Adré, Tchad oriental. Une infirmière prépare un vaccin contre la rougeole dans l’un des sept points de vaccination mis en place par MSF dans le camp de transit d’Adré. Notre équipe a vacciné des enfants, des adolescents et des adolescentes âgés de 6 mois à 14 ans, provenant à la fois du camp pour personnes réfugiées et des communautés d’accueil environnantes. Au Tchad, les épidémies de rougeole restent récurrentes.
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« Nous aussi, nous avons des rêves et des talents. »

Les enfants soudanais du camp de transit d’Adré ouvrent leur cœur

Médecins Sans Frontières (MSF) mène depuis un an une réponse d’urgence dans l’est du Tchad pour répondre aux besoins médicaux et humanitaires des personnes réfugiées qui ont fui le Soudan après que la guerre a éclaté. Selon les données de l’ONU, plus de 600 000 personnes réfugiées Soudanaises sont arrivées au Tchad depuis le début du conflit en avril 2023.

Dans le cadre de notre réponse à ce déplacement, nous fournissons un soutien pédiatrique dans nos cliniques du camp de transit d’Adré et du camp d’Aboutengué, offrant des services de santé essentiels pour les enfants. Depuis le début de l’année jusqu’en juillet, nous avons mené, dans ces cliniques, environ 43 709 consultations pédiatriques pour des enfants de moins de cinq ans.

Plus récemment, du 8 au 13 juillet, nous avons mené une campagne de vaccination contre la rougeole pour les enfants du camp de transit d’Adré. Pendant ces six jours, plus de 22 000 enfants, adolescentes et adolescents âgés de 6 mois à 14 ans ont reçu un vaccin. Nous avons établi sept points de vaccination et déployé des unités mobiles dans tout le camp pour atteindre le plus grand nombre d’enfants possible.

Dans les témoignages qui suivent, nous partageons les voix d’enfants soudanais, âgés de 7 à 12 ans, qui parlent de leur vie dans le camp : leurs talents, leurs passe-temps, leurs besoins en tant qu’enfants et leurs souhaits pour l’avenir.

Mushtaha

« Je m’ennuie de m’asseoir sur des chaises; nous n’en avons pas ici, nous nous asseyons toujours par terre. »

« J’ai quatre sœurs et un frère. Ma petite sœur est même née à l’hôpital d’Adré, il y a cinq mois. Nous vivons tous ensemble avec notre père et notre mère. Ma mère a une petite boutique devant notre abri où elle vend des bonbons. La vie était différente avant notre arrivée ici. Nous vivions à El Geneina, et maintenant nous sommes dans ces abris depuis neuf mois. La vie est dure dans le camp.

Ici, il n’y a pas d’électricité, donc pas de télévision… J’aimais regarder MBC3, une chaîne pour enfants. S’asseoir sur des chaises me manque; il n’y en a pas ici, nous nous asseyons toujours par terre.

Nous sommes au milieu du désert, il n’y a donc pas d’arbres sous lesquels jouer. Mes parents ont construit un abri avec un toit en métal pour dormir, et c’est là que nous restons et que nous jouons… Lorsque nous avons fui El Geneina, nous avons apporté quelques jouets avec nous : quelques poupées et le chat Talking Tom. Mais Tom, le jouet, ne parle plus parce qu’il n’a plus de piles.

À El Geneina, j’allais à l’école. Mais ici, il n’y a pas d’école. Pourquoi n’y a-t-il pas d’école ici? Je veux être médecin, et pourquoi pas, travailler un jour avec MSF. Mais comment faire, alors que je n’ai pas d’école?

Je me souviens que lorsque nous sommes arrivés ici, la première équipe humanitaire que nous avons vue était MSF : nous les appelons “Ataba” (mot arabe signifiant “médecins”). Lorsque mes frères et sœurs ou moi-même tombons malades, c’est là que nous allons. La dernière fois que je suis allée chez MSF, c’était pour me faire vacciner contre la rougeole. Contrairement à ma petite sœur, je n’ai pas pleuré lorsque j’ai reçu la piqûre. Cela ne m’a même pas fait mal. »

Zamzam

« Si c’était possible, je retournerais aujourd’hui dans ma ville. »

Zamzam (au centre, portant un foulard rose), 11 ans, entourée de ses trois cousins, de ses deux petits frères, de ses deux petites sœurs et de sa mère. Ils sont arrivés il y a plus d’un an, en provenance d’El-Geneina.

