Le Dr Christos Christou, président international de MSF, discute avec Nour Alsham Ahmed Askari, 28 ans, qui est à l'hôpital de MSF à Metche avec son enfant. Celui-ci souffre de malnutrition et a été transféré par MSF du camp d'Alacha à celui de Metche pour y être soigné. Nour vit dans le camp d'Alacha avec ses six enfants. Elle a fui El Geneina, au Soudan, et est arrivée au Tchad en juillet 2023. © ©️Linda Nyholm/MSF
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Déclaration du président de MSF International, à propos du Soudan : « On ne peut pas permettre que cela continue »

Dr Christos Christou
Président international MSF

« Le Soudan est l’une des pires crises que le monde ait connues depuis des décennies. Les souffrances sont extrêmes dans tout le pays, les besoins augmentent de jour en jour, mais la réponse humanitaire est profondément inadaptée. Au cours de l’année écoulée, nous avons répondu à de nombreux événements et à de multiples situations d’urgence impliquant un grand nombre de victimes. Nous avons pratiqué des interventions chirurgicales essentielles. Nous avons aussi aidé des femmes à accoucher – y compris par des césariennes d’urgence – et soigné des enfants dans nos services pédiatriques et nos centres d’alimentation thérapeutique pour patients hospitalisés, en essayant de leur sauver la vie. Dans les camps de personnes réfugiées et les lieux accueillant des personnes déplacées, nous avons amélioré les conditions d’approvisionnement en eau et d’assainissement, mis en place des cliniques mobiles et vacciné les enfants. Mais dans de nombreuses régions où nous travaillons, nous sommes la seule organisation humanitaire présente. Avant le début de la guerre, des dizaines d’organisations internationales intervenaient dans tout le pays. Aujourd’hui, il n’y en a presque plus. Pour une crise de cette ampleur, c’est insondable, inacceptable, et cela ne peut plus durer.

Il ne fait aucun doute que le Soudan est confronté à d’énormes défis, mais ils ne sont pas insurmontables. Il est possible d’y répondre. Nous le savons parce que nous y sommes. Le blocage systématique de l’acheminement de l’aide humanitaire, imposé par les Forces armées soudanaises depuis six mois, constitue un problème majeur. Cela signifie que nous ne pouvons pas envoyer de fournitures médicales ou de personnel au-delà de la ligne de front dans les zones contrôlées par les Forces de soutien rapide. Récemment, nous avons également observé des tentatives croissantes de bloquer les fournitures humanitaires et le personnel qui traversent les pays voisins pour entrer au Soudan. Nombre de nos établissements sont dangereusement à court de fournitures. À l’hôpital turc de Khartoum, par exemple, il ne nous reste plus que 20 % de notre inventaire. Nous sommes déjà à court d’artésunate, un médicament essentiel pour le traitement du paludisme. Le blocus constitue une obstruction délibérée à l’aide humanitaire et il a un impact dévastateur sur la vie de millions de personnes à travers le pays. À l’heure actuelle, seuls 20 à 30 % des établissements de santé sont encore opérationnels au Soudan. Si les fournitures ne parviennent pas jusqu’à ces établissements, les gens auront de plus en plus de mal à accéder à des soins lorsqu’ils en ont besoin.

Les gens meurent de blessures liées à la violence et de maladies évitables, les enfants meurent de malnutrition. Les vaccins s’épuisent et des épidémies de maladies mortelles, comme le choléra et la rougeole, ont déjà été déclarées. La crise catastrophique de la malnutrition dans le camp de Zamzam, au Darfour-Nord, où le Programme alimentaire mondial (PAM) n’a pas distribué de nourriture depuis mai 2023, en est un exemple. Parmi les enfants examinés lors d’une évaluation rapide, en janvier, 25 % souffraient de malnutrition aiguë, dont 7 % de cas graves. Chez les femmes enceintes et allaitantes, 40 % souffraient de malnutrition et le taux de mortalité dans le camp était de 2,5 décès par jour pour 10 000 personnes. Ces chiffres sont extrêmement alarmants et nous nous attendons à ce que la situation se détériore. Les prévisions en matière d’insécurité alimentaire pour le reste du pays sont également très préoccupantes.

En février, nous avons lancé un appel urgent en faveur d’une intensification immédiate, coordonnée et rapide de la réponse humanitaire au Darfour-Nord, sous l’égide des Nations Unies, afin de protéger des vies. Nous avons demandé que les distributions de nourriture reprennent de toute urgence. Nous avons demandé que de l’argent soit aussi distribué pour que les gens puissent acheter de la nourriture sur les marchés. Nous avons demandé aux prestataires de soins de santé de revenir et d’offrir des soins. Et nous avons demandé l’approvisionnement en eau potable pour que les gens n’aient plus à se rendre dans les marécages et les rivières pour étancher leur soif. Mais personne n’est venu et, deux mois plus tard, nous restons presque seuls sur place.

C’est inacceptable et ce niveau de négligence internationale est choquant. Dans tout le Soudan, des femmes meurent de complications pendant la grossesse ou l’accouchement tandis que des gens atteints de maladies chroniques meurent parce qu’ils n’ont plus de médicaments. Tout cela pourrait être évité si les organisations humanitaires intensifiaient leur action et disposaient d’un accès sûr et suffisant. L’ampleur des besoins et les atrocités, documentées, qui sont commises sont autant de raisons pour lesquelles nous exhortons les Nations Unies et les organisations humanitaires à redoubler d’efforts pour prêter assistance aux communautés du Soudan. Nous naviguons dans un contexte d’insécurité extrême pour fournir des soins de santé. Il est essentiel que les parties belligérantes adhèrent au droit humanitaire international et aux résolutions humanitaires de l’accord de Djedda qu’elles ont signé en mai 2023 pour protéger les personnes civiles et garantir un accès humanitaire sûr à toutes les régions du Soudan. Cela inclut la levée du blocus de toute urgence et l’ouverture des frontières et des aéroports.

Nous demandons instamment aux Nations Unies d’user de leur influence et de leur rôle de chef de file dans cette crise. Nous leur demandons de veiller à ce que les parties au conflit respectent ces obligations, et d’engager d’urgence une intensification rapide de la réponse humanitaire. Nous demandons également aux donateurs et aux donatrices d’augmenter le financement de la réponse humanitaire au Soudan. Sans ces trois engagements essentiels, il ne sera pas possible d’apporter une réponse humanitaire adéquate pour empêcher cette crise colossale de s’aggraver davantage. » »