Camp de Fadasi Wad Madani, État d’Al Jazirah. Soudan, 2024. © Fais Abubakr
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Soudan : les besoins humanitaires ne cessent de croître pour les personnes nouvellement déplacées qui ont fui la violence à Wad Madani 

Le 15 décembre, les Forces de soutien rapide (FSR) ont lancé une attaque sur Wad Madani, au Soudan. Dans les jours qui ont suivi, elles ont pris le contrôle de plusieurs autres villes et zones de l’État d’Al Jazirah. Depuis lors, plus d’un demi-million de personnes ont fui les combats et l’insécurité qui en découle. Parmi elles, environ 234 000 [1] sont des personnes déplacées à l’intérieur du pays qui avaient auparavant cherché refuge à Wad Madani, lors de l’intensification des violences à Khartoum.

Le chaos consécutif à l’évolution de la dynamique du conflit, l’insécurité grave et la violence généralisée ont créé à Wad Madani un environnement qui a compromis les opérations de Médecins Sans Frontières (MSF). Le 19 décembre dernier, MSF a dû y suspendre toutes ses activités et évacuer son personnel, laissant derrière elle une communauté de plus en plus privée de services médicaux de base. Nous avons également dû évacuer notre personnel de Damazine, Um Rakuba, dans l’État de Gedaref, et Doka, et réduire nos activités à Damazine.

MSF est présente à Wad Madani depuis mai 2023. Les conditions y étaient déjà désastreuses pour le demi-million de personnes déplacées qui y vivaient, et qui représentaient 8 % de toutes les personnes déplacées au Soudan. Avec plus de 6 millions de personnes forcées de quitter leur foyer dans le pays, il s’agit de la plus grande crise de déplacement interne au monde. Ces personnes déplacées s’ajoutent par ailleurs à plus de 1,4 million [2] d’individus ayant fui au-delà des frontières. Entre mai et novembre, les équipes de MSF ont effectué 18 390 consultations médicales (dont 40 % pour des enfants de moins de 15 ans) dans plusieurs des centaines de sites accueillant des personnes déplacées à travers l’État. Certains de ces sites sont installés dans des écoles ou encore dans d’anciens bâtiments publics. 

Al Bakri Al Taher Malik a été déplacé et blessé à deux reprises par les combats au Soudan. « Je vivais à Al Engaz, au sud de Khartoum , » raconte Al Bakri Al Taher Malik . « Il y a environ six mois, j’ai été blessé juste devant ma maison. J’ai été soigné dans un hôpital du sud de Khartoum et la balle a été retirée. J’ai ensuite été touché par des fragments après que l’hôpital a été bombardé par des avions. Je n’ai pas été blessé une fois, mais deux fois de suite. La guerre n’a apporté que destruction et séparation des familles. Nous avons perdu notre maison et notre ville, Khartoum. »

« Grâce à ses cliniques mobiles, MSF a diagnostiqué et redirigé 66 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère avec de graves complications au cours des six derniers mois. Ces cas auraient pu être fatals s’ils n’avaient pas été traités en urgence dans un hôpital », explique Slaymen Ammar, coordonnatrice médicale de MSF pour le Soudan. « Mais les structures de santé étaient débordées. La population de la ville ayant augmenté de 30 %, il y avait de plus en plus de patients et de patientes, mais aussi des problèmes considérables d’approvisionnement et de personnel. Et comme les prix ont grimpé en flèche pour tous les biens, l’accès aux services d’urgence était un obstacle pour les personnes déplacées comme pour les résidentes et les résidents habituels. Aujourd’hui, avec le départ de la plupart des organisations internationales – et malgré les efforts des bénévoles de la santé locaux – on ne peut que supposer que la situation a empiré. »

Dans les États de Gedaref et de Kassala où MSF est opérationnelle depuis 2021 – en réponse à la crise du Tigré éthiopien – les équipes de MSF ont été témoins, au cours du dernier mois, de l’arrivée de milliers de personnes en provenance de Wad Madani [3]. Elles tentent actuellement d’évaluer et de répondre à l’escalade des besoins sanitaires et humanitaires. À Tanideba (Gedaref), MSF a lancé une intervention d’urgence à court terme pour les personnes réfugiées éthiopiennes et les citoyennes et citoyens du Soudan nouvellement déplacés. L’intervention couvrait les besoins en termes de soins de santé primaires, d’eau et d’assainissement et de rations alimentaires, et comprenait des distributions ponctuelles et des dons. Il est toutefois important de noter que les activités à Tanideba ont été temporairement réduites pendant une courte période en raison de l’escalade du conflit à Wad Madani.