Zamzam est dans le camp de transit d’Adre depuis environ 15 mois, elle est originaire d’El Geneina, la capitale du Darfour-Occidental.

 « Les conditions de vie dans le camp sont difficiles. Nous n’avons pas de vêtements, pas de repas convenables, pas d’électricité et pas d’école. Nous sommes venus à pied du Soudan. Tout ce que nous avions nous a été enlevé pendant le voyage.

Je suis l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. J’aime être la grande sœur parce que je peux donner des instructions aux plus petits. Ce qui me manque le plus, c’est d’aller à l’école. J’étais une bonne élève, toujours parmi les trois premières de ma classe.

Ici, il n’y a rien de spécial à faire. Nous restons à la maison toute la journée, dans l’abri que ma mère a fabriqué ou dans notre petite cour, mais il n’y a pas d’ombre pour s’abriter. Je connais aussi “Ataba” (mot arabe signifiant “médecins”, en référence à Médecins Sans Frontières). Je suis allée à leur clinique une fois, lorsque j’étais malade, et j’ai aussi été vaccinée contre la rougeole récemment. La piqûre a été douloureuse pour moi, mais personne dans ma fratrie qui a été vaccinée n’a pleuré. Tout le monde a été très courageux.

À l’avenir, je veux devenir médecin pour soigner les gens. Si c’était possible, je retournerais à El Geneina tout de suite, même aujourd’hui si c’était possible, et je retournerais à l’école immédiatement. C’est mon pays, et s’il était sûr, je n’hésiterais pas une seconde. »

Rayan

« Je crée un jeu de thé avec la boue de la pluie. Voulez-vous une tasse de thé? »

Rayan (au centre avec un chapeau rose), 7 ans, entourée de ses cinq sœurs, de son père et de sa mère. Il y a environ un an, la famille a fui Ardamata, dans le Darfour-Occidental.

« La vie est agréable ici. Au moins ici, nous n’entendons pas de coups de feu. J’aime faire de la poterie, des petits pots, des tasses, des théières et des “mabakhar” (mot arabe désignant les encensoirs utilisés pour brûler des herbes odorantes afin de parfumer la pièce). Je fabrique tout avec de la boue que je trouve dans le camp après la pluie, et que je laisse sécher au soleil.

Je joue à la fête du thé avec d’autres enfants. Au Soudan, mon moment préféré à l’école était à la fin de la classe quand on nous donnait un service à thé en jouet. Mais comme je ne vais plus à l’école, j’en ai fabriqué un moi-même pour pouvoir continuer à jouer.

Je connais très bien MSF. J’y suis allée une fois quand j’étais malade, et une fois encore quand j’ai été vaccinée contre la rougeole. Plus tard, je veux aussi devenir médecin. La raison principale est de prendre soin de mon père, qui a été amputé d’une jambe à cause du diabète. Cela s’est passé au Soudan. Depuis qu’il est à Adré, il est allé plusieurs fois dans les cliniques de MSF pour faire changer son bandage. Maintenant, il va bien. Mais ma mère est maintenant la seule à pouvoir travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Elle accepte toutes les tâches, du nettoyage des vêtements au ramassage des briques.

Ma mère est d’abord venue ici avec mes cinq sœurs et moi pour nous installer dans le camp, puis elle est retournée à Ardamata pour trouver mon père et l’amener ici sur une charrette. Lorsque les gens me demandent si j’aimerais rentrer chez moi, je réponds “Non”. Je suis bien ici. »

Ouman

« J’adore cuisiner. Si j’avais de la farine, je pourrais faire des pâtisseries. Vous connaissez les beignets frits? »

« La vie dans le camp n’est pas rose. Je suis arrivée ici il y a cinq mois, en provenance d’El Geneina. Je suis l’avant-dernière d’une fratrie de neuf enfants, trois garçons et six filles. Notre abri est trop petit et nous n’avons pas encore de bâche plastique. C’est compliqué quand il pleut. Nous n’avons pas assez de nourriture, ni de couvertures ou de nattes sur le sol.

