Une équipe de MSF décharge du matériel pour installer une clinique mobile. Tchad, 2024. © MSF/Giuseppe La Rosa
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Tchad : les personnes ayant fui les violences au Soudan continuent d’attendre une assistance humanitaire

Depuis le début de la guerre au Soudan, 1,6 million de personnes ont fui les violences et se sont réfugiées dans un pays voisin[1]. Parmi ces personnes, 610 000[2] ont traversé la frontière vers le Tchad. Près d’un an après, presque 92 000 d’entre elles[3], la plupart retournées tchadiennes[4], continuent à survivre dans des conditions très précaires dans la région de Sila, dans l’est du Tchad. Or, les maigres ressources existantes ne suffisaient déjà pas à répondre aux besoins de la communauté d’accueil. À Daguéssa et Goz-Aschiye seulement, environ 50 000 personnes se sont installées spontanément, leurs besoins non satisfaits continuant d’augmenter en raison de la réponse humanitaire globalement limitée et du manque de financement, malgré les efforts de Médecins Sans Frontières (MSF) et d’autres organisations.

Alimè est une réfugiée soudanaise qui a fui pendant la nuit avec sa fille et a trouvé refuge à Daguéssa, au Tchad. « Au Soudan, j’ai vu des choses horribles. J’ai vu des gens tués et blessés devant mes yeux. Et après, sur la route pour le Tchad, j’ai vu les gens en fuite se faire dépouiller du peu de choses qu’ils avaient  », témoigne Alimè. Comme la plupart des gens à Daguéssa, le peu d’aide qu’elle reçoit pour vivre est loin d’être suffisant. Beaucoup de Tchadiennes et de Tchadiens ayant fui le Soudan, même s’ils ont des liens ancestraux avec leur pays d’origine, n’y ont plus aucune attache. Comme les autres personnes réfugiées, ils sont arrivés au Tchad à la recherche de protection et d’assistance.

« Je suis seule ici. Mon mari est resté au Soudan. Je suis venue à la clinique MSF parce que mon fils est malade », explique Awa, qui a également cherché refuge au Tchad. Diagnostiqué avec un paludisme et une diarrhée sévères, son bébé a été hospitalisé au centre de santé de Daguéssa où les équipes de MSF stabilisent les patients et les patientes dans un état critique. « Dans le camp, nous venons tous d’endroits différents, il n’y a pas de relation entre nous qui me permettrait d’avoir de l’aide de qui que ce soit. Je n’ai pas de carte pour recevoir des rations alimentaires. Nous récoltons de la paille dans la brousse et nous la vendons aux gens qui habitent ici pour avoir quelque chose à manger ».

Dans le village de Goz-Aschiye, les gens partagent leurs maigres ressources avec ceux qui viennent d’arriver, mais la nourriture manque cruellement. Les distributions de nourriture sont rares dans cette zone et ne suffisent pas à couvrir les besoins de l’ensemble de la communauté, la majorité étant des Tchadiennes et des Tchadiens rentrés au pays depuis le début du conflit au Soudan. « Une femme m’a confié que ses enfants n’avaient rien mangé depuis quatre jours. Comment parler de santé et de prévention à quelqu’un qui meurt de faim?  », rapporte Goumsou Mahamat Abadida, promotrice de la santé de MSF dans le projet d’urgence de la région de Sila. En 2023, 1 563 enfants, tous de moins de cinq ans, ont été admis au programme nutritionnel de MSF, dont 500 pour malnutrition aiguë sévère (MAS) et 1 063 pour malnutrition aiguë modérée (MAM). La malnutrition aiguë affaiblit le système immunitaire et expose ces communautés à de graves épidémies. « Notre intervention vise à garantir un minimum de services de santé dans le camp de Goz-Aschiye, mais elle ne peut pas pallier les énormes besoins humanitaires que l’on voit dans ce camp », ajoute Goumsou Mahamat Abadida.

Depuis mai 2023, les équipes de MSF gèrent, trois jours par semaine, une clinique mobile et une tente de stabilisation d’une capacité de 10 lits dans le centre de santé de Daguéssa. Elles dirigent vers des centres médicaux plus spécialisés les gens qui souffrent de pathologies nécessitant des soins secondaires. MSF déploie également chaque semaine des cliniques mobiles sur les sites de Goz-Aschiye et Andressa, qui offrent en moyenne 300 et 200 consultations par semaine respectivement. Son personnel a diagnostiqué des infections respiratoires, des diarrhées, du paludisme, ainsi que de nombreux cas de malnutrition aiguë sévère chez les enfants de moins de cinq ans.

Afin d’améliorer les conditions d’hygiène et l’accès à l’eau, le personnel de MSF a aussi commencé à fournir de l’eau potable avec des camions-citernes et construit plusieurs forages. Néanmoins, l’accès à l’eau potable n’atteint toujours pas les normes minimums, de l’ordre de 15 à 20 litres par jour et par personne, alors que la plupart des gens à Daguéssa n’ont accès qu’à 6 litres. Associé aux conditions de vie précaires, cela augmente le risque d’émergence de maladies infectieuses.

« La réponse humanitaire dans cette région isolée reste encore inadéquate, en raison du manque de fonds et d’organismes présents sur place, ce qui ralentit l’assistance nécessaire aux communautés déplacées », explique Khatab Muhy, directeur de projet de MSF au Tchad. « Avant la crise soudanaise, les régions orientales du Tchad étaient déjà confrontées à une insécurité alimentaire chronique. L’afflux de nombreux individus réfugiés soudanais et de retournés tchadiens depuis l’année dernière, ainsi que les besoins croissants qui en résultent, mettent à rude épreuve les ressources très limitées et les infrastructures sanitaires fragiles du pays. »


[1] Source : https://reliefweb.int/report/sudan/sudan-ten-months-conflict-key-facts-and-figures-15-february-2024

[2] Source :  Chad — Sudan crisis response: Flash update 28 (29 January 2024) | Displacement Tracking Matrix (iom.int) (29/01/2024). Les chiffres mentionnés correspondent au nombre de personnes réfugiées et retournées qui ont traversé la frontière du Soudan vers le Tchad.

[3] Source : OIM https://reliefweb.int/report/chad/iom-chad-sudan-crisis-response-situation-update-no-28-29-january-2024 (29/01/2024)

[4] Définition de « retournés » par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) : advocacy-note-east-for-2024-fr.pdf (iom.int) « Les retournés tchadiens sont des ressortissants tchadiens qui vivaient dans les régions occidentales du Soudan avant le déclenchement des violences en avril 2023. Nombre d’entre eux avaient une vie et des moyens de subsistance bien établis au Soudan, certains gérant de petites entreprises ou pratiquant une agriculture de subsistance. La flambée de violence au Darfour n’a laissé aux ménages d’autre choix que de prendre ce qu’ils pouvaient emporter et de fuir par la frontière avec le Tchad. »