1] Conférence humanitaire internationale pour le Soudan et ses voisins prévue à Paris le 15 avril : https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/news-stories/news/eu-france-and-germany-announce-international-humanitarian-conference-support-sudan-2024-03-15_en

[2] https://www.state.gov/jeddah-declaration-of-commitment-to-protect-the-civilians-of-sudan/