Le conflit au Soudan a causé des souffrances incommensurables. Il a déplacé des millions de personnes, tué des milliers d’individus et en a blessé d’innombrables autres. Pour de nombreuses personnes déplacées, Gedaref et Kassala ne sont que les dernières étapes d’un long périple à la recherche de la sécurité. Au cours de ce voyage, ces gens ont subi des violences et ont enduré un manque de biens essentiels comme la nourriture, l’eau potable, l’assainissement et l’accès aux soins médicaux. 

« Nous sommes originaires du Darfour, mais en raison des violents affrontements et de la crise qui y sévit, nous sommes allés à Khartoum. Mais la guerre nous a rejoints à Khartoum, alors nous sommes allés à Wad Madani. Et l’histoire continue », explique Salem [4], un homme déplacé qui se trouvait à Wad Madani, et qui est arrivé avec sa famille dans un site de rassemblement dans la localité d’Al Mufaza, à Gedaref, il y a deux semaines. La famille de Salem a fui Khartoum il y a huit mois, après qu’un bombardement a touché leur maison et gravement blessé l’un de leurs enfants. 

« Nous étions six personnes dans la maison, et à l’époque ma femme était enceinte. Notre maison a été détruite. J’ai été touché au bras, mais mon enfant a été beaucoup plus gravement blessé à la tête. Nous avons réussi à l’emmener à l’hôpital, car il avait besoin d’une intervention chirurgicale urgente pour sauver sa vie. Mais dès qu’il a reçu son congé, nous avons dû fuir la ville en raison de l’insécurité. Nous sommes arrivés dans le camp de déplacés internes de Wad Madani, et c’est là qu’elle a accouché », poursuit-il. 

À la mi-décembre, lui et sa famille ont de nouveau fui vers Gedaref : « Les affrontements ont commencé, et nous avons commencé à entendre des bruits d’incendie et ces hommes armés qui se battaient de nouveau. Nous avons immédiatement décidé de partir. J’ai commencé à réfléchir à l’endroit où nous devrions aller. Aucun endroit n’était sûr à ce moment-là. »

Dans une région où les soins de santé et les médicaments essentiels étaient déjà extrêmement limités, les communautés déplacées souffrent aujourd’hui d’une demande croissante en matière de santé, résultant des effets directs et indirects de la violence. Les besoins de base augmentent encore et nécessitent une réponse urgente. 

« Sur les sites de rassemblement de la ville de Kassala, les personnes déplacées ont dit à nos équipes qu’elles n’avaient reçu aucune assistance depuis leur arrivée entre la mi et la fin de décembre », explique Pauline Lenglart, responsable du projet d’urgence de MSF au Soudan.

« Les familles dorment à même le sol, l’accès aux soins est toujours très limité, il y a peu de structures médicales en état de fonctionnement et les médicaments ne sont pas fournis gratuitement. De nombreuses personnes nous ont dit qu’elles n’avaient pas les moyens d’acheter de la nourriture et des médicaments, ce qui les oblige à choisir entre ces deux nécessités.

L’équipe de MSF évalue constamment les besoins dans les nouveaux sites qui s’ouvrent pour accueillir les personnes déplacées depuis peu. « Dans tous ces endroits, nous constatons que la quantité d’assistance humanitaire fournie est encore terriblement insuffisante pour répondre aux besoins essentiels des personnes et leur assurer des conditions de vie décentes. » 


[1] Matrice de suivi des déplacements (DTM) de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Alerte flash ciblée, 8 janvier 2024.

[2] Selon la matrice de suivi des déplacements (DTM) de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 15 janvier 2024.

[3] Selon l’ONU, 64 000 personnes déplacées sont arrivées à Gedaref et 30 000 à Kassala depuis le 15 décembre. 

[4] Le nom a été modifié pour protéger la vie privée.