La femme de mon frère a accouché sous l’abri, il y a un mois. Elle n’a trouvé aucune structure de santé pour s’occuper d’elle. Elle a été malade pendant un certain temps, mais finalement, MSF l’a aidée, et maintenant elle va mieux.

Je vais souvent au marché local du camp pour acheter de la nourriture et aider à cuisiner, généralement du riz et de la sauce tomate. Mais j’aimerais avoir plus de farine pour pouvoir préparer des pâtisseries comme des beignets frits.

À El Geneina, nous nous sentions à l’aise, mais pas ici. Ici, il n’y a pas d’école ni d’électricité. Avant, il y avait une école religieuse dans notre quartier, mais ce n’est plus le cas. Si j’avais le choix, je retournerais immédiatement au Soudan.

À l’avenir, j’aimerais devenir “responsable volontaire” dans le camp parce que je veux améliorer la situation des personnes déplacées, en veillant à ce que l’assistance soit distribuée de manière équitable à tout le monde. Si je pouvais changer quelque chose, je construirais une école ici.

Dans le camp, je joue généralement avec mes amies. Nous construisons des petites maisons ou des animaux, comme des chevaux ou des ânes, avec de la boue. Nous aimons jouer avec ces figurines, mais la plupart d’entre elles sont tombées en morceaux lors de la dernière pluie. Parfois, nous mettons une corde dans un arbre pour faire une balançoire et nous y jouons toute la journée. Deux bonnes amies à moi ont leur abri non loin du nôtre. Je les ai connues à El Geneina; nous étions dans la même classe. Maintenant, nous vivons dans le même pâté de maisons dans ce camp de transit pour personnes réfugiées. »

Mazim

« C’est comme ça qu’on joue tout le temps : Madrid contre Barcelone. »

« Je suis originaire d’El Geneina. Je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants, avec deux sœurs et trois frères. Je suis ici depuis plus d’un an et je partage l’abri avec deux de mes cousins. Ma tante, la sœur de ma mère, est retournée au Soudan il y a quelques semaines pour essayer de retrouver son mari, disparu depuis des mois.

La vie ici est agréable. Mes journées se résument à jouer au football, à prier et à rejouer au football. Quand je joue au football, j’occupe toujours le même poste : celui d’arrière latéral. Mon équipe préférée est le Real Madrid. Regardez, j’ai leur logo sur mon pantalon de survêtement. Et mon joueur préféré reste Cristiano Ronaldo, même s’il ne joue plus.

Mon frère, qui appuie Barcelone, porte tout le temps leur maillot. C’est comme ça que nous jouons tout le temps : Madrid contre Barcelone.

Au début, nous avions un ballon, mais il s’est usé avec le temps. Alors, nous avons bourré une chaussette de plastique et nous jouons avec ça maintenant.

Il y a un terrain de football près du camp, c’est là que nous jouons, toujours les mêmes 24 enfants, assez pour former deux équipes. J’ai rencontré certains d’entre eux dans le camp, mais j’en connaissais déjà d’autres d’El-Geneina.

Souvent, les voisins qui ont fui sont en contact pendant le voyage depuis le Soudan. Alors, les gens qui arrivent en premier attendent à la frontière pour accueillir les personnes nouvellement arrivées et les emmener dans leur quartier pour qu’elles puissent s’y installer. De cette manière, nous recréons notre ancien quartier dans le camp et restons entourés de ceux et celles que nous connaissons.

Parfois, je fais aussi le tour du camp pour ramasser du bois pour que ma mère puisse cuisiner. Je dois aussi travailler pour soutenir ma famille. Je suis cordonnier à temps partiel. Je vais au marché plusieurs fois par semaine pour cirer les chaussures et en réparer d’autres, car j’ai appris à coudre. La nourriture donnée par les organisations humanitaires n’est pas suffisante, alors j’achète un peu de légumes et même de la viande qui n’est pas fournie par l’assistance.

Plus tard, j’aimerais être médecin, pour aider et soigner les gens – “tous les gens”. Je connais MSF, car ils gèrent une clinique pédiatrique non loin de la frontière. J’y suis allée une fois, avec la mère de mon ami qui y était. »