Soudan : « Nous avons été battues et violées sur la route, en public »
La violence sexuelle est endémique au Darfour, et les personnes qui y ont survécu ont du mal à accéder aux soins essentiels.
Dans la région du Darfour, au Soudan, les femmes et les filles sont exposées à un risque quasi constant de violences sexuelles, alerte Médecins Sans Frontières (MSF). De plus, les hommes et les garçons sont également à risque. Parce que les services restent limités et que les gens sont confrontés à des obstacles pour se faire soigner ou pour parler de leurs épreuves, l’ampleur réelle de cette crise est difficile à évaluer. Toutefois, toutes les personnes qui ont survécu à ces violences ont raconté aux équipes de MSF au Darfour et au Tchad des histoires terribles de violences brutales et de viols. L’ampleur des souffrances vécues dépasse l’entendement.
« Les femmes et les filles ne se sentent pas en sécurité nulle part. Elles sont agressées dans leur propre maison, lorsqu’elles fuient les violences, cherchent de la nourriture, ramassent du bois ou travaillent dans les champs. Elles nous disent qu’elles se sentent piégées », explique Claire San Filippo, coordonnatrice des urgences de MSF. « Ces agressions sont odieuses et cruelles, et sont souvent commises par plusieurs individus. Cela doit cesser. La violence sexuelle n’est pas une conséquence naturelle ou inévitable de la guerre. Elle peut être considérée comme un crime de guerre, une forme de torture et un crime contre l’humanité. Les parties belligérantes doivent tenir leurs membres responsables et protéger les personnes contre cette violence révoltante. Les services destinés aux personnes qui ont survécu à ces violences doivent être immédiatement renforcés, afin que les gens puissent obtenir les soins médicaux et psychologiques dont ils ont absolument besoin. »
La violence sexuelle est désormais si répandue au Darfour que beaucoup en parlent comme d’un fait inévitable. « Des individus sont venus la nuit pour violer les femmes et tout prendre, y compris les animaux. J’ai entendu des femmes se faire violer pendant la nuit. Les hommes, comme mon mari et mes frères, se cachaient dans les toilettes ou dans des pièces qu’ils pouvaient verrouiller, sinon ils auraient été tués. Les femmes, nous ne nous cachions pas parce que, pour nous, ce n’était que des coups et des viols, alors que les hommes seraient morts », a raconté une femme à l’équipe de MSF au Darfour Occidental.

Ce n’est pas seulement lors d’attaques contre les villages et les villes ou pendant leur fuite vers un lieu sûr que les gens sont violés et battus. Le manque d’assistance humanitaire les force à prendre des risques pour survivre. Ils traversent de longues distances pour subvenir à leurs besoins de base et travaillent dans des endroits dangereux. Certaines personnes décident de ne pas prendre de risques, mais se retrouvent sans source de revenu, ce qui réduit davantage leur accès à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé. Et malgré cette prise de risques limitée, la sécurité n’est pas assurée, parce que les gens sont également attaqués à leur domicile.
Dans le Sud-Darfour, entre janvier 2024 et mars 2025, MSF a fourni des soins à 659 personnes ayant survécu à des violences sexuelles. De celles-ci :
- 86 % ont déclaré avoir été violées;
- 94 % étaient des femmes et des filles;
- 56 % disent avoir été agressées par un ou des individus non civils (membre de l’armée, de la police ou d’autres forces de sécurité, ou des groupes armés non étatiques);
- 55 % ont déclaré avoir subi d’autres violences physiques lors de l’agression;
- 34 % ont été agressées alors qu’elles travaillaient dans les champs ou s’y rendaient;
- 31 % étaient âgées de moins de 18 ans, 29 % de 10 à 19 ans, 7 % de moins de 10 ans et 2,6 % de moins de 5 ans.
Et ces statistiques préoccupantes ne reflètent probablement pas l’ampleur réelle des violences sexuelles dans le Sud-Darfour.
La situation est similaire dans d’autres endroits où MSF fournit des soins, comme dans l’est du Tchad, où se trouvent 800 000 personnes réfugiées soudanaises. À Adré, près de la moitié des 44 personnes ayant survécu à des violences sexuelles prises en charge par MSF depuis janvier 2025 étaient des enfants. Dans la province de Wadi Fira, 94 personnes ont été prises en charge entre janvier et mars 2025, dont 81 âgés de moins de 18 ans.
Les témoignages des patientes, des patients et des personnes soignantes dans l’est du Tchad et au Darfour le confirment. « Il y a trois mois, une petite fille de 13 ans a été violée par trois hommes… Ils l’ont attrapée et violée, puis ils l’ont abandonnée dans la vallée… Ils ont appelé des gens pour transporter la fille à l’hôpital. J’étais l’un d’entre eux. C’était une fillette », a raconté un homme à l’équipe de MSF à Murnei, au Darfour Occidental.
« Sept d’entre eux m’ont violée. Après ça, j’ai voulu perdre la mémoire. »
– Une survivante de violences sexuelles âgée de 17 ans
De nombreuses personnes rapportent avoir été violées par plusieurs individus. À Metché, dans l’est du Tchad, ce fut le cas pour 11 des 24 personnes prises en charge entre janvier et mars 2025. Les témoignages recueillis dans différents endroits corroborent ces informations. Une survivante de violence sexuelle âgée de 17 ans raconte : « Quand nous sommes arrivées à Kulbus, nous avons vu un groupe de trois femmes entourées d’hommes des Forces de soutien rapide (FSR). Les FSR nous ont également ordonné de rester avec elles. Ils nous ont dit : “vous êtes les femmes [des membres] de l’armée soudanaise ou leurs filles”. Puis nous avons été battues et violées sur la route, en public. Il y avait neuf hommes des FSR. Sept d’entre eux m’ont violée. Après ça, j’ai voulu perdre la mémoire. »
Dans certains cas, les personnes ont été accusées de soutenir l’autre camp par les individus qui les ont agressées, comme cette femme : « J’ai un certificat de secourisme. [Quand ils nous ont arrêtés], les membres des FSR m’ont demandé de leur donner mon sac. Quand ils ont vu le certificat à l’intérieur, ils m’ont dit : “tu veux soigner l’armée soudanaise, tu veux soigner l’ennemi”! Puis ils ont brûlé mon certificat et m’ont violée. Ils ont dit à toutes les autres de rester par terre. J’étais avec d’autres femmes, dont ma sœur. Ils n’ont violé que moi, à cause de mon certificat. »

La violence sexuelle est une urgence médicale, car les conséquences physiques et psychologiques immédiates et à long terme peuvent mettre la vie des personnes en danger. S’il est essentiel que les gens aient accès à des services après une agression, il est toujours difficile d’accéder aux services médicaux et de protection. Les raisons sont multiples : le manque de services, le manque d’information à leur sujet, le coût élevé des transports et la réticence à parler des agressions en raison de la honte, de la peur de la stigmatisation ou des représailles.
« Je ne peux rien dire à la communauté, car ce serait une honte pour ma famille. Je n’ai donc rien dit de ce qui m’est arrivé avant aujourd’hui. Je demande seulement une assistance médicale. J’avais trop peur d’aller à l’hôpital. Ma famille m’a demandé de ne le dire à personne », raconte une survivante de 27 ans, dans l’est du Tchad.
« L’accès aux services pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles est insuffisant. Comme pour la plupart des services humanitaires et de santé au Soudan, cet accès doit être renforcé de toute urgence. »
– Ruth Kauffman, responsable médicale des urgences de MSF
Lorsque des services existent, les personnes ont besoin de parcours clairs et accessibles pour obtenir l’aide dont elles ont besoin. À la fin de 2024, dans le Sud-Darfour, l’État qui compte le plus grand nombre de personnes déplacées au Soudan, MSF a ajouté une composante communautaire à ses services aux personnes ayant survécu à des violences sexuelles. Des sages-femmes, des agentes et des agents de santé communautaire ont été formés et équipés pour fournir des contraceptifs d’urgence et les premiers secours psychologiques.
Afin que les gens puissent recevoir des soins complets, ils ont également été orientés vers des centres de soins de santé primaires et des hôpitaux secondaires soutenus par MSF. Depuis la mise en place de ce modèle communautaire, MSF a constaté une forte augmentation du nombre de femmes et de jeunes qui viennent demander des soins.

Les équipes de MSF continuent d’accueillir de nouvelles personnes ayant survécu à des violences sexuelles. C’est le cas à Tawila, où les gens continuent d’affluer depuis les attaques contre le camp de Zamzam et à El Fasher. L’hôpital a reçu 48 survivants et survivantes de violences sexuelles entre janvier et début mai, dont la plupart depuis le début des combats dans le camp de Zamzam, en avril.
« L’accès aux services pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles est insuffisant. Comme pour la plupart des services humanitaires et de santé au Soudan, il doit être renforcé de toute urgence. Les personnes qui survivent à des violences sexuelles, principalement des femmes et des filles, ont besoin de soins médicaux urgents, notamment d’un soutien psychologique et de services de protection. Les soins doivent être adaptés dès le départ afin d’atténuer les nombreux obstacles majeurs auxquels les gens sont confrontés lorsqu’ils cherchent à obtenir des soins médicaux à la suite de violences sexuelles », explique Ruth Kauffman, responsable médicale des urgences de MSF.
Les attaques et les viols doivent cesser, les parties belligérantes doivent garantir la protection des personnes civiles et respecter leurs obligations au titre du droit international humanitaire. Au Darfour et dans l’est du Tchad, les services médicaux et humanitaires destinés aux personnes ayant survécu à des violences sexuelles doivent être renforcés d’urgence.